LE MOIS ITALIEN/IL VIAGGIO

« Toutes mes clés sont dans mes romans. Que celui ou celle, qui tentera de raconter mon histoire le sache, hors de mes pages, mon existence n’est que commérage. Quelques détails, quelques goûts, quelques inflexions. Aborder l’histoire d’autrui n’est acceptable que dans la désinvolture oublieuse et amicale d’une partie de carte avec un inconnu »
Les lectures communes permettent de s’échapper de la routine et d’aller vers des livres auxquels je n’aurais pas pensé.
Si je connais de nom Elsa Morante, je n’ai rien lu d’elle. Cette biographie me sert donc d’introduction et je me promets de lire au moins la Storia très prochainement. Cette biographie est-elle désinvolte, amicale ou commérage?

De nombreux personnages, écrivains ou cinéastes, apparaissent dans ce roman. Parfois furtivement, parfois ils ont droit à tout un chapitre et même plusieurs. Moravia, son mari est plutôt décrit comme compagnon d’écriture et de travail que comme amant ou mari. A la fin : longue citation du Mépris, tel que Godard l’a filmé. Portrait vachard comme celui de Malaparte sous un jour peu flatteur. Personnages mondains comme les Agnelli, Virginia et Eduardo du temps du fascisme – personnages influents dans l’Italie d’alors. Avec beaucoup plus de tendresse : Anna Magnani, Pasolini qui traverse le roman à nombreuses reprises. Très belle évocation de Leonor Fini. Plus équivoque, le personnage de Visconti avec qui Elsa a entretenu une relation plutôt univoque. Fellini, Pavese…combien d’autres? Toute une période de la vie intellectuelle italienne. Un peu « people » quand même. L’auteure a-t-elle évité l’écueil du commérage?
Histoire d’amour avec sa ville de Rome où j’ai eu plaisir à y retourner :

« Je me suis souvenue à quel point ma ville est un Caravage, chiaroscuro, un miracle secret. Une intimité effarouchée, un baiser volé. Une ville habitée par des bêtes monstrueuses, mi-chevaux, mi-dauphins, animaux mythiques chers à mon âme. Je suis moi-même l’un des monstres sacrés de Piazza Navona….. »
Rome, bien plus que l’Italie, est ma patrie »
On peut aussi faire une lecture historique, s’intéresser au rapport entre les intellectuels et les puissants au fascisme, s’intéresser à la façon dont deux écrivains juifs (à moitié mais les Allemands ne faisaient pas dans la nuance) ont traversé la période de la guerre.
Bizarre! je me suis plus attachée aux comparses qu’à Elsa elle-même. Peut être parce que ces amis faisaient partie de sa personnalité?
elle écrit aussi
« Pourquoi croit-on que les écrivains écrivent, si ce n’est pour prêter leur voix à ceux qui n’en ont pas – qui n’en n’ont plus? »
Comme si l’évocation de ses amis étaient l’essentiel de sa vie? Il faut vraiment que je lise dans le texte!


t »En ce moment les convives se trouvaient dans cette heureuse disposition de paresse et de silence où nous met un repas exquis, quand nous avons trop présumé de notre puissance digestive. Le dos appuyé sur sa chaise, le poignet légèrement soutenu par le bord de laable, chaque convive jouait indolemment avec la lame dorée de son couteau. Quand un dîner arrive à ce moment de déclin, certaines gens tourmentent le pépin d’une poire ; d’autres roulent une mie de pain entre le pouce et l’index ; les amoureux tracent des lettres informe avec les débris des fruits : les avares comptent leurs noyaux et les rangent sur leur assiette comme un dramaturge dispose ses comparses au fond d’un théâtre… »

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« N’est-ce pas ce que je voulais dès le départ ; tisser de la toile, fabriquer de mes doigts un filet à envelopper le monde, avec de larges mailles pour gagner en étendue, mais aussi avec des mailles fines et serrées pour que le poisson ne passe pas à travers, pour que jamais plus rien ne se perde, ne s’oublie, ne disparaisse au fil de l’eau sans laisser de trace?

