Kim de Kipling et le Grand Jeu

Plusieurs pistes dans Kim : celle du lama et de la recherche spirituelle, celle de l’espionnage.

Kim, connaissant le bazar de Lahore comme sa poche, débrouillard et serviable « l’Ami de Tout le Monde » a déjà rendu maints service à Mahboub Ali, Pathan à la barbe rouge,  maquignon vendant des chevaux à l’armée britannique et aux Rajahs des états princiers, officiellement, plus officieusement agent de liaison entre les troupes de Sa Gracieuse Majesté et les tribus afghanes ou les princes rajpoutes. Au caravansérail de Lahore il lui confie une mission d’importance : le pedigree d’un étalon blanc. Kim devine que le message est d’importance. Il parvient même à en déchiffrer le sens et gagne une réputation de devin auprès de la population indigène.

Kim est un « poulain de polo » d’après le maquignon, celui qui joue d’instinct. Fils d’un soldat irlandais, il est adopté par le régiment de son père(à l’insigne du taureau sur fond vert comme dans la prophétie) qui veut l’enrôler et le placer dans une école militaire. Kim est trop indépendant pour la vie militaire, les uniformes trop étroits et guindés. Sa connaissance du terrain, des langues et des coutumes indiennes, son intelligence en font une recrue de qualité pour les services d’espionnages britannique. Le roman est donc un roman d’espionnage – ou d’apprentissage d’un espion.

— Fils, j’en ai assez de cette madrissah, où l’on prend les meilleures années d’un homme pour lui apprendre ce qu’il ne peut apprendre que sur la Route. La folie des sahibs n’a ni bout ni fin. N’importe. Il se peut que ton rapport écrit t’épargne un plus long esclavage, et Dieu sait que nous avons de plus en plus besoin d’hommes dans le Jeu. » […..]

Ali Mahboub continue un peu plus loin dans le chapitre X

« Le poney est fait — fini — mis en bride et au pas, sahib ! À partir de maintenant, il ne fera chaque jour que perdre ses bonnes manières si on le retient pour des balivernes. Laissez-lui la bride sur le cou et lâchez-le, dit le marchand de chevaux. Nous en avons besoin. 

 


Le Grand Jeu se joue depuis 1815, depuis la fin des conquêtes napoléoniennes. Il oppose la Grande Bretagne à la Russie . Les Anglais surveillent la Route des Indes tandis que les Tsars voudraient un accès aux mers chaudes. L’Homme Malade, l’Empire Ottoman est une des pièces maitresses du Grand Jeu, avec l’accès à Constantinople, les détroits, Bosphore et Dardanelles où se joue aussi la Grande Idée grecque. L’autre pion, le plus coriace est Afghan. Kipling a situé d’autres nouvelles et romans dans les parages de la Passe de Khyber.

Après l’apprentissage de Kim chez Lugar Sahib, au collège saint François Xavier, et comme arpenteur notre héros âgé de 17 ans accompagne son lama dans les hautes montagnes de l’Himalaya à la poursuite de deux Russes (dont l’un est français). Il remplira pleinement sa mission nous faisant vivre des aventures époustouflantes dans un cadre grandiose et très exotique.

 

 

Le Jeu de Kim (Kipling)

C’est un jeu bien connu des scouts que j’ai pratiqué dans mon enfance. Bien avant d’avoir entendu parler du roman et de Kipling.

Kim s’est échappé du collège pendant les vacances. Il a rejoint le vendeur de chevaux Mahboub Ali qui a prévenu Creighton Sahib, le colonel des renseignements qui l’envoie en stage chez le docteur des Perles Lurgan Sahib à Simla…

L’enfant[…]s’élança vers le fond de la boutique d’où il revint avec un plateau de cuivre.

« Donne-les-moi dit-il à Lurgan Sahib. Qu’ils viennent de ta main, car il pourrait dire que je les connaissais avant.

– Doucement…Doucement, répliqua l’homme en extrayant d’un tiroir sous la table une demi-poignée de babioles dont le cliquetis sonna sur le plateau.

–  Maintenant, dit l’enfant  en agitant un vieux journal, regarde-les aussi longtemps que tu voudras, étranger. Compte, si besoin est touche. un regard me suffit à moi »

Il tourna le dos fièrement.

– « Mais en quoi consiste le jeu?

– Quand tu les auras comptées et maniées et que tu seras sûr de pouvoir te les rappeler toutes, je les cacherai et il faudra que tu en dises le compte à Lurgan Sahib. j’écrirai le mien.

– Oh!

L’instinct de rivalité s’éveilla en son sein. Il se pencha sur le plateau. il ne contenait pas plus  que quinze pierres.

– « C’est facile », dit-il au bout d’une minute.

L’enfant glissa le papier sur les joyaux scintillants et se mit à griffonner dans un petit carnet indigène.

– « Il y a sous ce papier cinq pierres bleues – une grosse, une moins  et trois petites, » dit Kim, tout d’une haleine, « il y a quatre pierres vertes, l’une avec un trou ; il y a une pierre jaune, on peut voir au travers et une comme un tuyau de pipe. Il y a deux pierres rouges, et…et… donne moi le temps…

Lurgan compta jusqu’à dix. Kim secoua la tête

-« Écoute mon compte! éclata l’enfant avec un trille de rire impétueux:

– d’abord il y a deux saphirs avec des crapauds – un de deux ratis et un de quatre, à ce que je peux en juger. Le saphir de quatre ratis est ébréché. il y a une turquoise du Turkestan unie avec des veines noires, il y en a deux gravées – une avec le nom de Dieu en or, et, sur l’autre, qui est fendue en travers car elle sort d’une vieille bague, je ne peux pas lire les lettres.  nous avons maintenant quatre émeraudes, mais il y en a une percée en deux endroits et une un peu rayée….[….]

c’est ton maître dit Lurgan Sahib, en souriant.

 

– Huh, il savait le nom des pierres. Essayez avec des choses ordinaires que nous connaissions tout les deux….

La Version Originale du Jeu de Kim m’a enchantée.

Kim est  un roman d’espionnage, roman d’apprentissage d’un apprenti-espion. Alors que le lama lui paie l’enseignement du meilleur collège de Lucknow, pendant les vacances Kim complète sa formation. Lurgan Sahib est aussi magicien et expert en déguisements de toutes sortes, utiles quand Kim sera en mission

 

 

L’énumération des pierres précieuses m’a ravie! Elle prend un aspect documentaire quand je pense aux bijoux du film Akbar et Jodhaa. L’Inde et ses joyaux a fasciné plus d’un!

Kipling – Zorgbibe – la Gloire de l’Empire

CHALLENGE VICTORIEN

En vue de notre prochain voyage en Inde j’avais prévu de ne lire que la première partie de la biographie de Kipling  intitulée La saga des Anglo-Indiens, prise par la lecture et avec l’arrivée inopinée du Challenge victorien, j’ai poursuivi le gros livre. La première partie m’avait beaucoup diverti. Zorgbibe a dressé un tableau très pittoresque des années de jeunesse de Kipling, sa petite enfance indienne, ses tristes années en Angleterre puis le très british et amusant college Westward Ho, enfin les années de journalisme en Inde. Le biographe a su utiliser les personnages, les intrigues des écrits de Kipling pour tisser  biographie et fiction, donner des clés de lecture. Je me suis un peu perdue entre réalité et  romanesque avec beaucoup de bonheur.

En 1889, Rudyard Kipling âgé de 23 ans, quitte Calcutta en compagnie d’un couple Américain, effectue presque un tour du monde et redécouvre Londres. Il est déjà un journaliste reconnu. Occasion de croiser Jerome K. Jerome et de nombreux intellectuels et écrivains de l’époque, Thomas Hardy et Henry James masi aussi Rider Haggart auteur des Mines du Roi Salomon (dont j’ai vu une adaptation au cinéma) ainsi que d’autres intellectuels pas forcément connus par les francophones (mais peut être par les participants au challenge victorien) .

Le style de la biographie est bien différent de celui de la Saga : moins de citations moins d’anecdotes amusantes . Notre héros a vieilli, ce n’est plus un potache, c’est une célébrité, une  référence pour la politique coloniale de l’Empire. Épousant les préjugés des Anglo-Indiens, il s’engage dans la lutte (et le dénigrement) du Parti du Congrès indien sans reconnaître l’importance de la naissance du nationalisme indien.

Kipling est aussi un grand voyageur : un chapitre du livre de Zorgbibe s’intitule Le globe-trotteur de l’Agence Cook .C’est avec grand plaisir que je découvre le début du tourisme o et que je suis les tours du monde avec sa femme, puis ses enfants, qui le mèneront aux Etats Unis, jusqu’au Japon(où la banqueroute de sa banque le verra ruiné) puis, plus tard en Afrique du Sud où la famille prend ses quartiers d’hiver.


Le personnage de Kipling est  complexe.

Si, ses écrits sont principalement d’inspiration indienne, il a finalement assez peu vécu en Inde

Si, il a été propagandiste de la politique coloniale victorienne,

Si, il s’est engagé dans la guerre des Boers,  auteur d’un Mendiant distrait,poème patriotique levant des fonds pour les soldats

…..Il a donc bien gagné son surnom de Chantre de l’Impérialisme.

Il a aussi rencontré Mark Twain, fait le voyage des Samoa pour voir Stevenson (sans atteindre les îles). Il a également passé de nombreuses années en Nouvelle Angleterre près de la famille de Carrie, son épouse. Il a inspiré les frères Tharaud, romanciers français qui ont obtenu le Goncourt 1906 pour Dingley, l’illustre écrivain.

Même si des convictions anti-colonialistes empêchent d’être en pleine empathie avec le personnage, la lecture de cet ouvrage parcourant l’Empire de Victoria est passionnante.

 

 

Kipling – Charles Zorgbibe- la saga des Anglo-Indiens

SAISON INDIENNE

De Kipling, je ne connaissais que des clichés : le « chantre de l’impérialisme britannique », « tu seras un homme mon fils…. » ainsi que tout un folklore de mes années d’éclaireuses « jeu de Kim, » ou noms de « totems » tirés du Livre de la Jungle. Un auteur pour scouts, enfants ou nostalgiques des colonies.
L’écrivain Kipling vaut mieux que sa caricature.
C Zorgbibe a tissé un aimable et pittoresque patchwork des œuvres de Kipling pour raconter la vie aventureuse et voyageuse de l’écrivain et la saga des Anglo-indiens.
Histoire victorienne bien connue des Anglais, qui nous est  étrangère.

Lire Kipling et comprendre ce qui se passe en Afghanistan! Imaginer l’importance de la Route des Indes à l’époque. La Guerre des Boers,La Guerre des sahibs, me renvoie à la biographie de Gandhi d’Attali que j’ai lue il y a peu.Et terminer la fresque par la Première Guerre mondiale.

Je me livre à la singulière expérience de lire en même temps cette biographie de Kipling et Kim (expérience dictée par des contingences pratiques et non pas par une volonté littéraire : j’ai téléchargé gratuitement Kim sur ma liseuse tandis que le gros pavé de Zorgbibe est trop lourd pour être emporté : Kim me suit dans le métro, dans mon cartable…tandis que Kipling attend sur la table de chevet. ). Cette confrontation est tout à fait fructueuse : je saisis mieux des détails qui pourraient paraître secondaires : le fameux canon de Lahore se trouve en face du Musée dont le père de Kim était le directeur….le maquignon Mahboub a vraiment existé….Par ailleurs, j’identifiais Kim à Kipling enfant, erreur, il fut envoyé à 6 ans en Angleterre.

J’imaginais une sorte de chef scout pontifiant, je découvre un potache farceur, un lecteur de Rabelais dans le texte, un journaliste qui préfère écrire des ragots en vers. Montage de héros de ses romans et de ses nouvelles, l’auteur de la biographie dresse un tableau coloré de la société victorienne. Je me perds dans les personnages réels et ceux que Kipling a créés, et je m’amuse bien!(je ris même aux éclats)

 

cet article est ma première contribution au challenge victorien

 

 

 

Le Salon de Musique – Satyajit Ray (DVD)

SAISON INDIENNE

http://www.dailymotion.com/swf/video/xhkyb6<br /><a href= »http://www.dailymotion.com/video/xhkyb6_le-salon-de-musique-begum-akhtar_shortfilms &raquo; target= »_blank »>Le Salon de musique – Begum Akhtar</a> <i>par <a href= »http://www.dailymotion.com/zimol-music &raquo; target= »_blank »>zimol-music</a></i>

Un lustre de cristal aux coupes en tulipes se balance dans l’obscurité, symbole du luxe, de la sophistication du palais tandis que le générique se déroule, lettres hindoues sur fond noir. Noir et blanc, ombre et lumière. Extrême dépouillement. Unité de lieu : un palais au fronton et aux colonnes grecques domine le fleuve.Roy, le zamindar – noble propriétaire terrien – entend au loin la musique que donne le voisin parvenu .

le zamindar Roy sur sa terrasse

 » M’a-t-il invité? » demande-t-il à son serviteur Ananta.

– « Est-ce que je vais quelque part? »

Le noble Roy, ne va nulle part, en revanche, il invite ses voisins dans son salon de musique, à des concerts fastueux qui le ruinent

Chronique d’une décadence. Le fleuve a emporté le jardin et une partie des terres lors d’une crue. Grand seigneur, Roy, a accueilli un millier de paysans, rappelle-t-il à sa femme qui lui reproche d’avoir hypothéqué ses bijoux. L’intendant prévient son maître qu’il a déjà commencé à vider l’ultime coffre. Une rivalité s’engage entre l’ancien noble et le parvenu Ganguli, fils d’usurier, qui a installé l’électricité, qui se déplace en voiture et qui se pique d’apprécier la musique.

Ganguli, le parvenu

Les dernières richesses seront dilapidées dans cette rivalité. La tragédie se déroule pendant un de ces concerts : le lustre se balance, les éclairs illuminent la nuit, le fleuve emportera la femme de Roy, son fils est noyé. Le zamindar vend ses meubles. Le palais est vide, reste le lustre et l’estrade où une danseuse se produira dans un  dernier concert .

Mauvais présage: une énorme araignée se détache sur le portrait de Roy…

L’issue fatale est prévisible depuis la première scène, la décadence est peinte avec raffinement et noblesse. Un monde s’achève, un monde de palais, de chevaux et d’éléphant, dans l’indifférence et la grandeur.

J’avais vu ce film autrefois, il m’avait laissé un souvenir indélébile. Tellement classique qu’il n’a vieilli en rien.

Les Joueurs d’échecs – film de Satyajit Ray

SAISON INDIENNE

 

Lucknow, 1856, fin d’un règne. Le roi Wajid Ali Shah, musulman pieux, poète, musicien (il a même composé un  opéra) règne dans son palais fastueux. Un traité conclu en 1837 avec la Compagnie des Indes lui garantit son royaume tandis qu’il finance les expéditions britanniques contre les états princiers  et que ses guerriers sont enrôlés dans les troupes britanniques  – un an plus tard éclatera la fameuse Révolte des Cipayes . Unilatéralement les anglais dénoncent le traité et exigent l’abdication du roi Wajid.

Wajid Ali Shah

Au logis de Mirza, ce dernier, noble oisif, dispute d’interminables parties d’échecs – Roi des Jeux, jeux des Rois – avec son ami Meer. Rien ne peut les distraire de cette passion, ni leurs femmes ni le jeu d’échecs, grandeur nature, auquel se livrent les autorités britanniques et leur souverain.

 

Film historique, en costumes et en couleurs. Ma cassette enregistrée il y a une trentaine d’années est un peu décolorée et le film se déroule dans un ensemble doré, jaune d’or un peu passé. Les joyaux et perles sont fastueux. Comme il se doit on assiste à un spectacle de danse très raffiné à la cour du roi-poète et la musique paraît ancienne.

Un Satyajit Ray en couleur mais toujours très sobre et distingué. Lire également la critique

malheureusement il manque des sous-titres

Mother India – film de Mehboob Khan (DVD)

SAISON INDIENNE

On croirait qu’elle porte sa croix. Non, Radha laboure sa terre. La femme dans le rôle du bœuf, ses enfants poussant la charrue.

 

 

Quand elle s’est mariée, son mari était un paysan aisé cultivant 13ha de bonnes terres. Pour financer la noce, et emprunter 500 roupies sa mère a hypothéqué les terres auprès de l’usurier Sukhilala qui réclame 3/4 de la récolte au titre des intérêts.

la vie des nouveaux mariés se déroule dans un décor agreste riant. Ils sont amoureux, la récolte de millet est bonne, la maison confortable. Au fil des ans, l’usurier les dépouillera de la vaisselle, des bijoux, des bœufs et finalement des terres. Il ne reste plus qu’à défricher un lopin caillouteux. En tirant sur un rocher, l’homme est écrasé et perdra ses bras. Infirme devenu inutile, il disparaîtra plutôt que de subir les humiliations de Sukilala.

 

Mère courage, Radha s’attelle et parvient à survivre avec ses deux fils. Si l’aîné est docile, le cadet Birju, enfant sauvageon, jeune homme taquin, deviendra un rebelle qui n’aura de cesse que de se venger de l’usurier qui les a réduit à la misère. Cela se terminera tragiquement.

Cette fresque symbolise le courage des femmes indiennes, inépuisable malgré la vie dure des paysans, famines, inondations. Dix ans seulement se sont écoulés entre l’Indépendance de l’Inde et la sortie du film en 1957. J’ai lu sur wikipedia qu’un livre Mother India par Katherine Mayo  en 1927, dénonçant les traitements accordés aux femmes indiennes ainsi que le sort des Intouchables avait causé un scandale et avait été brûlé avec la figure de son auteur en effigie. Le film au même nom, aurait été une réponse.

http://www.youtube.com/watch?v=yNFPjvT5PJM

J’ai beaucoup aimé les scènes de la vie villageoise, dépeinte à la manière de Bollywood avec des chants et des danses, des chorégraphies mettant en scène les travaux des champs, des la récolte du millet à la faucille, au vannage des grains.L’arrivée des invités à la noce dans des chars à bœufs qui se font la course est très réussie. Colorée, la fête villageoise en l’honneur de Krishna, Festival des couleurs….J’ai moins aimé les scènes mélodramatiques où la mère se lamente, étreint ses fils..La tragédie hésite, d’une scène dramatique on enchaîne sans transition à un comique presque primaire où les grimaces des acteurs sont exagérées, puis à nouveau des batailles au bâton, et des catastrophes filmées en grand spectacles. La scène de l’incendie est particulièrement spectaculaire d’autant plus que j’ai lu que Nargis, l’actrice qui joue Radha, a failli y périr et qu’elle fut sauvée par l’acteur qui devient ensuite son mari.

Jodhaa Akbar – film de Ashutosh Gowariker (DVD)

SAISON INDIENNE

Jalalludin, empereur moghol, musulman, épouse Jodhaa, princesse Rajpoute, hindoue, pour conclure une alliance politique. Jalal (Hrithik  Roshan) est jeune, beau, valeureux, c’est un souverain magnanime qui veut conquérir l’Hindoustan. Hodha (Aishwarya Rai) est belle, instruite, elle sait lire et calligraphier, cuisiner et manie le sabre.

Couverts de joyaux, dans les palais merveilleux, le film s’annonce comme une romance des Mille et Unes nuits, un conte oriental, coloré et romantique. Les batailles mettant en scène des milliers de figurants, des éléphants, chevaux et dromadaires annoncent la superproduction dans les déserts du Rajasthan et dans les montagnes arides.

A 4 semaines de notre départ pour Delhi et le Rajasthan, cela aurait suffit pour mon plaisir! Introduction magnifique à nos visites aux forts et aux palais. Il était temps que je m’intéresse aux Moghols avant d’aller voir le Taj Mahal!

3h20 de film. Il m’a fallu interrompre la lecture pour terminer le lendemain. Interruption bienvenue parce que je me suis documentée entre temps sur la véritable histoire d’Akbar.

Akbar ,un  des plus grand empereurs moghols,  est né en 1542, fils d’Humayun, chassé d’Inde par un aventurier Afghan. Jalal a 14 ans quand il accède au trône en 1556. Le film commence par la bataille de Pânipat qui a opposé les Afghans et 30 ooo Rajpoutes avec 1500 éléphants, gagnée par les Moghols. Pour conquérir l’Hindoustan, Jalal préfère les alliances aux effusions de sang. C’est pour sceller une de ces alliances que le roi d’Amber (Jaipur) offre sa fille la princesse Jodhaa en mariage. Jodhaa pose ses conditions, elle conservera sa religion hindoue et emportera au Fort rouge d’Agra sa statue de Krishna à qui elle pourra rendre sa dévotion. Jalal, amoureux de la princesse, mais aussi magnanime et tolérant, cède à ces conditions et attendra patiemment l’acceptation de la princesse pour consommer le mariage. Au palais rouge d’Agra, Jodhaa n’est pas la bienvenue, les conseillers musulmans, la nourrice, les serviteurs sont méfiants. Des pièges se tendent….mais Jalal deviendra Akbar, aimé de tout son peuple, tolérant toutes les religions, abolissant l’impôt sur les pélerinages hindouistes. Un grand empereur. Là, le réalisateur  laisse la romance pour l’hagiographie!

http://www.youtube.com/watch?v=jbSNhNGGBMs&feature=related

Cette grosse production a les qualités de ses défauts : des longueurs, dans les combats (je ne suis pas fan) même s’ils sont très esthétisants, des séquences musicales interminables et une musique martiale plutôt pompier, mais aussi des déploiements de couleurs vives, une séquence de derviches tourneurs, des décors somptueux, des étoffes, des bijoux merveilleux, des animaux. la séance de dressage de l’éléphant est impressionnante. Toujours garder présent à l’esprit que le temps de Bollywood n’est pas celui du cinéma occidental!

Ashutosh Gowariker est le réalisateur de Swades que j’avais beaucoup aimé, et de Lagaan. C’est un cinéaste indien reconnu. J’ai lu que Jodhaa Akbar avait été retiré de l’affiche au Rajasthan

Fire – un film de Deepa Mehta (DVD)

SAISON INDIENNE

 

 

 

Après La Famille Indienne et le Mariage des Moussons, films Bollywoodiens, et autres Noces indiennes, ce film n’a pas pour but de glorifier la famille indienne, les noces, arrangées mais triomphantes, au contraire!

La famille de Fire vit au dessus du restaurant de fast-food à l’indienne, et du magasin de location de vidéo. Elle se compose de deux couples mariés, Ashok et Rhada, les ainés, Jatin et Sita, nouveaux mariés, de la mère Biji, mutique après une attaque, et du serviteur Mundu. Un panneau,  dans la salle à manger familiale, »Home, Sweet home » donne le ton. Peu de douceur dans ce foyer. Jatin a dit « Oui à Sita » sur l’injonction de son frère et de sa mère, pour avoir l’héritier qu’Ashok et Rhada n’auront pas puisque Rhada est stérile.  Jatin ne renonce pas à l’amour de Julie, une Chinoise qui rêve de devenir une starlette de cinéma à Hong Kong.

Rhada et Sita  – Sita est la femme de Râma dans le Râmayana tandis que Rhada est l’amante de Krishna – se retrouvent seules à la maison délaissée tandis que Jatin est avec Julie et qu’Ashok est le disciple du gourou Swamiji qui lui enseigne principalement le renoncement, et surtout le renoncement au désir sexuel. Entre elles nait un amour qui n’est pas celui qui uniraient deux belles-sœurs.

Sita est jeune et pétulante, elle aurait aimé que son mari soit amoureux d’elle. Elle ne se contentera pas du rôle de génitrice que la famille lui assigne. Elle veut danser et vivre. Rhada a intégré le renoncement depuis qu’elle sait qu’elle n’aura pas d’enfant. Elle se soumet à l’étrange exercice spirituel que lui impose son mari, mettre à l’épreuve la chasteté d’Ashok en se couchant près de lui (j’ai lu une chose analogue à propos de Gandhi et je n’avais rien compris).

Rhada découvre le désir, elle ne soupçonnait même pas qu’une femme puisse avoir désir ou plaisir sexuel. Cette découverte la déconcerte. le désir est à l’opposé de ce que son mari lui impose et s’impose à lui-même « le désir est la ruine » affirme-t-il tandis qu’elle répondra à la fin du film que « le désir est la vie et je désire vivre ».

Pendant la durée de la projection, je me suis interrogée sur ce titre Fire. Une scène m’a donné un indice : l’épreuve du feu que Râma impose à Sita pour prouver sa pureté. La dernière scène justifie davantage le choix du titre. (mais je ne veux pas dévoiler l’histoire).

Ce film lesbien recommandé par Têtu et primé à Toronto, est-il vraiment un film indien? Deepa Mehta, née en Inde a quitté son pays pour le Canada en 1973. A sa sortie en 1996, il a provoqué en Inde un tel scandale qu’il a été retiré de l’affiche.

 

 

La Déesse – Satyajit Ray (DVD)

 SAISON INDIENNE

 

Le cinéma indien n’est pas que Bollywoodien! Loin des couleurs chatoyantes, des chansons et chorégraphies de Bollywood, les films de Satyajit Ray sont d’une sobriété et d’une force étonnantes.

Noir et Blanc, le film date de 1960, est-ce l’époque ou un choix?

Le générique déjà montre ce parti pris de rigueur : un masque blanc se pare des trois yeux de la Déesse puis les ornementations traditionnels apparaissent sur un plan fixe qui se termine par la procession qui se dirige vers le Fleuve. Un flash, image presque subliminale, un poignard, suggère que cette Déesse- Ma, la mère peut aussi être cruelle.

 

 

L’histoire contée ici, se situe au XIXème siècle au Bengale, elle est tirée d’un récit de Prabhat Mukherjee sur une suggestion de Tagore. Une très jeune femme, Doya, est mariée à un étudiant qui part apprendre l’anglais à Calcutta. Jolie, enjouée, aimée de tous, soumise aussi, c’est la belle-fille idéale pour Kalikinkar, veuf, dévot de Kali, très traditionaliste. Est-il épris de Doya? Ou seulement confit en dévotion? A la suite d’un rêve il est persuadé que Doya est une réincarnation de la Déesse.

Quand le mari revient, la jeune femme est immobile, adorée par tous les pèlerins. Elle a même opéré un miracle, guérissant l’enfant du mendiant. Il tente de la ramener à la vie raisonnable et de la persuader de s’enfuir. Doya ne sait plus si elle est humaine ou déesse.  Elle refuse de le suivre.

Le miracle ne se renouvellera pas. Son neveu, Khoka, qu’on lui a confié, meurt dans ses bras…

Cette tragédie est d’une pure beauté. L’actrice est merveilleuse aussi bien dans son rôle humain que dans celui de l’idole.

Le hasard qui fait bien les choses, m’a mis entre les mains le livre d’Alexandra David-Néel : L’Inde où j’ai vécu.  Il consacre un chapitre entier au culte de Shakti, Mère universelle adorée sous la forme de Kâli ou de Dourgâ et sous d’autres apparitions. Le culte offert à ces deux déesses comporte des sacrifices sanglants – on a même raconté des sacrifices humains – D’autres rites à Shakti peut aussi prendre des tournures sexuelles, raconte-t-elle.

L’apparition du poignard et la tournure tragique de l’histoire peuvent aussi être compris dans ce contexte. Le livret accompagnant le DVD voit aussi une critique de l’hindouisme orthodoxe. « On peut y voir le sempiternel combat entre l’obscurantisme et la lumière » On peut aussi faire une lecture psychologique de l’attachement du beau-père à sa belle-fille et le roman familial d’une jeune fille trop soumise, d’un fils qui n’arrive pas à s’opposer à l’autorité du père.