Limonov – Emmanuel Carrière

RUSSSIE

Depuis que cette guerre en Ukraine s’est déclarée, ma curiosité est aiguisée et les images des médias et même les articles des journaux me laissent insatisfaite : je ne comprends toujours pas comment elle est possible. Je me tourne vers la littérature pour avoir un autre éclairage.

Limonov, lui, a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain à la mode à Paris ; soldat perdu dans les Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends sur ce point mon jugement.

Limonov de Carrère offre une biographie d’un personnage qui paraît étrange, poète, voyou, provocateur, militaire ou politique. Je n’ai guère de sympathie pour un des fondateurs du parti nasbol : national-bolchevik. La violence et la délinquance gratuite me repoussent, encore moins les beuveries continuelles. Même si la prison  est un classique de la littérature russe,  les camps de travail n’exercent sur moi aucune fascination. Et pourtant j’ai lu avec intérêt ce pavé de 500 pages.

Limonov nait en Ukraine en 1943, pendant la bataille de Stalingrad, décède en 2020. Carrère le suit pas à pas dans ses errances à Kharkov, Moscou, New York, Paris pendant toutes ces décennies. Il raconte la vie, les œuvres, les amours de l’écrivain et il s’attache à contextualiser en analysant l’évolution politique de son héros : enfant, fils d’un Tchékiste, fasciné par les exploits militaires à la fin de la Guerre,  adolescent frustré dans sa province, rebelle, violent dans l’URSS encore stalinienne, poète fréquentant les dissidents. Exilé. De retour à Moscou avec la fin d’ l’Union Soviétique. Engagé avec les putschistes contre Eltsine. Chef de parti.

Toute l’histoire de l’Union soviétique et de la Russie  se déroule pendant l’Odyssée du héros qui passera de l’Ukraine à Moscou, de New York à Paris, puis jusqu’en Asie Centrale en Altaï. Nous assistons à l’arrivée et la chute des principaux dirigeants de Khrouchtchev, Gorbatchev, Eltsine, Poutine….  J’ai beaucoup appris de ce livre en le considérant comme un roman historique. Double regard : celui de l’auteur, intellectuel français, et fils d’une historienne de renom, celui du héros, complètement russe, avec un point de vue totalement décalé étranger aux valeurs politiquement correctes chez nous. En décalant les points de vue, j’arrive mieux à saisir ce qui se passe actuellement même si le livre a été publié en 2011.

J’ai été stupéfaite par le prétexte avancé par Poutine de lutter contre les nazis en Ukraine. Les nazis! Il me semblait que cette référence à la seconde guerre mondiale était rancie, si ce n’est périmée. Par ailleurs, les photos du bataillon Azov pouvaient m’égarer. Que penser?  Dans Limosov j’apprends (parce que j’étais vraiment ignorante) que les références aux nazis existent non seulement en Ukraine mais surtout en Russie, et qu’il y a même un parti s’en réclamant. Pour compliquer le tout les nationalistes qui utilisent les codes nazis (drapeaux, saluts et idéologie nationaliste et antisémite) se réclament aussi de Staline et du bolchevisme.

« drapeau, un cercle blanc sur fond rouge, évoque le drapeau nazi, sauf qu’en noir dans le cercle blanc, au lieu de la croix gammée, il y a la faucille et le marteau. »

Comment concilier les deux? Par le nationalisme, bien sûr. En France c’est difficile à concevoir.

Les ennuis ne sont jamais loin, dit-il à son ancien élève, quand les Russes commencent à se monter le bourrichon avec leur patrie, à parler de la grandeur de leur empire ou de la sainteté de leur mission et à dire des choses comme « la Russie, il ne faut pas chercher à la comprendre, il faut y croire ».

Comprendre Poutine? un début d’explication :

Poutine répète sur tous les tons quelque chose que les Russes ont absolument besoin d’entendre et qui peut se
résumer ainsi : « On n’a pas le droit de dire à 150 millions de personnes que soixante-dix ans de leur vie, de la vie de leurs parents et de leurs grands-parents, que ce à quoi ils ont cru, ce pour quoi ils se sont battus et
sacrifiés, l’air même qu’ils respiraient, tout cela était de la merde. Le communisme a fait des choses affreuses,
d’accord, mais ce n’était pas la même chose que le nazisme.

Coïncidence : l’attentat récent qui a coûté la vie à la fille de Douguine qui est un personnage présenté dans le livre : idéologue ultranationaliste, antisémite.

Loin d’opposer fascisme et communisme, Douguine les vénère également. Il accueille pêle-mêle dans son
panthéon Lénine, Mussolini, Hitler, Leni Riefenstahl, Maïakovski, Julius Evola, Jung, Mishima, Groddeck,
Jünger, Maître Eckhart, Andreas Baader, Wagner, Lao-tseu, Che Guevara, Sri Aurobindo,

Décidemment Limonov de Carrère le donne des clés pour comprendre l’actualité.

Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

13 réflexions sur « Limonov – Emmanuel Carrière »

      1. Non pas lu : je note ! Les oliviers vont bien, je suis parisien depuis quelques temps mais je retourne très bientôt dans le sud (ouf); pas trop le temps de m’occuper de mon blog, de plus mes articles sont bloqués et ne se publient pas, quand j’aurais un peu plus de temps, je verrais ça sérieusement. Cela ne m’empêche pas de vous lire régulièrement ! je vois que vous garder la forme: bonne continuation !

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    1. @Aifelle : moi aussi j’avais hésité longtemps : c’est un gros bouquin mais l’actualité m’a rattrapée (surtout avec l’attentat à la voiture de Douguine qui fut associé à Liimonov)

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  1. La référence aux nazis, périmée ? Mais ils sont partout ! Et Ukraine et en Russie liés au nationalisme donc mais dans toute l’Europe et chez nous aussi, xénophobie, racisme, immigration aidant.. Tu n’as qu’à cliquer sur Régiment Azov, pour voir qui ils sont, ce qu’ils ont fait (violation des droits de l’Homme) et comment Zelinsky les a intégrés dans son armée. Le nationalisme mène à tout !

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    1. Bonjour Madame,
      Je suis obligé de revenir sur ce billet car votre commentaire me frustre par la fausse rumeur qu’elle propage, ne confondriez-vous pas Zelensky avec Poroshenko ?

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      1. Désolé d’avoir été trop spontané, je ne le ferai plus, promis ! J’ai du mal à accepter les approximations, Zelenski vs Poroshenko ce n’est pas la même chose.

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