Film très vénitien, jouant merveilleusement bien du décor naturel de Venise, recréant aussi des peintures vénitiennes dans les intérieurs, plaisir des yeux.
Al Pacino est Shylock, très convainquant, poignant même. Sa présence sauve l’oeuvre d’accusation d’antisémitisme. Mention spéciale à Portia, Lynn Collins, blonde vénitienne, belle et astucieuse à souhait.
Toutefois, si l’adaptation est fidèle dans l’ensemble, je n’ai pas retrouvé la verve de Shakespeare dans certaines scènes mineures comme le dialogue entre Bassanio et Antonio qui m’avait étonné. Le caractère de Lancelot est effacé. La richesse de Shakespeare est aussi sa capacité à changer de registre de langage, à faire côtoyer gens du peuple, serviteurs et nobles seigneurs.
Mise en scène en noir et blanc pour un Richard d’une noirceur absolue.
Mise en scène violente, de bruit et de fureur, pour représenter le Chaos que Richard provoque, le meutre.
Seul Richard occupe le devant de la scène, Richard le contrefait, le manipulateur, tantôt séducteur, tantôt menaçant.
Richard démultiplié, Vincent Mourlon, Arm et Olivier Mellano, 3 personnages incarnent le duc de Gloster : l’acteur qui enjôle et éructe, le guitariste et le rappeur qui scande des paroles maléfiques.
les autres personnages apparaissent en négatif, sur un écran noir, silhouettes blanches, personnages stylisés, détourés.
Le décor est minimaliste : cet écran où sont parfois projetés les textes, les silhouettes et qui s’illuminent de flashs difficilement supportables par le spectateur, un trône (ressemblant à une chaise d’arbitre de tennis), deux podiums occupés par les musiciens. la musique est lançinante. On ne sort pas indemne de cette plongée de cette évocation infernale.
la traduction de Markowitz est hallucinée,d’une puissance qui entre en résonnance avec le rap. D’ailleurs que rappe-t-il? Shakespeare ou des incantations personnelles, on ne sait plus bien.
» Romeo et Juliette ont quatorze et quinze ans…cette pièce a le rythme cardiaque d’un adolescent et Shakespeare l’a sans doute écrite dans cet état-là »
dit Magali Léris dans un entretien avec C Robert.
Elle choisit de monter la pièce dans la traduction de Blandine Pelissier « jeune et impertinente » la gestuelle est également très contemporaine, inspirée peut être par le hip hop . Je crois reconnaître mes élèves. Ces Montaigu et ces Capulet qui se provoquent en faisant des « doigts d’honneur, ils ressemblent à mes élèves. Shakespeare djeun? Je me prends à regretter les costumes d’époque et les décors italiénisants. Est-ce que je sors le soir au théâtre pour retrouver la cité? Les décors tubulaires « verticaux » je les ai trop vus…Juliette est une tête à claque de 3ème…(actrice excellente)et Pâris fait des effets de mèche gothique.
La surprise passée, après le premier acte où la scène du bal aurait mérité plus de lustre, la magie de Shakespeare opère. je retrouve le texte dans l’intimité des amants et je m’émerveille:
JULIETTE(III, 5)
... C’était le rossignol et non pas l’alouette
Qui a percé le fond craintif de ton oreille
Il chante sur ce grenadier
Crois moi, mon amour c’était le rossignol….
Et mon coeur redevient adolescent.
J’ai relu la pièce dans l’édition bilingue GF-Flammarion, traduction P J Jouve et G Pitoëffet mes premières préventions fondent comme neige au soleil. Si les adolescents provocateurs me paraissent grossiers, ils sont la distinction-même par comparaison à la grivoiserie des propos mysogynes que Shakespeare met dans la bouche de Mercutio et de Benevoglio s’adressant à la Nourrice. Toutes les plaisanteries à double sens devaient enchanter le public élizabethain (merci aux notes du traducteur qui éclairent le lecteur non averti).
Finalement, après cette relecture je comprends mieux le parti de Magali Léris qui m’avait désarçonnée.
Vendredi je suis allée au Théâtre des Quartiers d’ Ivry voir un Roméo et Juliette qui m’a d’abord surprise, Roméo moderne en jeans sa bande aux mèches gothiques, la gestuelle banlieue provocations, doigts d’honneur digne de mes élèves de collège. Roméo et Juliette est- elle une histoire qui pourrait émouvoir mes loulous des cités?
Peut être, puisque j’ai trouvé sur Internet le clip de Grand corps malade : Roméo arabe aime Juliette juive… la papa de Juliette tombe sur des textos….
Est-il capable d’aimer, alors que l’amour joue si peu de rôle dans les mariages royaux où les intérêts de l’Etat passent avant l’amour? c’est Polonius qui soulève cet argument, et il n’a sans doute pas tort, cette fois-là.
Est-il capable d »aimer alors qu’il est torturé par le spectre de son père?
La trahison de sa mère ne lui fait-elle pas perdre toute confiance en l’amour?
Ou simplement, solitaire, irrésolu, n’est-il pas dans sa nature de balancer entre des sentiments flous?
C’est Ophélie qui aime. Qui sait qu’elle aime. A la folie. Folie d’Ophélie/folie feinte de Hamlet ou vraie peut être?
Pour répondre à une question j’ ai posé tant d’intérrogations….
D’ailleurs, je viens de découvrir que le film est ressorti cette semaine à Paris et qu’on peut le voir en salle.
Un autre atout du Prospero’s Books de Greenaway est le choix de John Gielgud pour incarner Propero.
Prospero, le magicien entre en scène coiffé d’une sorte de bonnet à corne tel que le portaient les doges de Venise, manteau magique brodé de signes cabalistiques qui passe du bleu au rouge sans crier garde.
Dans la solitude de son cabinet, l’érudit est coiffé d’un simple bonnet de toile fine; mais quand il reprend son dûché de Milan, il revêt la fraise des hommes de 1611!
Dans mon billet précédent je m’interrogeais sur le singulier de » I’ll to my book »
Greenaway a décidé pour le pluriel. Il nous offre toute une bibliothèque d’incunables et de manuscrits (en plus d’une Tempête, d’une lutte de pouvoir, d’une histoire d’amour, d’un meurtre qui échoue, d’un mariage , c’est tout cela la Tempête). Grimoires de magiciens, planches d’anatomie, relations de voyages. On pourrait regarder le film en ne s’intéressant qu’aux livres.
Enigme: Prospero est il en train de rédiger le dernier de sa collection?
Inspiré de La Tempête de Shakespeare, le film de Greenaway est très loin d’une adaptation cinématographique et encore plus du théâtre filmé.
C’est du cinéma! et quel cinéma! du Greenaway, original.
Des images travaillées et retravaillées, découpée, sur-imprimées… plus proche de la performance esthétique que de l’illustration ou de la narration.
Parenté avec le spectacle de danse contemporaine de Hervieu et Montalvo (j’ai vu Orphée à la MAC, la semaine dernière) ou Prejlocaj.
Décors époustouflants (presque trop, on en est étourdi).
Greenaway prend toute liberté avec l’oeuvre qui l’a inspiré pour ré-écrire une histoire originale qu’il sert admirablement malgré ses infidélités.
Comme dans la Tempête de Shakespeare, le personnal central est Prospéro, le magicien, duc de Milan exilé sur son île.Son refuge désigné comme « cell », j’avais imaginé une grotte, une hutte, un modeste abri sur l’ île déserte de Caliban où Sycorax avait aussi été déportée. Grennaway a bâti un palais oriental avec péristyles, colonnades, bassins et sallles voûtées d’arcades presque aussi vaste que les citernes de Constantinople.
Je croyais que Prospero et Miranda n’avaient pour société que les esprits Ariel et Caliban, que Miranda n’avait jamais vu d’autres humains que son père. Greenaway a convoqué une armée de figurants le plus souvent nus ou en tenue extravagante convenant à un ballet contemporainplus qu’à une comédie élizabethaine.
D’entrée, je suis surprise. J’avais commandé un DVD en VO sous-titré en suéduois, sans aucune crainte puique j’ai l’édition bilingue de la pièce. Mais voilà! avec toutes les libertés que Greenaway s’est octroyées, je ne retrouve plus rien.
ActeI, sc.1, au lieu d’être à bord du navire en train de lutter contre les éléments, l’action se situe au bord d’une piscine, thermes antiques ou hammam oriental?Ariel, angelot aux boucles blondes se balance sur une balançoire et fait pipi dans les flots sur une très jolie maquette d’un voilier stylisé. Magie blanche? Assistons-nous à une cérémonie incantatoire comme celle où l’on plante des aiguilles dans les poupées figurant les victimes qu’on désire ensorceler?Ariel se démultiplie, enfant, adolescent, jeune adulte. Des images sous-marines montrent le naufrage, des nymphes ou des sirènes emportent les noyés dans un ballet nautique.
Caliban n’est pas le monstre contrefait mais un danseur nu très gracieux. Seules marques de sa disgrâce : ses attributs virils d’un rouge agressifs hypertrophés. Caliban danse, fait des entrechats, lu alors que je l’imaginais courbé sous les bûches des corvées que Prospero lui infllige.
Napolitains et Milanais sont plus réalistes, une fraise d’un diamètre exagéré et un habit noir – sec comme l’avait précisé Shakespeare – nous ramènent dans la pièce originale.
A partir du 2ème acte, la stupeur passée, je suis désormais le texte avec mon livre. Greenaway a supprimé des scènes, a inventé des intermèdes originaux, a imprimé un rythme soutenu scandé par des images des grimoires et des manuscrits de la bibliothèque de Prospero. Chaque scène est annoncée par un encrier et une goutte d’encre. je finis par deviner que Prospero est en train d’écirire l’histoire. Quelle belle écriture que la sienne! le texte de Shakespeare se dessine: calligraphie en surimpression.
Trinculo, Stephano et Caliban projettent d’attenter à la vie de Prospero pour conquérir l’île. Harmonies rouges infernales, le palais de Propero est une sorte de pyramide. C’est un peu trop, je commence à fatiguer. Heureusement avec un DVD, on peut se permettre un entracte!
La fin est plus classique, j’attendais la partie d’échecs, une image furtive. La réconciliation est presque raisonnable, théâtrale.
Retour sur le bord de la piscine pour la noyade très esthétique des livres.
So glad of this as they I cannot be,
Who are surprised withal; but my rejoicing
At nothing can be more. I’ll to my book,
For yet ere supper-time must I perform
Much business appertaining.
Formule lapidaire, quel est donc le verbe sous entendu?
Yves Bonnefoy, le traducteur, écrit « je retourne à mon livre« , inconcevable absence du verbe en français. Economie de parole géniale.
Ferdinand et Miranda se sont déclarés leur amour l’un à l’autre. Miranda a même eu l’initiative de la demande en mariage. Coup de foudre du destin, ou arrangé par le magicien? Prospero a été témoin de la scène, s’en émeut brièvement et, retourne à son livre!
Son livre? étonnant singulier. Prospero est il érudit ou mage? On sait qu’il a préféré l’étude au gouvernement de son Duché de Milan qu’il a abandonné à son frère avant d’en être totalement dépouillé et chassé. Abandonné dans un canot misérable, grâce à l’intiative de Gonzalo il emporte quand même ses chers livres
Knowing I lov’d my books, he furnish’d me
From mine own library with volumes that
I prized above may dukedom.
Sur son île Prospero a donc emporté sa bibliothèque. L’usage du singulier désigne-t-il un grimoire magique ou participe-t-il de cette concision du langage qui caractérise la Tempête.
D’ailleurs à l’ActeV il annonce I’ll drown my book