Yannis Ritsos « j’écris le monde » – Inès Daléry – l’harmattan

LIRE POUR LA GRECE

J’ignore pourquoi je suis aussi sensible à la poésie grecque, à celle de Ritsos mais aussi à celle de Cavafy ou Seferis. 

Peut-être à cause du Théâtre antique, de la Mythologie, d‘Homère à qui je reviens toujours.

Peut-être aussi à cause de la musique, de Theodorakis qui m’a servi de passeur pour Epithaphios (CLIC lien vers un blog où vous pourrez l’entendre)

Yannis Ritsos ne m’est pas tout à fait inconnu : j’ai aimé le livre de Doucey : Ne pleure pas sur la Grèce (CLIC)

Après avoir lu Ismène , la soeur oubliée de M Serfati (CLICj’ai découvert que Ritsos avait écrit son Ismène lue par Adjani au festival d’Avignon 2017 le podcast n’est plus disponible sur l’Appli RadioFrance mais je l’ai trouvé sur YouTube(CLIC)

Et de fil en aiguille, j’ai trouvé cette biographie d‘Inès Dalery que j’ai lue avec grand plaisir.

Du poète, je ne connaissais que la facette de résistant du militant qui a écrit ce poème extraordinaire d‘Epitaphios  à la suite de la mort d’un gréviste de Thessalonique 1936.  Poète exilé sur les terribles îles-prisons, irréductible.

La biographie d’Inès Dalery raconte la vie de Ritsos dès son enfance à Monemvassia, puis Gythion dans le Péloponnèse, ses liens très forts avec sa sœur Loula, puis la malédiction familiale : la tuberculose qui va toucher son frère, sa mère, et finalement Yannis.  Dès l’adolescence : la poésie. Son premier texte est publié à 15 ans!

Yannis et sa sœur arrivent à Athènes en 1925 dans une ville submergée par les réfugiés d’Asie Mineure. Pauvreté et maladie. Sanatorium des pauvres et conscience de classe.

1936, le roi appelle au pouvoir Metaxas qui fait tirer sur les grévistes. la « photographie de la femme agenouillée devant un homme étendu à terre, les bras en croix, mort. » bouleverse Ritsos qui écrit Epitaphios

La biographie de Ritsos se confond avec celle des années noires de la Grèce, occupation allemande, famine, guerre civile. Ritsos rejoint la guérilla dans le nord de la Grèce, participe au théâtre du peuple et écrit pour le théâtre. Ritsos est arrêté en 1948. Arrêté aussi par les colonels en 1967.  

Ce sera l’exil dans les îles, travail forcé, coups, tortures  mais toujours Ritsos emporte dans sa valise des livres, des lettres et de quoi écrire des poèmes. Limnos, Makronissos, Aï Stratis, Yaros , Leros, Samos…

C’est aussi une histoire d’amour avec Falitsa, médecin . A Samos, l’île de Falitsa Ritsos n’était que le « mari du docteur »

Ne pleure pas sur la Grèce, quand elle est près de fléchir

Avec le couteau sur l’os, avec la laisse sur la nuque

La voici qui déferle à nouveau, s’affermit, se déchaine

Pour terrasser la bête avec la lance du soleil

 

Ismène la sœur oubliée – Michel Serfati – Editions du Canoë

Ismène est la sœur d‘Antigone, l’héroïne tragique qui me fascine. Je collectionne textes, représentations théâtrales, autour de cette femme qui dit non, qui défie l’autorité. 

La tragédie laisse peu de place à Ismène Le roman de Michel Serfati lui donne la place centrale ajoutant un personnage : Phénarète, la nourrice fidèle esclave. Ismène, la blonde, l’ainée, est celle qui dit oui à la vie, qui goûte les beautés de la nature, qui chante, prend des amants à sa guise, qui prodigue de l’affection à ses frères Etéocle et Polynice. Tout l’inverse d’Antigone la rebelle, dont un cauchemar dès son plus jeune âge a révélé sa destinée tragique.  

La première partie du livre est un résumé du mythe des Labdacides. Pour ceux qui se perdent un peu dans les histoires de cette famille bien compliquée cette mise au point est bienvenue. Je vais retourner à Sophocle surtout à Œdipe-Roi et Œdipe à Colone que je connais moins bien quAntigone. 

p121, au mitan du livre, Ismène se retrouve seule avec Créon, enceinte de Hémon. Que peut-il donc lui arriver. La tragédie est close. L’enfant à naître transportera-t-il la malédiction des Labdacides? Ismène retrouvera-t-elle l’insouciance de sa jeunesse et son appétit de vivre. Commence une longue errance. Elle retourne à Athènes et y rencontre Sophocle et lui offre son histoire dont il fera une tragédie. Puis, dans un chariot, avec la fidèle Phénarète et une petite escorte que lui accorde Créon, elle retourne vers les amants de sa jeunesse. Une femme seule, même princesse, est une proie fragile. L’hospitalité – une tradition méditerranéenne – lui offrira parfois du répit, parfois une menace voilée. Après avoir fait le tour de la Grèce, elle arrive en Sicile et trouve refuge à Motyé, colonie phénicienne, puis à Carthage…Nous parcourons tout le pourtour de la Méditerranée jusqu’au Sahara. Un beau périple où la princesse grecque devenue nomade a gagné une belle indépendance.

Belle, trop belle, figure féminine, peut-être trop moderne pour être crédible!

Une lecture agréable, prenante mais loin de la tragédie grecque.

 

Le Mur Grec – Nicolas Verdan

 POLAR GREC

 

Je ne rate jamais l’occasion d’un petit voyage en Grèce, même s’il s’agit d’un roman policier. A travers la résolution d’une énigme, nous pénétrons dans les arcanes du pouvoir, politique ou financier. L’auteur va démonter les rouages cachés de la société.

Nicolas Verdan est un écrivain et journaliste suisse francophone (vaudois) qui connaît bien la Grèce. Le Mur Grec, paru d’abord en 2015 a été réédité en 2022.

L’action se déroule pendant la Crise dans les années 2010. L‘Agent Evangelos , proche de la retraite, est nostalgique des années anciennes où l’on fumait dans les bars,  est assez désabusé. La Troika et l’Union européenne qui met en tutelle la Grèce sont assez mal ressentis

« première mesure d’austérité imposée aux Grecs par Bruxelles : l’interdiction générale de fumer dans les
établissements publics. Dans le Batman enfumé, l’air de liberté se respire à noirs poumons. »

On l’appelle pour une affaire étrange : on a trouvé une tête coupée sur les bords de l’Evros – fleuve frontière entre la Turquie et la Grèce, qu’on appelle Maritsa en Bulgarie.  Cette frontière est très sensible : lieu de passage terrestre des migrants surveillé par Frontex.

« une plaisanterie ou quoi ? Depuis quand nous allons repêcher les cadavres aux frontières ? Les clandestins
qui meurent en tentant le passage du fleuve, il y en a bientôt un par semaine. »

La tête ne correspond pas à celle d’un migrant, plutôt à quelqu’un qui aurait les moyens de payer un très bon dentiste. L’Agent Evangelos prend l’avion pour Alexandroupoli. Je suis ravie de le suivre en Thrace ou nous avons passé des vacances en 2013, région oubliée des touristes très authentique et originale. Au fil des pages je retrouve Xanthi, les Rhodopes, les Pomaks et la via Egnatia. Souvenirs aussi de lectures de Lisières de Kapka Kassabova. Une tête coupée, cela fait penser à Orphée, Thrace, lui aussi,

« Des scènes dansantes pour représenter le déchirement du roi Penthée par les ménades, des scènes
dansantes pour raconter la mort d’Orphée, des femmes aux cheveux dénoués, portant une couronne de
lierre, elles dansent, portant la nébride, brandissant le thyrse, sous l’œil amusé du dieu, le voici trônant au
centre de l’image, Dionysos qui leur tend une coupe, elles ne supportent pas le vin, il leur monte à la tête,
elles tournent, elles tournent, leur couronne tombe sur leur visage en feu, elles mâchent une feuille, puis
une autre, elles font gicler le jus dans leur bouche douce-amère, six, sept, onze ménades,
[…]

Penthée déchiré, Orphée décapité, sa tête inconsolable pleurant encore et encore cette femme dont le seul
nom irrite les compagnes de Bacchus, ménades devenues bacchantes mais c’est Virgile qui récite, Orphée chantant à jamais, décapitation, une tête tombe, elle roule dans le fleuve Evros et la voici qui nomme encore son Eurydice »

 

Image d’autant plus relevante que la tête coupée a été trouvée près d’un bordel fréquenté par les soldats de Frontex où se déroulaient d’étranges bacchanales.

Ne nous attardons pas trop dans la poésie lyrique. Cette enquête est  plutôt classique avec des politiques opportunistes décidés à exploiter l’affaire pour mettre l’Union européenne dans l’embarras, des appels d’offre truqués pour la construction d’un mur (des barbelés) destiné à contenir les migrants. Le voilà le fameux Mur Grec qui donne le titre du livre….Mais ne spoilons pas!

L’Agent Evangelos a peu d’états d’âme. Il sait qu’il ne trouvera pas la justice, juste un peu de la vérité alors qu’on lui conseille de laisser tomber.

Laisse tomber, Evangelos ! Ils sont contents à Athènes, tu m’as bien compris ? Tout ce qui les intéresse, la
seule chose qui compte pour eux, c’est le mur, crois-moi, et cette histoire de tête, ils disent que c’est pour
nous, parce qu’ils savent qu’on n’a pas le temps d’enquêter plus loin,

C’est un bon polar qui se lit vite, lecture facile,  addictive. Vous n’y trouverez pas de folklore grec. Ce n’est pas la Grèce pour touristes (sauf l’hôtel dans l’Imaret de Kavala, magnifique!).

 

Le livre du feu – Christy Leftery – Seuil

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

le livre du feu

Christy Leftery est l’autrice de L’Apiculteur d’Alep et de Les Oiseaux chanteurs que j’ai lus avec intérêt. J’ai donc accueilli avec impatience ce livre offert par Babélio et les éditions du Seuil que je remercie vivement. Christy Leftery écrit en anglais mais ses origines chypriotes lui confèrent une bonne connaissance du monde hellène.

J’ai donc embarqué pour la Grèce par un été brûlant d’incendies meurtriers. Le roman est paru en Grande Bretagne en 2023 et 2023 a été l’année de feux particulièrement virulents dans le nord de la Grèce, à Rhodes, Eubée l’an passé… C’est donc un sujet d’une criante actualité. « La maison brûle et nous regardons ailleurs » (2002) avait prévenu Chirac. 

Et pourtant, malgré l’urgence, malgré la documentation de l’écrivaine, quelque chose n’a pas fonctionné dans la lecture. Les meilleurs sentiments ne font pas forcément la meilleure littérature. Le refrain « il était une fois un petit pois » qui donne le ton du conte m’a agacée.

J’aurais aimé un récit plus détaillé. Un charmant village? Où exactement, sur une île? Laquelle? Le kafeneon est bien conventionnel, interchangeable. Intéressante l’histoire de l’exil des Grecs Pontiques, on aimerait en savoir plus, les connaître mieux. Touchante l’insertion de ces exilés à Londres, j’aurais aimé les suivre. Diverses pistes s’ouvrent, et se ferment aussi vite. 

La forêt saccagée repoussera-t-elle?

La question des responsabilités de l’incendie n’est pas éludée, l’incendiaire démasqué, certes. La part du réchauffement climatique évoquée. L’incurie des autorités aussi. Les constructions illégales…Une enquête approfondie s’imposerait. Au lieu de cela, un non-lieu. Le responsable est mort. le dossier est clos.

je reste sur ma faim.

Dans les Règles de l’Art – Makis Malafekas –

LIRE POUR LA GRECE

« C’est simple : quand une œuvre n’existe pas, tu dois l’acheter avec de l’argent qui n’existe pas. Ça marche
comme ça. Comme tout le reste, d’ailleurs. L’argent et l’art sont deux visages identiques qui se regardent dans le miroir. Le fric spécule de lui-même pour engendrer plus de fric, venu de nulle part, comme du faux argent, si tu veux. Le pognon va au pognon. Et toi, après, t’achètes le rien. T’achètes une œuvre qui n’existe pas, qui n’est, au mieux, qu’une idée. Ce rien-là vient se ventouser à l’autre rien, et ils se font un bisou. »

La Documenta 14 s’est déroulée en juillet 2017 à Athènes. l’auteur grec Makis Malafekas a situé l’action du roman Dans les Règles de l’art au cours de cet évènement. Le narrateur, Mikhaelis Krokos, écrivain grec, arrive à Athènes pour la sortie de son livre sur John Coltrane. Mauvais timing, qui se soucie de Coltrane alors que la ville bruisse d’installations et d’évènements autour de la Documenta?

L’écrivain va se trouver mêlé à une affaire très louche qui commence par le vol d’un tableau et qui va prendre une tournure sanglante avec l’assassinat d’un spécialiste dans la restauration de tableaux, puis un autre cambriolage,  des chantages et des menaces. Les évènements s’enchaînent à un rythme d’enfer dans ce thriller étonnant. 

Satire des milieux très sophistiqués et très artificiels de l’Art Contemporain où seuls les initiés peuvent apprécier œuvres et installations.

Quand on a accusé Damien Hirst d’avoir sacrifié l’Art sur l’autel de la Mort, de s’être agenouillé devant le Veau d’or de l’argent, il est allé prendre un vrai veau et il l’a plongé dans un aquarium de formol, en réponse à tous ses détracteurs. Et moi je dis QU’IL A BIEN FAIT. Parce que, précisément, il n’y a rien de mieux que de
prendre les choses au pied de la lettre  »

En revanche, il est question de gros sous, de blanchiment d’argent, un Hacker au  pseudo transparent d’Aswang menace de dévoiler tout un trafic international…Le thriller prend des allures de roman d’espionnage….

Pour celui ou celle qui espérait un peu de dépaysement en Grèce, soleil et mer bleue, c’est raté. Pas d’antiquités, ni de visites de l’Acropole. En dehors d’un court séjour à Hydra sous la canicule. Les décors sont plutôt les cafés branchés d’Exarchia, les bars gays louches, les cocktails de la Documenta. pas d’ouzo,du Lagavulin, le vin  n’est pas du retsiné mais plutôt  additionné de substances illicites. Pour le folklore grec, vous repasserez!

J’ai eu la curiosité de chercher un peu plus sur la Documenta 14 et Le Monde a une archive qui traite des aspects financiers, des rapports entre l’Allemagne et la Grèce sur fond de Grexit, de prêts, et de diplomatie. Le thriller gagne en épaisseur :

Sur le papier, l’idée d’une greffe à Athènes était louable, comme l’était l’ambition de collaborer avec des institutions helléniques moribondes. Pour autant, la Documenta n’a pas été accueillie à bras ouverts, loin s’en faut. Certains commentateurs grecs ont réduit l’opération à une tentative d’hégémonie libérale et à un tourisme de crise. De nombreux militants et acteurs culturels locaux se sont aussi sentis écartés. En riposte, la Biennale d’Athènes, qui se tenait en même temps avec un budget bien moindre, s’est intitulée « En attendant les Barbares ».

Un thriller d’espionnage, une satire des milieux de l’art contemporain sur un rythme d’enfer. Pas si mal!

Eleftheria – Murielle Szac

LIRE POUR LA GRECE (CRETE)

les ruelles de la Chanée

Le titre seul m’aurait attirée : Eleftheria, liberté en Grec, qui résonne particulièrement en Crète quand je pense à Kazantzakis, La Liberté ou la mort.

Avec mes écouteurs dans les oreilles, en forêt, j’ai écouté Murielle Szac sur un podcast de Talmudiques dédié à Rosh Hachana. C’est par une  coutume crétoise de Roch Hachana : Tashlikh que s’ouvre le roman, avec les bougies sur de petits radeaux « Armée de lucioles surgie de la mer ». Jolie occasion pour faire la connaissance de Rebecca, de Judith Levi, du rabbin Elias et de la communauté juive de Chania vivant dans l’ancien ghetto vénitien de Evraïki.  Jeunes filles juives, et leurs camarades grecques avides de liberté qui n’acceptent pas la place qui leur est assignée :

« Comment choisir sans entrave sa vie quand tout vous désigne, vous assigne à une place ? Que peut décider de son destin une jeune Crétoise, comme elle, juive et pauvre, alors que les nuages noirs de la guerre se massent au-dessus de sa tête ? La flammèche coule soudain. Rien, pourtant, ne semble troubler la joie, les rires…« 

Le roman débute en  octobre 1940, à la veille du Ochi, le Non opposé à Mussolini par Metaxas qui et aussi le début de l’intervention nazie en Crète et qui se terminera en Mai 1944 par l’anéantissement de la communauté juive crétoise. 

Roman choral rassemble de nombreux personnages, le plus souvent très jeunes : jeunes filles juives, ou pas. Jeunes grecs, marins ou villageois attirés par les filles, certains s’engagent dans la résistance et prennent le maquis, d’autres pas collaborent avec l’occupant nazis. Histoire aussi de Petros, le photographe qui documente les massacres, fait des portraits, le témoin. Luigi, italien, des troupes d’occupation qui ne se soumettent pas aux Allemands éprouve plus de sympathie pour les Crétois. On croise même Patrick Leigh Fermor dans son rôle d’espion britannique (je connaissais ce rôle de mon écrivain-voyageur préféré). 

Et la Liberté? Elefthéria. Bien sûr dans la Résistance contre l’occupant, mais aussi la liberté d’aimer en dehors de sa communauté. La liberté de faire de la musique. De très belles évocations d’un Premier Mai fêté malgré l’occupant nazi dans un village rappelant le poème de Yannis Ritsos.

« Yannis Ritsos. L’enseignant traduisait en italien les poèmes qu’il trouvait et les faisait apprendre par cœur à ses élèves. Un jour de mai tu m’as abandonné… Ce cri de la mère d’un jeune ouvrier tué par la police au cours
d’une manifestation du 1er mai à Thessalonique, ce cri déchirant devenu un poème encore plus déchirant… Un
jour de mai je t’ai perdu… Ce texte, Epitaphios, avait bouleversé le jeune étudiant. Sans toi j’ai perdu le feu et la lumière, j’ai tout perdu… Luigi, est-ce donc si loin de toi ? »

Les histoires s’entremêlent. Grecs et juives vont s’aimer, se séduire, se marier ou se quitter et se retrouver  sur le Tanaïs pour la tragédie finale.

mon Dieu, je vous en conjure, changez les cieux Et alignez toutes les étoiles pour dessiner la forme de la Crète.Aussitôt un autre poursuit : Un printemps sans mois de mai j’aurais pu l’imaginer Mais jamais, au grand jamais,que mes amis trahiraient. Un troisième enchaîne : Il y en a qui sont pris de vertige en haut de la falaise Etd’autres qui, au bord du vide, dansent le pentozali.

Un véritable coup de cœur pour ce roman!

Et encore une fois merci à Claudialucia de m’avoir fait connaître ce livre!

L’enfant qui mesurait le monde – Metin Arditi

LIRE POUR LA GRECE

 

Trois jour d’évasion dans un île (fictive) des Îles Saroniques.

Kalamaki est un véritable paradis resté authentique : 1100 habitants qui se tutoient, des pêcheurs, une plage vierge, un théâtre antique qui flamboie sous les coquelicots, un petit chantier naval, un marchand de peinture,  le café Stamboulidis qui réunit les habitants, Kosmas, le pope philosophe….

Île bienveillante qui accueille Eliot, le père endeuillé, architecte, dont la fille est décédée dans le théâtre antique. Île bienveillante qui entoure Yannis,  L’enfant qui mesurait le monde, autiste, que seuls apaisent ses rituels de comptage : arrivée des bateaux pesée des poissons, affluence au café. 

La Crise économique est passée : les entreprises ruinées, le chômage élevé. Un investisseur se présente avec un projet immobilier le Periclès Palace qui va bétonner la plage, installer une marina, défigurer le paysage. Tous, sur l’île y voient une opportunité. Kalamaki deviendra-t-elle une autre Mykonos. Perdra-t-elle son âme? 

Metin Arditi livre une réflexion sur l’harmonie des chiffres que perçoit de manière très aigüe le petit autiste. Son équilibre fragile repose sur la stabilité du monde menacé justement par le projet des promoteurs. harmonie de l’architecture antique reposant sur le Nombre d’Or. Mathématiques comme un ordre idéal. 

Joli livre qui mêle les thématiques de l’autisme, et du surtourisme… dans un cadre méditerranéen avec bien sûr, les figures de la mythologie.

« Zeus respirait la violence. C’est par elle qu’il comptait ramener l’ordre. Était-ce judicieux de le proposer en exemple à Yannis? Non c’était ridicule. L’enfant avait sa propre conception de l’ordre du monde qui était bien différente de celle de Zeus. Bien plus belle, aussi il en mesurait chaque jour les variations de la manière la plus juste, il le restaurait par la grâce de ses pliages. Il n’avait rien à apprendre du mythe des Titans. C’était lui qui détenait la vérité. « 

 

Heureux soit son nom – Sotiris Dimitriou – Quidam Ed.

LITTERATURE GRECQUE

Un court roman, histoires de paysans de l’Epire du village de Povla près de la frontière albanaise que sépare la montagne Mourgana (1806 m).

Trois récits : Alexo (hiver 1943) , Sofia (1943-1975) Shoejtim (1990)

Alexo – Roman de misère, de famine et de froid dans la guerre qui a pris les hommes et les a divisés, les femmes de Povla ne reçoivent plus l’aide des émigrés d’Australie ou du Canada, elles tentent de nourrir leurs enfants et partent troquer leurs dernières possessions, tapis ou vaisselles de l’autre côté de la frontière albanaise dans des villages grecs. Douaniers ou bandits, des hommes confisquent les pauvres marchandises et sont contraintes de mendier ou de travailler dans les fermes qui acceptent de les abriter.

Albanie

Sofia – Sofia avec ses engelures ne peut pas rentrer avec les autres femmes en Grèce et se trouve piégée en Albanie. Avec l’installation du régime d’Enver Hodja, elle se trouvera prisonnière de l’autre côté de la montagne. Elle entend les cloches qui tintent en Grèce, elle peut même entrevoir sa mère de loin, mais on le la laissera pas traverser ma frontière. Son histoire est celle de ces Grecs qui seront éloignés de leur origine, déplacés. la dictature albanaise affame, réduit en esclavage, fait taire toute velléité d’opposition. Au moindre écart, les hommes seront conduits au bagne et toute la famille « tachée ». Quatre décennies s’écouleront dans la misère et la crainte du régime.

« Avec le temps on a bien fini par s’entendre. Bien forcés. On discutait – comme on pouvait – on riait ensemble. Il avait été octroyé à chaque famille, un âne sans ânesse, trois biques sans bouc, cinq-six gélines sans coq, histoire qu’elles ne fasse pas de poussins. Faire un potager, c’était interdit. Les trois olives sur les arbres autour de la maison, on n’avait pas le droit de les ramasser…. »

Shpejtim – est le petit fils de Sofia, provenant d’une famille « tachée », son père est envoyé dans les mines au nord ouest de l’Albanie, vivant dans la peur des ennemis : les Grecs étant les pires. Sans avenir en Albanie il décide de partir en Grèce, de franchir la montagne. Si l’accueil dans le village de ses ancêtre est chaleureux, la vie des Albanais immigrés en Grèce est difficile, bien différente de ce dont il rêvait en regardant la télévision grecque…

Le titre s’explique dans les dernières pages de livre

– Heureux soit ton nom, Dimitri.

Il a souri et m’a fait un signe de la main.

je suis monté dans le bus. je me sentais un peu mieux. De gars m’avait réchauffé le cœur

On note aussi l’importance des noms, surtout du nom des femmes privées après leur mariage non seulement du nom de famille mais même de leur prénom, portant le double nom de leur mari féminisé. Privées même de leur nom et pourtant si fortes, si courageuses.

La traductrice note le style, et la langue démotique très simple, dialectal, proche de l’oralité contrastant avec la langue Katharevousa, le grec littéraire officiel. Elle a cherché à reproduire les régionalismes par des expressions paysannes  d’un patois forézien ou auvergnat, que je n’ai pas toujours compris mais qui donne une saveur paysanne au récit.

Un livre singulier, très touchant qu’on lit d’un souffle (98 pages)

 

 

Antigone – Henry Bauchau – Actes sud

LIRE POUR LA GRECE

« Oui, moi Antigone, la mendiante du roi aveugle, je me découvre rebelle à ma patrie, définitivement rebelle à Thèbes, à sa loi virile, à ses guerres imbéciles et à son culte orgueilleux de la mort.  » dans LA COLERE

Antigone est l’héroïne du Théâtre grec qui me fascine le plus : Antigone est la femme qui dit NON! Celle qui le crie. C’est aussi la fille d’Œdipe qui l’a guidé, aveugle sur les chemins de Grèce, qui a mendié pour lui. Fille de Roi, de Reine, mendiante.  

Antigone de Sophocle a inspiré de nombreux écrivains et metteurs en scène. C’est la tragédie la plus impressionnante, jouée chaque fois dans un  paroxysme de l’Histoire. La version qui m’a impressionnée le plus est celle de Adel Hakim jouée par le Théâtre national palestinien aux Théâtre des Quartiers d’Ivry  que j’ai été voir deux fois. Tragédie de Beyrouth dans le  4ème Mur de Sorj Chalandon . J’ai même vu une Antigone Ukrainienne/Russe, un peu punk et musicale de Lucie Bérelowitsch qui a choisi une version de Brecht/Sophocle. Bien sûr, il y a celle d‘Anouilh(1944). 

Antigone de Bauchau n’est pas une pièce de théâtre mais un roman qui fait suite à Oedipe sur la Route lu il y a douze ans qui m’avait laissé un souvenir inoubliable. Avec  368 pages, l’auteur développe une histoire plus longue avec de nombreux personnages, avec des retours dans l’épopée de Thébes :  Œdipe et Jocaste  et sur les pérégrinations d’Œdipe. 

Antigone de Bauchau commence avec le retour de l’héroïne à Thèbes après la mort d’Œdipe. Antigone est entourée des compagnons de son père : Clios qui peint une fresque pour Thésée à Athènes et qui la met en garde:

« En retournant à Thèbes tu vas suivre, toi aussi, le chemin du rouge. Tu seras en grand danger, au centre de la guerre entre tes frères. Est-ce nécessaire Antigone? »

Bauchau développe l’histoire des jumeaux : Polynice et Etéocle, désiré et souverain, Etéocle toujours en rivalité. De la jalousie d’Etéocle et de la domination de Polynice, il ne peut que résulter le combat, combat à mort. Dédoublements, Etéocle demande à Antigone de sculpter deux statues de Jocaste , il offre un étalon noir à Polynice qui part à la recherche d’un cheval aussi fougueux, aussi beau, blanc.

« mon corps, bien avant moi, sait ce qu’il faut faire. Il se jette à genoux et, le front sur le sol, extrait de la terre elle-même un non formidable. C’est un cri d’avertissement et de douleur qui brise la parole sur les lèvres d’Ismène. C’est le non de toutes les femmes que je prononce, que je hurle, que je vomis avec celui d’Ismène et le mien. Ce non vient de bien plus loin que moi, c’est la plainte, ou l’appel qui vient des ténèbres et des plus audacieuses lumières de l’histoire des femmes. »

 

Au lieu de se tenir comme Sophocle,  à l’épisode de l’interdit de la a sépulture de Polynice, par Créon, et du refus de  la tyrannie par Antigone,  privilégiant  la loi des Dieux avec  la tradition des honneurs dus aux morts, par rapport à la loi de la Cité (le décret de Créon), Bauchau inscrit les funérailles à la fin de l’histoire de la guerre de Thèbes. Il raconte toute une épopée. Epopée guerrière, histoire d’amour, relations familiales…La tyrannie de Créon n’entre en scène qu’après les trois quarts du livre.

« Nous les femmes, les sœurs, nous devons seulement enterrer Polynice et dire non, totalement non à Créon. Il est le roi des Thébains vivants, il n’est pas celui des morts. »

Antigone n’est pas seulement celle qui dit non. C’est aussi celle qui ne veut pas choisir l’un ou l’autre de ses frères, qui va tenter de faire la paix entre eux. C’est aussi l’héroïne qui va soigner les blessés, faire de sa maison un refuge pour les pauvres et pour des personnalités un peu étranges, comme le faux aveugle Dirkos qui chante les chants d’Oedipe, ou Timour, le Nomade cavalier et archer, qui apprend à Antigone le « chant de l’arc ». Antigone est une femme puissante, cavalière accomplie, archère.

Sans affaiblir la tragédie, Bauchau brode, interrompt son récit comme l’aède qui peut réciter des milliers de vers. Ce n’est pas un théâtre politique. C’est une véritable épopée.

Lu dans le cadre du MOIS BELGE 2022

Ne pleure pas sur la Grèce – Bruno Doucey

LIRE POUR LA GRECE

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Vous avez sans doute reconnu le visage de Yannis Ritsos et peut être le poème qui donne le titre du livre

Ne pleure pas sur la Grèce, quand elle est prête de fléchir avec le couteau sur l’os, avec la laisse sur la nuque,

la voici qui déferle à nouveau, s’affermit et se déchaine pour terrasser la bête avec la lance du soleil 

Si le poète emprisonné est le sujet du livre de Doucey  ce n’est ni une biographie, ni une étude littéraire mais un roman d’amour aux temps des colonels. 

Après un prologue mettant en scène des réfugiés yézidis débarquant sur l’île de Leros, le livre commence le 21 avril 1967, le jour du Coup d’état  des colonels.

Antoine arrive à Paris avec le projet de gagner un peu d’argent pour rejoindre son amoureuse, Fotini à Heraklion. Fotini, étudiante en littérature, a choisi Ritsos comme sujet d’étude. Antoine doit faire une revue de presse quotidienne.  Il consacre l’essentiel de ses recherches à la Grèce. Rapidement il perd le contact avec Fotini qu’il espère retrouver.

S’étant distingué par son dossier de presse grec, il rencontre des intellectuels grecs exilés à Paris : Clément Lépidis et Aris Fakinos qui publient un journal en exil et préparent le Livre noir de la Dictature en Grèce. A la suite de cette collaboration, Antoine intègre une délégation du CICR, la Croix Rouge, pour visiter les lieux de détention des prisonniers politiques. Il espère retrouver Fotini au cours de cette mission. 

Parallèlement, nous suivons Yannis Ritsos sur ses lieux de détention, sur l’île de Yaros – l’île du Diable – » un gros rocher battu par les vents. Pas d’arbres. Pas d’eau. Pas d’habitants ». Ce n’est pas son premier emprisonnement , Ritsos est un vétéran qui sait gérer la condition de prisonnier. Mais surtout Yannis Ritsos est poète et sait s’évader par les mots :

« La valise serrée contre ses jambes, il avait laissé ses pensées prendre le large pour apaiser l’angoisse que faisait monter en lui la présence des militaires. pas un carnet dans sa valise, pas un crayon qu’on lui aurait immédiatement confisqué. Non mais des poèmes par centaines, dans la tête et dans le cœur, que personne ne parviendrait à lui enlever. Quelle chance après tout d’avoir choisi la poésie et non la peinture ou le piano! Dans les camps où on les jette, le peintre privé de ses toiles et de pigments vit un enfer, le musicien sans piano se voit  amputé de la meilleure part de lui-même, mais moi, poète sans stylo ni papier, de quoi me  prive-t-on que je ne puisse trouver en moi? »

Doucey évoque les interrogatoires, les cris, la douleur des prisonniers. On peut être incarcéré pour n’importe quoi, un disque de Théodorakis, même les cheveux longs ou les mini-jupes sont proscrits. L’écriture de Doucey est aussi poétique.  Des vers de Ritsos entrecoupent le récit. 

Ritsos est ensuite transféré dans le Dodécanèse, sur l’île de Leros où sont installés deux camps et un asile d’aliénés : 

« l’asile…les uns le demandent et d’autres voudraient fuir, se dit le poète en regardant les premières lueurs du jour embraser la ligne d’horizon. Etrange situation que celle de l’homme incarcéré sur l’île de Leros où cohabitent sans véritablement se croiser bannis de la dictature, exilés en transit et patients d’un  des plus grands hôpitaux psychiatriques de Grèce

Leros, île-prison

Leros, île-refuge

Leros, île des fous »

Malgré l’isolement, la maladie, la poésie ne quitte pas le poète. Il rêve de vaisseau-fantôme, il compare son sort à celui des malades internés à l’asile

Si je suis ici, se répète-t-il, c’est parce que mes poèmes ressemblent au pollen que transporte le vent. on brûle mes livres, on m’interdit d’écrire, on enferme mon corps dans une prison, on me retient loin des lieux où ma parole se fait entendre. mais cela n’empêchera pas ma poésie d’atteindre d’autres rivages. on n’arête pas le vent. on n’enferme pas le vent…

J’aimerais recopier les poèmes, les apprendre par coeur, en lire d’autres….et lire les livres que Doucey a consacré à Pablo Neruda, Lorca, Max Jacob, Jara…A suivre…