Elsa mon amour – Simonetta Greggio

LE MOIS ITALIEN/IL VIAGGIO

« Toutes mes clés sont dans mes romans. Que celui ou celle, qui tentera de raconter mon histoire le sache, hors de mes pages, mon existence n’est que commérage. Quelques détails, quelques goûts, quelques inflexions. Aborder l’histoire d’autrui n’est acceptable que dans la désinvolture oublieuse et amicale d’une partie de carte avec un inconnu » 

Les lectures communes permettent de s’échapper de la routine et d’aller vers des livres auxquels je n’aurais pas pensé.

Si je connais de nom Elsa Morante, je n’ai rien lu d’elle. Cette biographie me sert donc d’introduction et je me promets de lire au moins la Storia très prochainement. Cette biographie est-elle désinvolte, amicale ou commérage?

Elsa Morante et Moravia à Capri

De nombreux personnages, écrivains ou cinéastes,  apparaissent dans ce roman. Parfois furtivement, parfois ils ont droit à tout un chapitre et même plusieurs. Moravia, son mari est plutôt décrit comme compagnon d’écriture et de travail que comme amant ou mari. A la fin :  longue citation du Mépris, tel que Godard l’a filmé. Portrait vachard comme celui de Malaparte sous un jour peu flatteur.  Personnages mondains comme les  Agnelli, Virginia et Eduardo du temps du fascisme – personnages influents dans l’Italie d’alors. Avec beaucoup plus de tendresse : Anna Magnani,  Pasolini qui traverse le roman à nombreuses reprises. Très belle évocation de Leonor Fini. Plus équivoque, le personnage de Visconti avec qui Elsa a entretenu une relation plutôt univoque. Fellini, Pavese…combien d’autres? Toute une période de la vie intellectuelle italienne. Un peu « people » quand même. L’auteure a-t-elle évité l’écueil du commérage?

Histoire d’amour avec sa ville de Rome  où j’ai eu plaisir à y retourner :

« Je me suis souvenue à quel point ma ville est un Caravage, chiaroscuro, un miracle secret. Une intimité effarouchée, un baiser volé. Une ville habitée par des bêtes monstrueuses, mi-chevaux, mi-dauphins, animaux mythiques chers à mon âme. Je suis moi-même l’un des monstres sacrés de Piazza Navona….. »

Rome, bien plus que l’Italie, est ma patrie »

On peut aussi faire une lecture historique, s’intéresser au rapport entre les intellectuels et les puissants au fascisme, s’intéresser à la façon dont deux écrivains juifs (à moitié mais les Allemands ne faisaient pas dans la nuance) ont traversé la période de la guerre.

Bizarre! je me suis plus attachée aux comparses qu’à Elsa elle-même. Peut être parce que ces amis faisaient partie de sa personnalité?

elle écrit aussi

« Pourquoi croit-on que les écrivains écrivent, si ce n’est pour prêter leur voix à ceux qui n’en ont pas – qui n’en n’ont plus? »

Comme si l’évocation de ses amis étaient l’essentiel de sa vie? Il faut vraiment que je lise dans le texte!

 

 

Têtes de Maures – Didier Daeninckx

LIRE POUR LA CORSE

Un polar corse au retour d’Ajaccio!

Lecture parfaite pour rester au bord de la mer, à Porticcio où je me suis baignée, dans les villages de l’intérieur. Je me fais des films avec des images récentes.

Melvin Dahmani doit quitter Paris, se faire oublier. A la suite d’embrouilles et d’escroqueries, il reçoit une convocation au commissariat.En même temps, un curieux faire-part de décès d’un amour de vacances ancien, lui parvient, il décide de partir pour Ajaccio et d’assister aux funérailles.

Au cimetière, après l’enterrement,  il est victime d’une balle perdue. Lysia s’est-elle suicidée? Dans quelle affaire s’est-il embarqué? Un cahier caché par Lysia fait référence à des histoires anciennes remontant au décès de deux petites filles en 1931. Le livre est rythmé par des brèves de Corse-matin datées de juin 2012, faisant état de nombreuses fusillades, d’accidents suspects, exécutions, plasticages….climat de violence!

Melvin Dahmani cherche à élucider le mystère de la mort de Lysia . Il rencontre sa famille, des témoins, un peintre sympathique et bien bavard pour un Corse, une séduisante journaliste….. Il mène un curieux « tourisme funéraire » .

Mais je ne vais pas spoiler!  C’est un peu rocambolesque, un peu compliqué! A vous de le lire!

La chasse de nuit – Marie Ferranti

LIRE POUR LA CORSE

incipit :

« Le premier soir de pleine lune, au printemps, nous chassons la nuit en meute. Une fois l’an, nous nous retrouvons, hommes femmes et chiens sous le grand chêne blanc, près de la rivière. L’eau est la demeure des esprits. Celle des morts qui n’ont pas encore expié leurs fautes et se cachent dans les eaux vives. »

La chasse de nuit est celle du mazzeru.

Le mazzeru est le « chasseur d’âmes« , celui qui chasse de nuit les animaux avec son gourdin et qui lit dans les yeux de ses proies le destin de ceux qui vont mourir. Chasse-t-il éveillé ou somnambule? Une sorte de sorcier qui a reçu le don de divination.

« Avant de commencer la battue, je ramasse un peu de terre, m’en frotte les paumes, en respire l’odeur. Je n’ai ni fusil ni poignard. Mes seules armes sont un bâton, la mazza, taillée dans un sarment de vigne, et mes dents; Je deviens l’animal. Je suis le mazzeru, celui qui frappe et annonce la mort »

Roman fantastique donc. Roman d’un village corse avec des familles ennemies. Roman de paysans, de chasses. Le narrateur est fils de notable, qui vit sobrement de ses rentes. Quand il doit annoncer la mort de Petru, le médecin, d’une famille concurrente, Lisa, la femme de Petru se rebelle contre le sort et vient trouver le mazzeru

« vous êtes le diable » dit Lisa

A ces mots , je ne sais ce qu’il advint, le sol se déroba sous moi et je tombai sans connaissance… »

Cela commençait donc très bien, fantastique, tragédie, traditions rurales. Mais les séductions bien terrestres, les rapports amoureux ou tout simplement sexuels s’en mêlent et brouillent le récit. Le sorcier est envoûté par la femme interdite, il couche avec la servante, vit avec une troisième. C’est un peu trop pour moi. Tout se mêle, jalousies, désir, sorcellerie….J’ai du mal à suivre. Quel indécis! cet homme qui se laisse aller à ses rêves et ne sait pas choisir. Il m’agace. En revanche, j’ai beaucoup aimé  le personnage d’Agnès, ancienne sorcière qui connaît les remèdes, qui chasse le mauvais oeil.

Cette chasse de nuit fascine et  agace mais je laisse pas indifférent. Je me suis laissé prendre et ne l’ai pas lâché.

 

L’auberge Rouge – Balzac

LECTURE COMMUNE

 

t »En ce moment les convives se trouvaient dans cette heureuse disposition de paresse et de silence où nous met un repas exquis, quand nous avons trop présumé de notre puissance digestive. Le dos appuyé sur sa chaise, le poignet légèrement soutenu par le bord de laable, chaque convive jouait indolemment avec la lame dorée de son couteau. Quand un dîner arrive à ce moment de déclin, certaines gens tourmentent le pépin d’une poire ; d’autres roulent une mie de pain entre le pouce et l’index ; les amoureux tracent des lettres informe avec les débris des fruits : les avares comptent leurs noyaux et les rangent sur leur assiette comme un dramaturge dispose ses comparses au fond d’un théâtre… »

Balzac nous régale quand il s’agit de repas partagés, jusqu’à plus faim ou plus soif, quand les langues se délient et que les convives racontent, se livrent, ne se protègent plus derrière le masque de la civilité, et se trouvent vulnérables.

Trois chapitres dans cette courte nouvelle (33 pages). Le premier commence autour d’une table dans un déjeuner qu’on imagine mondain, l’un des dîneurs, un Allemand,  raconte une anecdote étrange : une histoire qui s’est déroulée quand les troupes napoléoniennes occupaient une province allemande.

Le second chapitre, se passe dans l’Auberge rouge. Deux carabins vont rejoindre leur régiment. Sympathiques, les  amis d’enfance s’arrêtent à l’auberge.  Ils y font connaissance avec un industriel qui leur fait des confidences….(je ne veux pas spoiler). L’anecdote vire au fantastique. Je n’imaginais pas Balzac dans ce registre.

Nous retrouvons les dîneurs dans le troisième chapitre et l’Allemand, mais la nouvelle prend une nouvelle direction : un dilemme moral, concernant les biens mal acquis. Est-il juste d’épouser la fille d’un homme dont la richesse provient d’une origine douteuse? La fin très moralisatrice m’a un peu agacée. Si la jeune fille est admirable, doit-elle être responsable des agissements de son père?

33 pages seulement, avec une telle densité qu’on termine la nouvelle avec l’impression d’avoir lu un long roman! Bravo Balzac!

Je me réjouis des lectures communes et j’ai hâte de lire les billets de Claudialucia et Maggie

Le Sermon sur la Chute de Rome – Jérôme Ferrari

LIRE POUR LA CORSE

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J’avais commencé après le Goncourt Le Sermon sur la chute de Rome et j’avais renoncé. Rebutée par le style, les phrases interminables et interloquée par le sujet : quel rapport avec Rome? m’étais-je demandée. On n’est pas forcé de lire les Goncourt!

De retour de Corse, après avoir lu A son image, et l’avoir aimé, j’ai fait une nouvelle tentative. Et je me suis laissé séduire. Il faut du souffle pour apprécier le style de Ferrari, et de la persévérance. Mais quand on se laisse emporter, le charme opère.

Comme A son image qui illustre les parties d’un Requiem, le plan du Le Sermon sur la Chute de Rome est construit à partir des phrases-clé du sermon de Saint Augustin. Construction intelligente. Quel rapport entre la Chute de Rome assiégée en 410 par les troupes de Genséric et l’échec du bistro d’un village corse?

Le Sermon sur la Chute de Rome peut aussi être envisagée comme une saga familiale dont l’origine est une photo prise en 1918 de la mère de Marcel Antonetti, de ses sœurs et de son frère, et dont la conclusion serait la mort de Marcel, le grand père, comme une défaite.

« Nous ne savons pas, en vérité, ce que sont les mondes. Mais nous pouvons guetter les signes de leur fin. Le déclenchement d’un obturateur dans la lumière de l’été, la main fine d’une jeune fille fatiguée posée sur celle de son grand-père, ou la voile carrée d’un navire qui entre dans le port d’Hippone, portant avec lui, depuis l’Italie, la nouvelle inconcevable que Rome est tombée »

Si le centre de l’histoire est la tentative de Mathieu et de son ami Libero de faire revivre le bistro du village de montagne corse. Histoire d’amitié depuis l’enfance de deux garçons. Histoire de l’attachement au village corse de leur enfance.

Et Saint Augustin, là de-dans?

« Libero croyait que son honorabilité était inscrite au fronton d’un ciel haut et pur dont importait peu que personne n’en connu l’existence. Il fallait se détourner des questions morales et politiques, gangrénées par le poison de l’actualité et se réfugier dans les déserts métaphysiques de la métaphysique. »

Libero décide de faire son mémoire de master de philosophie sur Augustin.

Aurélie, la sœur de Mathieu, archéologue part en Algérie chercher les vestiges de la cathédrale d’Hippone.

Les deux étudiants en philosophie abandonnent leurs études et se lancent dans l’aventure au village. Le succès de leur entreprise est fulgurant. Tragique est la chute.

L’art de Ferrari est de faire vivre tout un monde, au village, mais aussi à Paris et dans les colonies. Les personnages secondaires ne sont pas esquissés, chacun est  le personnage principal de son épisode dans l’histoire.

Je ne regrette donc pas d’avoir recommencé cette lecture. Je devrais rééditer l’expérience. Chaque livre attend son heure

 

Les Frères Corses – Alexandre Dumas

LIRE POUR LA CORSE

« Vers le commencement du mois de mars de l’année 1841, je voyageais en Corse. 

Rien de plus pittoresque et de plus commode qu’un voyage en Corse : on s’embarque à Toulon : en vingt heures on est à Ajaccio, ou,en vingt-quatre heures à Bastia.

Là on achète un cheval![….]de temps en temps on s’arrête pour visiter un vieux château bâti par quelque seigneur, héros et chef d’une tradition féodale, pour dessiner une vieille tour élevée par les Génois[…] Quant au logement de chaque nuit, c’est bien plus simple encore : le voyageur arrive dans un  village, traverse la rue principale dans toute sa longueur, choisit la maison et frappe à la porte.[…]

Allez sans crainte à Ajaccio, à Bastia, une bourse pleine d’or pendue à l’arçon de votre selle, et vous aurez traversé toute l’île sans avoir couru l’ombre d’un danger : mais n’allez pas d’Occana à Levaco, si vous avez un ennemi qui vous ait déclaré la vendetta, car je ne répondrais pas de vous pendant ce trajet de deux lieux... »

Alexandre Dumas se met en scène avec vivacité et nous le suivons bien volontiers.

Ce n’est pas un récit de voyage comme l’incipit pourrait le faire croire.

Court roman de 110 pages:  vous y rencontrerez des caractères bien trempés.  Vous assisterez à une ou plutôt deux vendette, un ou plutôt deux duels… parce que les frères corses sont deux, et jumeaux. Aussi ressemblants physiquement qu’opposés de caractère. L’un étudie le Droit à Paris, cultivé, moderne. L’autre – dit Dumas – est corse! Avec le « corse« , vous verrez des poignards historiques,  vous irez dans le maquis, rencontrerez un bandit…A Paris, vous irez à l’opéra, souper dans la haute société…

Et vous passerez une bonne soirée de lecture!

 

La vendetta – Balzac

LIRE POUR LA CORSE?

La vendetta de Balzac est peut être une histoire corse, mais elle se déroule à Paris. En 1800, arrivent à Paris un « étranger, suivi d’une femme et d’une petite fille« – étranger? corse, plutôt! « je vais voir si les Bonaparte se souviennent de nous. » Il viennent demander asile et protection après avoir « tué tous les Porta« .

 

Quinze ans plus tard, Ginevra prend des leçons de peinture chez Servin qui était le maître reconnu pour la « peinture féminine » c’est une élève douée mais rejetée par les filles de la plus haute aristocratie. Occasion de décrire les caractères de ces jeunes filles qui »appartenaient à un monde où la politesse façonne de bonne heure les caractères, où l’abus des jouissances sociales tue les sentiments et développe l’égoïsme ». Les pages décrivant l’atelier, les cabales et mesquineries des jeunes filles sont un pur bonheur de lecture. 

Après le second retour des Bourbons en juillet 1815, les bonapartistes sont pourchassés. Ginevra découvre qu’un proscrit corse se cache dans l’atelier de Servin. Coup de foudre, les deux jeunes corses vont se marier. Tout serait pour le mieux si on ne découvrait pas que Luigi est un survivant de la vendetta qui a chassé les parents de Genivra de Corse. Roméo et Juliette à Paris!

 

Ginevra tient tête à son père, elle épouse Luigi sans son consentement. La vengeance opérera cependant…..

Qui mieux que Balzac décortique les rapports familiaux ou sociaux? Les mesquineries des aristocrates dans l’atelier du peintre sont distillées avec un art consommé. De même les rapports père-fille, l’abus de pouvoir du père. Refuse-t-il le mariage à cause de la vendetta ou par peur de perdre sa fille?

Court roman ou longue nouvelle qui mérite un moment de lecture!

 

 

A son image – Jérôme Ferrari

LIRE POUR LA CORSE

« La mort prématurée constitue toujours, et d’autant plus qu’elle est soudaine, un scandale aux redoutables pouvoirs de séduction »

En ce qui concerne le style de Ferrari, il est magistral.

La construction du roman est brillante. Le narrateur est le prêtre qui sert la messe des funérailles de sa nièce et filleule, Antonia. Un chœur  chante en polyphonie ; chaque partie du Requiem est le titre des chapitres. Je ne connais pas la liturgie, je ne peux faire les correspondances, je suppose qu’il y en a. Cette messe va raconter la vie de la défunte – une photographe de presse.

C’est donc l’histoire d’une jeune femme d’aujourd’hui, fascinée par les photographies anciennes, à qui son parrain, le prêtre, a offert son premier appareil photo, qui deviendra photographe dans un quotidien régional ; lassée de couvrir les concours de pétanques et les événements provinciaux, elle part comme photographe de guerre en Bosnie et en Serbie. A son Image a pour thème l’image photographiée, le témoignage des photographes de presse. Curieux hasard, j’ai lu le mois dernier Miss Sarajevo, l’histoire d’un photographe de cette même guerre.

« Oui, les images sont une porte ouverte sur l’éternité. Mais la photographie ne dit rien de l’éternité, elle se complaît dans l’éphémère, atteste de l’irréversible et renvoie tout au néant.. »

Photographier l’horreur de la guerre, « les massacres, les déportations […]brutalement arrachés à la sphère de l’intime pour être exposés en pleine lumière » . Dès 1911, on attend de Gaston C « qui’l tienne la chronique minutieuse des défaites de l’empire Ottoman«  en Lybie, quand les troupes italiennes s’emparent de la Tripolitaine, qu’il illustre la propagande colonialiste italienne en quelque sorte . Il prend des photos d’un massacre impossibles à publier, puis la pendaison des responsables du massacre, quatorze arabes pendus en chapelet d’un même gibet, puissance de l’image, déjà!

De l’autre côté de la Méditerranée, dans les Balkans, un autre photographe, Rista développe les pellicules trouvées sur des soldats autrichiens et « découvre que, curieusement, les hommes aiment à conserver le souvenir émouvant de leurs crimes, comme de leurs noces, de la naissance de leurs enfants[…]Tout au long du siècle qui commence ils prendront des photos de leurs victimes, abattues ou crucifiées le long des routes d’Anatolie comme dans un jeu de miroirs  multipliant à l’infinie l’image du christ, ils poseront inlassablement le long d’une fosse pleine de corps nus…. »

Réflexion sur le pouvoir des images, et sur la fascination pour les images horribles. La photographie comme témoignage, comme propagande, doit-on tout photographier?

Les images racontent l’horreur  tout au long du 20ème siècle, le long des guerres qui l’ont ravagé.

Plus près d’Antonia, en Corse, une autre sorte de guerre – celle que les indépendantistes croient mener contre le pouvoir colonialiste – mobilise les garçons du village. Antonia assiste à ces réunions clandestines des hommes cagoulés, ses photos valident la mise en scène  « Sous son objectif tous ses amis évoquaient des personnages de tragédie en proie à d’indicibles tourments, ce qui pouvait bien être le cas... « Antonia comme les autres filles sont réduites au rôle de compagnes des combattants. Rôle, oh combien  traditionnel. Antonia devient « la femme de Pascal B. », qui est arrêté, puis incarcéré. Elle ne peut se contente de ce rôle et le quittera. Plasticages, ruptures dans le FNLC, compétition des attentats….

En 1991, Antonia arrive à Belgrade, rejoindre la guerre qui vient d’éclater, elle prend des photos qui’l et impossible de regarder, elle écrit à son parrain « Je sais que certaines choses doivent rester cachées » , photos obscènes, « il y a tant de façon de se montrer obscènes ». Elle montre les photos à son parrain, « c’est le péché, murmure-t-il ». « elle se sent de plus en plus mal à l’aise que les photos qu’elle a prises aujourd’hui pourraient être publiées. «  et ne développera pas ces photos…

Réflexion sur le pouvoir des images, leur obscénité dans la complaisance, sur la violence. Portrait d’une femme. Ce roman est riche. Toutefois, la répétition de la violence, le machisme ambiant m’ont gênée dans la lecture de ce roman.

Omniprésence de la mort, dans ce Requiem. Depuis Colomba, ou Matéo Falcone, la Corse peut -elle se passer de cette culture des lamentations des morts?

 

 

La Carte des Mendelssohn – Diane Meur

« N’est-ce pas ce que je voulais dès le départ ; tisser de la toile, fabriquer de mes doigts un filet à envelopper le monde, avec de larges mailles pour gagner en étendue, mais aussi avec des mailles fines et serrées pour que le poisson ne passe pas à travers, pour que jamais plus rien ne se perde, ne s’oublie, ne disparaisse au fil de l’eau sans laisser de trace?  »

483 pages (avec les notes), d’une saga de la famille (élargie) des Mendelssohn sur près de 400 ans. Une saga est un récit historique, parfois un cycle romanesque épique. Cependant au terme de Saga, l’auteur, Diane Meur préfère la Cartographie qui fait allusion à un arbre généalogique qu’elle tente de construire, en précisant dates de naissance et de décès (classique) mais aussi religion et profession.

Moritz Oppenheim : rencontre de Lavater et de Moses Mendelssohn

Dans la famille Mendelssohn:  le fondateur, Moses Mendelssohn (1729-1786), philosophe des Lumières, ami de Lessing, Juif pratiquant mais éclairé, affirmait que le rationalisme n’a rien d’incompatible avec le judaïsme, et fut surnommé le Luther des Juifs, Apprécié de Kant.

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Le musicien : Felix Mendelsohn Bartholdy (1809-1847), petit fils de Moses est sans doute le plus connu des Mendelssohn. On a peut être oublié sa sœur Fanny dont les dons musicaux ont été contrariés par la tradition patriarcale du 19ème siècle qui empêchait une femme d’être aussi géniale qu’un homme.

Fanny Mendelssohn

Entre ces deux personnages célèbres, Abraham Mendelssohn-Bartholdy (1776-1835), le banquier, l’amateur éclairé a permis à ses deux enfants Félix et Fanny de devenir des musiciens de premier ordre. Soucieux aussi de la réussite sociale, il a élevé ses enfants dans la confession protestante. Il aurait bien aimé que Félix signe sa musique Bartholdy et non Mendelssohn, qui sonnait trop sémite.

Diane Meur aurait pu se contenter de retracer la biographie de ces trois personnages considérables. Ce n’est pas son propos. Les biographies de Moses ou de Félix ne manquent pas. Son intention est de saisir dans son filet toute la famille : les célèbres et les inconnus, les hommes qui ont transmis leur patronyme, mais également les femmes et leurs descendants appelés Mendelssohn ou non. Raconter la grande histoire et la petite. Donner presque autant d’importance aux relations de Moses Mendelssohn et de Frédéric II qu’à une religieuse belge dans l’anonymat d’un couvent au début du 20ème siècle.

Diane Meur, germaniste et historienne,  aurait pu raconter l‘histoire de la Prusse, puis de l’Allemagne et enfin de la purge terrible du IIIème Reich qui a éliminé la musique et les œuvres des Mendelssohn convertis au protestantisme ou au catholicisme depuis plus d’un siècle, rappelant à ces allemands assimilés depuis des générations qu’ils avaient du sang juif. « nager dans le grand bain de l’histoire » écrit-elle,

« ....Elle n’est pas un récit et ne saurait le devenir : les enchaînements, les causalités ne peuvent être montrés sans retours en arrière ni anticipations et le choix de ranger dans l’ordre tout ce qui arrive, au nom de la clarté apporte finalement une autre forme d’obscurité. Pourquoi mentionner l’arrivée de Voltaire à Berlin, on le voit à peu près puisqu’il s’agit d’un philosophe des Lumières. mais pourquoi parler de Bach? Il faudrait pour le comprendre, en être déjà arrivé à Félix Mendelssohn, qui sera initié à la composition par un admirateur de Bach et, à vingt ans, fera sensation en dirigeant la Passion selon saint Matthieu, oeuvre tombée entre-temps dans une certaine disgrâce »

Une saga, des biographies, un récit historique… ce n’est pas tout! C’est aussi le récit de l’écriture d’un roman. Diane Meur se met en scène dans ses recherches en bibliothèque, sur place en Allemagne, dans ses rencontre. Elle nous fait partager ses « berlinades » (mésaventures cocasses plombières ou serrurières) ses rencontres parfois très émouvantes, ses promenades dans la campagne prussienne et les surprises que lui offre le hasard. Elle nous fait aussi partager ses découragements, les impasses dans lesquelles ses recherches s’enlisent parfois.

L’auteure ne nous fait grâce d’aucune digression. Parfois je suis complètement égarée dans les descendants, les cousinages de personnages qui ont souvent les mêmes prénoms et les mêmes noms. Combien de Félix? d’Arnold? et même d’Enole, prénom inusité. Le livre m’est tombé quelques fois des mains, la canicule n’aide pas à la concentration.

Mais je l’ai repris, et chaque fois, y ai trouvé un intérêt renouvelé. Rencontres inattendues avec Lassalle, Marx ou Kassuth, je ne m’y attendais guère. Développements en Lituanie, en Turquie ou en Palestine…

Deux histoires se chevauchent, la grande : Histoire des Lumières et rencontre avec Lessing, Kant ou Chamisso (quelle merveille l’histoire de Schlemihl!), les Révolutions de 1848, la Guerre de Crimée et les ravages du nazisme. Et la petite : l’histoire de l’historienne qui veut écrire un roman. Les deux histoires sont passionnnantes!