Lire pour le Cambodge : Séra – L’Eau et la Terre

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Arrivé avec Le Portail, sur le conseil (éléctronique) d’Amazon. J’ai eu une surprise en ouvrant le paquet : une BD, moi qui n’en lis jamais!

Et j’ai été bluffée!

Par le graphisme tout d’abord: de grandes images, 3 vignettes au maximum par page, souvent une seule. Des tableaux plutôt que des vignettes avec des cadrages parfaits , des éclairages dramatiques, des harmonies de sépia, de brun-rouge, de noirs et de gris. Pas besoin de beaucoup de temps pour deviner l’atmosphère sombre des temps des khmers rouges.

Par les textes ensuite, dialogues mais aussi slogans politiques ou poèmes khmers anciens. Un souci du témoignage le plus historique possible. L’histoire est entrecoupée des cartes des déportationns ou des lieux de détentions et des charniers. Comme pour nous rappeler que ce n’est pas un livre de fiction.

Des destins se mêlent, ce couple chassé de Phnom Pehn, la peite fille aux allumettes, l’adolescent-khmer rouge…. et cette phrase qui revient comme un refrain

« ... ET JE NE SUIS TOUJOURS PAS MORT…« 

Détails de la vie quotidienne de cet enfer, de cette misère et de ce désespoir sans  nom.

Il faut également se référer aux remerciements et à l’abondante bibliographie pour comprendre la volonté du témoignage de Séra .

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lire pour le Cambodge : Le Portail – François Bizot

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Ce Portail fermait l’entrée principale de l’Ambassade de France, où la Communauté des expatriés  au Cambodge s’était réfugiée, évacuée  après la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges. Ce livre, Le Portail, est un témoignage racontant la captivité de Bizot dans la jungle en 1971 puis les dernières semaines vécues dans l’ambassade en 1975.

Acheté à la suite de recommandations d’inconnus sur les forums de voyageurs, j’ai longtemps hésité avant de commencer cet ouvrage. Je n’aime pas les films ou la littérature de guerre. Le sang m’effraie, les héros m’agacent…Et puis, je ne l’ai plus lâché. C’est un grand livre, très bien écrit et passionnant.

Quand on raconte un génocide c’est facile. Il y a les victimes et les bourreaux.

On peut aussi voir autrement : les impérialistes américains et leurs valets, laquets, on se souvient de la terminologie en cours, et en face la juste lutte  des peuples, les fronts de libération nationale…les peuples-frères. Adolescente j’ai vibré à ces slogans, soutenu la juste lutte du peuple vietnamien, puis cambodgien…plus tard j’ai été catastrophée quand le Vietnam a fait la guerre au peuple-frère… sans rien comprendre.

Avec Bizot, l’analyse ne vient pas de l’idéologie mais du terrain. En 1971, quand il est fait prisonnier des Khmers rouges, il voit les troupes nord-vietnamiennes qui avancent derrière les Khmers rouges, il décrypte le discours qui vient de Chine, il devine la catastrophe à venir, il en discute ouvertement avec son geolier Douch . Et il a reproché l’aveuglement de Lacouture et des expatriés communistes qui, après la prise de Phnom Penh, croyaient encore assister à la fête de la libération et qui, encore déguisés en Khmers, sont venus se réfugier à l’ambassade.

Ce livre n’est pas un témoignage à charge au tribunal de l’Histoire qui a déjà condamné le massacre, c’est bien plus. Bizot parle khmer et connaît mieux le boudhisme khmer que les « camarades » illettrés qui récitent des formules apprises par coeur. Il peut dialoguer avec Douch dans la jungle, et, plus tard, il est l’interprète des diplomates français auprès de Nehm. Il comprend non seulement leur langue de bois mais aussi leurs mimiques. Il utilise leur psychologie pour négocier avec les adversaires. Il gagne leur estime. Le livre rend compte avec finesse de ces dialogues, sortes de  jeux d’échecs où il convient de flatter, d’exiger, de reculer, au bon moment.

Le Portail ne se résume pas non plus à l’analyse politique. Bizot sait merveilleusement bien raconterla nature Cambodgienne. Il nomme chaque arbre avec son nom latin. Il sait nous faire sentir la touffeur, l’humidité, l’électricité d’une soirée d’orage. Leçon d’humanité quand il raconte le respect pour la nourriture de ceux qui en ont été privés. Mais aussi les mesquineries au sein des centaines de réfugiés. Point de manichéisme, tel chef de guerre fait montre d’une lâcheté insondable et quelque temps plus tard de courage. Les Khmers rouges sont toujours montrés comme des hommes et non pas comme des monstres. Bizot décortique leurs contradictions. Il peut aussi montrer l’affection qu’il porte à son chien, à une poule. Ce livre rend compte de la complexité de l’humain et dépasse largement le témoignage et l e cadre cambodgien.

Un barrage contre le Pacifique, le film de Rithy Panh

Dans 5 jours nous serons à Phom Penh, pour rêver à l’avance, de rizière, d’Asie…

J’ai lu trois fois le livre de Marguerite Duras. Il y a bien longtemps, la première, du temps d‘India Song, de Delphine Seyrig…
Emerveillement de jeunesse devant cet exotisme et cette étrangeté.
A la veille de notre circuit au Vietnam, et maintenant après avoir vu le film de Rithy Panh. pour confronter le livre au film.

La lecture du cinéaste cambodgien est originale : il nous livre de très belles images de cette plaine, des rizières, de la jungle. On voudrait retenir certains plans magnifiques. Vues prises du bungalow, à travers les bananeraies et les plantes tropicales. Mobilier de bambou, objets de la vie quotidienne, les acteurs aussi sont beaux, peut être trop, trop beau Joseph, trop lisse peut être, trop beau Monsieur Jo qui n’aurait pas pu égayer la famille par son surnom de « tête de veau »…

Le cinéaste a privilégié la vie à la campagne. L’intrigue qui se déroule dans la ville coloniale, jamais nommée, qu’il me plait d’identifier à Saigon, a été éludée.

En revanche, il a mis l’accent sur l’exploitation coloniale. Les paysans sont bien présent. Il a donné une importance au personnage du caporal qu’il n’avait pas dans le livre. Le caporal dévoué mais sourd dans le film est tenté par la révolte. Il manipule les armes de Joseph va secourir les paysans expropriés. Duras parle longuement des enfants qui mourraient en bas âge, moins de leurs parents. Rithy Panh leur donne la parole.
Ce n’est pas seulement la crédulité d’une veuve qui a placé tous ses espoirs dans cette concession qu’exploitent les agents corrompus du cadastre. C’est aussi l’expropriation des paysans qui n’ont jamais eu de titres de propriété, qu’on floue pour installer des plantations d’hévéas ou de poivriers. Monsieur Jo n’est pas seulement le fils velléitaire et incapable d’un spéculateur, c’est celui qui symbolise l’exploitation des paysans.
Certains trouvent que l’adaptation s’éloigne de l’œuvre,  que Isabelle Huppert campe un personnage différent de celui de la Mère, que les relations familiales passionnelles sont affadies,  je l’ai lu dans les critiques. Cette version cambodgienne, différente, m’a paru intéressante. Ce qui ne dispense pas de relire encore le livre!