L’Odeur de l’Inde – Pier Paolo Pasolini

 SAISON INDIENNE

C’est le livre jumeau de celui de Moravia: Une Certaine Idée de l’Inde, reçu dans le même paquet d’Amazon. Jumeau, puisque qu’il relate le même voyage en Inde des deux écrivains en 1961 à l’occasion de la commémoration de Tagore.

Deux courts ouvrages, pourtant très différents. Moravia s’attache à analyser ses impressions. Érudit, il analyse la religion, les relations avec le colonialisme. Pasolini livre une interprétation beaucoup plus personnelle.

Plus aventureux, il préfère les vagabondages nocturnes et les rencontres de hasard aux visites touristiques. Moravia jette un regard intéressé aux passants, aux paysans tandis que Pasolini donne une identité, un nom, une histoire, aux Indiens rencontrés pendant ses promenades, souvent des mendiants. Sardar et Sundar, attendent avec d’autres, que l’hôtel leur donne des restes de pudding, ils lui font penser aux jeunes calabrais montés à Milan chercher fortune. L’enfant Revi, qui refuse son obole parce qu’il sera racketté, l’émeut au point qu’il se décarcasse à lui fournir un abri. Muti Lal, le Brahmane qui dort sur le trottoir, éduqué,  lui suggère cette étrange conclusion de Pasolini… »c’est un bourgeois » et une analyse de la bourgeoisie indienne dans un océan de sous-prolétariat:

« Ils (les bourgeois) s’enferment ainsi dans la vie familiale à laquelle ils donnent une importance absolue : plein  d’enfant et ils en cultivent la douceur ».

L’Odeur de l’Inde qui a donné son titre au livre est décrite ainsi:

….« l’habituelle odeur, très forte , qui prend à la gorge. Cette odeur de pauvre nourritures et de cadavre qui, en Inde, est comme un continuel souffle puissant qui donne une sorte de fièvre. C’est cette odeur, qui, devenue, peu à peu,  une entité physique presque animée, semble interrompre le cours normal de la vie dans le corps des Indiens. son relent frappant ces pauvres petits corps couverts d’une toile légère et souillée, paraît les miner, les empêchent de croître, de parvenir à un achèvement humain »…

Contrairement à Moravia qui voit dans l’Inde le fait religieux partout Pasolini écrit :

« heureusement l’hindouisme n’est pas une religion d’état. . C’est pourquoi les saints ne sont pas dangereux; Tandis que les fidèles les admirent il y a toujours un musulman, un bouddhiste ou un catholique pour les regarder avec ironie ou curiosité…[…]Mais, à mes yeux, cela n’implique pas que les Indiens soient vraiment préoccupés par de sérieux problèmes religieux. »

Il est également beaucoup plus critique envers Nehru que son ami. Trop respectueux, selon lui, des formes de la démocratie parlementaire occidentale, Nehru n’est pas assez audacieux pour extirper la tradition des castes qui révolte les deux italiens.

J’ai  admiré P P Pasolini cinéaste, personnage de la biographie imaginaire écrite par Fernandez, Dans la Main de l’Ange, je le découvre ici écrivain.

 

 

Une certaine idée de l’Inde – Alberto Moravia

 SAISON INDIENNE

1961, Moravia, Elsa Morante et Pasolini ont fait l’expérience de l’Inde, rencontré Nerhu, visité des temples, traversé en voiture le sous-continent, dormi dans des rest-houses bâties par des Anglais pour des Anglais, eté frappés par la pauvreté.

Un curieux dialogue sert d’introduction à cet ouvrage :

–  « Donc, tu es allé en Inde. C’était bien?

         – Non.

         – Tu t’es ennuyé?

        –  Non plus.

      –  Que t’est-il arrivé là-bas?

      – J’ai fait une expérience .

       – Laquelle?

        –  L’expérience de l’Inde.

        –  C’est à dire?

        –  Comment t’expliquer? L Inde c’est l’Inde… »

Cette entrée en matière étonnante me faisait craindre une lecture sybilline. D’autant plus que quelques lignes plus tard il affirmait :

« L’Inde c’est le contraire de l’Europe » […]Disons que l’Inde c’est le pays de la religion. »

Et pourtant rien de plus clair, lumineux que ce recueil de 135 pages, racontant des rencontres. Nehru, bien sûr. Suivie par un chapitre analysant la position politique de Jinnah et la partition de l’Inde. Mais aussi, des rencontres avec des mendiants, des sadhus, des hôteliers, des paysans qui rentrent tranquillement sur leurs charrettes. Récit des bûchers de Benarès, de visites de temples…

Mais aussi analyses très intéressantes sur la religion « Le choc du Polythéisme« , « la Pauvreté« ,« Colonialisme et Symbiose », et pour finir « l’Impureté «  analysant le système des Castes.

Le chapitre « Cauchemars et Mirages » m’a fascinée

« Dans la pensée religieuse indienne, le monde des sens est Maya c’est à dire illusion.[…]le monde des sens serait donc un envoûtement, une comédie magique que l’Âme universelle se joue pour son seul et incompréhensible divertissement »

Moravia se réfère aux Védas et aux Upanishads dans l’histoire générale des religions, il cite Forster dans Passage to India « L’Inde est le pays des choses qui existent et qui n’existent pas, qui vont, qui viennent… » et raconte encore plus curieusement un Rope-trick de fakir  rapporté par Ibn Batuta ainsi qu’un  autre mango-trick, Prestidigitation?

Cet essai m’a donné beaucoup à réfléchir, il me tarde de lire la version de Pasolini : L’odeur de l’Inde qui est arrivé dans le même colis.

50ans ont passé après le voyage de ces illustres visiteurs. Que reste-t-il? Une Inde immuable, ou la modernisation de la Mondialisation?

Le Dieu des Petits Riens – arundhati Roy

LIRE POUR L’INDE

Ayemenem, Kérala, dans les années 60 ou 70, deux jumeaux Estha et Rahel, 7ans assistent aux funérailles de Sophie Mol, 9 ans. Le roman s’ouvre sur ce drame et près de 400pages plus tard, le lecteur pourra enfin comprendre ce qui s’est passé.

Entre temps, l’auteur distille les indices, souvent minuscules, que le lecteur devra collectionner et la tragédie se construira comme un puzzle. Roman-puzzle. Roman impressionniste. Roman pointilliste. Par touches précises ces petits riens(?), l’atmosphère de moiteur, d’humidité, de chaleur envahit le roman. On croit sentir le parfum des mangues, des bananes, des confitures et des pickles des Conserves et Condiments Paradise, l’usine familiale. On voit voler les guêpes jaunes, les papillons blancs, les mouches et les entonnoirs de moucherons qui entourent les personnages. Étonnante précision de tous ces éléments si triviaux et si quotidiens qui nous transportent en Inde.

L’auteur a choisi d’égarer le lecteurs par des retours en arrières, flash back non datés encore que? Un chapitre raconte que la famille va voir la Mélodie du bonheur sorti en 1965, Estha porte une banane comme Elvis Presley Sophie Mol des pantalons pattes d’éléphant….A quelle époque les Naxalistes furent ils actifs au Kérala?

On se perd aussi dans les relation de parenté de la famille et les sauts dans le temps ne sont pas là pour nous aider. Cette saga familiale relate une série d’amours avortés, de couples brisés, quand Ammu, la mère des jumeaux a-t-elle disparu de la maison? Pourquoi cette mère si aimante qui aime pour deux ses jumeaux élevés sans leur père, pourquoi se sépare-t-elle de son fils en le « renvoyant-à- l’envoyeur » (son père) à l’autre bout du sous-continent? pourquoi les deux jumeaux, si proches, ont-ils perdu tout contact?  Aucune explication cohérente n’est offerte directement.

Il faut se contenter de tableaux, d’épisodes décousus et accepter de s’égarer, de prendre son temps pour renifler les odeurs, goûter les plats, faire des siestes prolongées. Essayer de comprendre comment Touchables et Intouchables cohabitent, voir les politiciens et les syndicalistes manifester ou organiser des luttes sociales, voir arriver les touristes…assister à une nuit de danse kathakali.

Qui est donc ce Dieu des Petits Riens , le Dieu du deuil, qui a donné son nom au titre? la famille des jumeaux est chrétienne, ce dieu n’est sans doute pas Karna, du spectacle kathakali, et si c’était Velutha l’Intouchable, à qui rêve Ammu, qu’aiment les enfants?  souvent l’expression revient dans le récit sans éclairer le lecteur. C’est une vraie manie, chez moi, je veux comprendre pourquoi un auteur a choisi le titre. Il me semble qu’en comprenant le titre je saisirai le sens du livre.

Livre de l’ambiguïté: ambigüité de Chacko, le patron marxiste, le lettré qui a étudié à Oxford mais qui met en bocaux des pickles, le libineux des Besoins Masculins qui est fidèle à la seule femme de sa vie. Ambiguïté des rapports sociaux. Le Kerala est communiste mais les naxalistes vont bouleverser l’orthodoxie. Communistes et chrétiens, mais acceptant le système des castes des hindous.

Livre d’amour aussi. Amours contrariées. Recherche de l’amour de leur mère pour les jumeaux, anxiété terrible à l’idée de le perdre.

Trois cent pages, je me suis laissée porter par le récit sans hâte. Vers la fin, la tragédie s’est précisée. Véritable tragédie. Vrai roman d’amour.

J’ai aussi découvert un auteur : Arundhati Roy n’est pas seulement une écrivaine . C’est aussi une activiste. Plusieurs articles du Courrier International témoignent de ses prises de position. A suivre!

 

 

Petite musique de la Mort – Frank Tallis

POLAR VIENNOIS

Vienne 1903, la Belle Époque ! François-Joseph règne encore, Freud est déjà célèbre, Mahler dirige l’Opéra de Vienne.

La cantatrice Ida Rosenkrantz est retrouvée morte allongée sur son tapis. Suicide ou meurtre? Rheinhardt, le policier va enquêter avec son partenaire Max Liebermann, psychiatre.  Les deux amis forment aussi en privé un duo musical: Liebermann au piano accompagne Rheinhardt. Bien entendu, le premier lied évoqué est la Jeune fille et la Mort.

Max Liebermann est ravi d »accompagner son ami à l’opéra pour rencontrer Mahler. Une séance d’hypnose va guérir un célèbre chanteur paralysé par le trac et lui gagner la sympathie du maestro. C’est la finesse d’analyse de Max Liebermann, sa connaissance des mécanismes de l’inconscient qui va faire avancer l’enquête.

Quel plaisir de suivre les deux complices dans Vienne d’alors! Ils nous convient à un parcours touristique, passant par Bergstrasse, le domicile du Docteur Freud, le Naschmarkt, la Hofburg, bien sûr, et même le Pavillon Sécession! Polar musical, comme le ttire l’indique. Max Liebermann en parallèle s’intéresse à la disparition de David Freimark, un musicien oublié dont on ne connait qu’un seul lied. Freimark a-t-il réellement existé?On s’aventure aussi dans le domaine de la peinture, évocation magistrale du baiser de la Fresque Beethoven de Klimt …

Le Maire de Vienne, Lueger en campagne électorale, s’appuyant sur la clique des écrivains antisémite, n’est pas un personnage de fiction. les anecdotes racontées se sont réellement passé!

Ce n’est pas seulement un thriller intelligent, cultivé. C’est aussi une promenade dans Vienne, un peu à la manière de Dona Leon dans Venise.

Zsolt HARSANYI : la vie de Liszt est un roman – Actes sud

diaporama miscellanea48 : merci pour tous ces portraits!

Complément naturel à notre « promenade Liszt », au concert sur le piano de Liszt, aux »Lisztiades » qui avaient été l’occasion plus d’aller à la messe que d’entendre un concert….que l’auteur de la biographie soit un romancier Hongrois Zsolt Harsanyi  (1889-1940) était un évidence au retour de Budapest.

Liszt, en soutane, sous sa coquille à l’Opéra, Liszt en bronze jouant de ses mains immenses en secouant son abondante chevelure au milieu du square, ou trônant au dessus de la porte de la Zenakadémie, sont les images que nous avons rapportées de notre voyage.

Un des Hongrois les plus fameux ?

J’ai eu la surprise de constater que Liszt, de langue maternelle allemande n’a jamais pris la peine de parler le Hongrois. Né près de Sopron, fils d’un intendant du Prince Esterhazy dont nous avons visité le château à Fertö il y a quelques années. Il a donné son premier concert – enfant prodige, « petit Mozart » – à Pozsony, l’actuelle Bratislava. A dix ans, il part pour Vienne où il prend des leçons de Czerny et de Salieri. Beethoven complètement sourd lui fait l’honneur d’assister à son premier concert viennois et l’embrasse.

Comme Mozart, sous la conduite de son père, le petit Liszt sillonne l’Europe et joue dans les cours françaises et anglaises. Il s’installe à Paris où il vivra longtemps, parlera français qui deviendra sa langue habituelle. C’est là qu’il fréquentera les Romantiques, se liera d’amitié avec Chopin, George Sand, Musset, Berlioz et rencontrera aussi bien les grands du faubourg Saint Germain que tous les musiciens de l’époque. Ce livre retrace une « histoire de la musique » et des mouvements artistiques au cours du 19ème siècle.

Imaginer Budapest, et se retrouver à Paris ou à Croissy ou à Nohant !

Liszt était plus parisien qu’exotique. Son charme, il le devait à la précocité de son talent, à sa virtuosité et aussi à son physique de dandy avec un « profil de médaille » et à des cheveux de page. Enfant, adolescent puis, jeune homme, le pianiste était la coqueluche des dames du grand monde. Affichant une grande piété, il ne résista jamais à la tentation d’une conquête féminine. Même au sein d’une grande passion interdite, quand sa maîtresse Marie d’Agoult, la mère de ses trois enfants, il n’hésita jamais à tromper celle-ci. Rivalisant de virtuosité avec Paganini, il était adulé et profitait bien de son succès.

C’est en Allemagne qu’il va passer l’essentiel de son âge mûr. Établi à Weimar, il va consacrer son énergie à faire connaître la « nouvelle musique », celle de Berlioz, et surtout celle de Wagner. Représenter les opéras de Wagner va être l’objet de tous ses efforts. Même pendant les jours héroïques de la Révolution de 1848, Liszt, se déclarant patriote hongrois ne prendra pas part aux soulèvements et au contraire intriguera auprès de la cours d’Autriche pour être anobli. Certains Hongrois ne lui pardonneront pas de fréquenter Bach, l’oppresseur autrichien de la Hongrie. Pourtant, il  n‘hésitera pas à défier le tsar en jouant Chopin et en encourageant les Polonais !

« La vie de Liszt est un roman «, roman d’amour, amours consommées mais toujours illégitimes. Entre sa fiancée secrète Caroline, son élève que le père congédie comme un domestique à 18 ans, la fuite en Suisse avec Marie d’Agoult qui abandonne son mari, la longue attente d’une annulation par le Saint Siège du mariage de Carolyne Wittgenstein … les liaisons avec ses jeunes élèves et ses admiratrices…

Dernier épisode : le voyage à Rome  qui se termine par l’entrée en religion. Liszt revêt une soutane de soie, une pose ? Presque ! Il reste clerc et pourrait se marier si Carolyne le souhaite encore et ne peut dire la Messe.  C’est en soutane qu’il va s’installer à Pest où il consacrera ses derniers efforts à installer une Académie de musique de qualité à Pest. Après la Messe d’Esztergom, il écrira la Messe du Couronnement d’ Elisabeth (Sissi) et de François Joseph dans la Cathédrale Mattias de Buda.

Vieillissant, il connaîtra la tristesse des trahisons, le deuil de ses enfants et les difficultés de sa relation avec Wagner et sa fille Cosima.

Je pensais lire une histoire hongroise, c’est une histoire européenne que j’ai trouvée,  partagée entre l’Autriche mais surtout la France et l’Allemagne.  Dans un contexte de réveil des nationalités des révolutions de 1830 et 1848, s’imbrique la vie culturelle entre Londres et Saint Petersbourg. Réseaux d’échange, d’amitié, de tournées de récitals et d’opéras.  Opposer la musique française de Berlioz et l’allemande de Wagner ? Pas si simple ! Liszt fut l’ami des deux compositeurs. Et souvent ce sont les querelles amoureuses qui prirent plus d’importance que des évènements politiques majeurs !

Je pensais trouver un abbé, j’ai plutôt trouvé un don Juan ! Et pourtant sa piété était sincère….

Le départ du professeur Martens – Jaan Kross

LIRE POUR LES PAYS BALTES

1909, le Professeur Martens prend le train de Pärnu pour Saint-Pétersbourg, le voyage est long, l’humeur assombrie par un article malveillant le concernant, il repasse le cours de sa vie, s’adressant par l’imagination à Kati, sa femme qu’il va rejoindre.

1909, les empereurs Guillaume et Nicolas, sur leurs yachts respectifs, vont se rencontrer non loin, sur la Baltique. Le conseiller Martens est un juriste, professeur de Droit International réputé, c’est aussi un diplomate qui  a négocié des traités aussi importants que celui qui a mis fin au conflit Russo-Japonais, ou qui a convaincu la France hésitante en 1905, d’accorder les fameux Emprunts Russes ….

Le personnage de Martens a véritablement existé. Le roman de l’écrivain estonien Jaan Kross, comme Le Fou du Tzar, est remarquablement bien documenté. Leçon d’histoire au début du XXème siècle.

Le professeur Martens a un double, son homonyme, un  allemand de Göttingen, professeur de Droit International, diplomate également, ayant  participé au Congrès de Vienne, un siècle auparavant. Les vies des deux Martens s’entremêle; parallèle étrange. Et le roman historique est double, racontant les conquêtes napoléoniennes, l’installation de Jérôme , roi de Westphalie, et l’allégeance du Conseiller Martens au pouvoir de Bonaparte, puis son retournement après la retraite de Russie…

Si le Fou du Tzar n’admettait aucun compromis et payait sa franchise et sa loyauté d’un emprisonnement en forteresse et d’une assignation à résidence, au contraire les deux diplomates, en dépit de leur honnêteté, de leur connaissance du Droit, par faiblesse ou par réalisme, se trouvent piégés dans leur allégeance au pouvoir. Les Emprunts Russes obtenus de la France ont-ils allégés les souffrances du peuple et la famine ou ont-ils financé la répression contre les révolutionnaires de 1905? Ces menottes que le neveu de Martens portait dans le train? Jaan Kross dépeint ce personnage admirable et considérable qui a failli obtenir le prix Nobel (comme Kross, lui-même) mais qui n’est pas dénué de faiblesses et de complexité.

Peut on concilier le Droit et un pouvoir despotique?  Cette problématique à laquelle les deux Martens furent confrontés fut sans doute aussi celle des Estoniens du temps de l’Union soviétique. La rencontre du professeur Martens dans le train avec une journaliste estonienne annonce la révolution et les revendications nationales estoniennes.

 

Le fou du Tzar – Jaan Kross

LIRE POUR L’ESTONIE

manoir de Sagadi

Le tzar c’est Alexandre Ier , le fou c’est     Timothée von Bock, baron Germano-Balte, seigneur du manoir de Voisiku, Estonie (autrefois Livonie) . la première folie de Timo c’est d’avoir épousé Eeva paysanne estonienne qu’il a dû racheter en compagnie de son frère – pour le prix de quatre chiens anglais. la deuxième folie a été d’oser envoyer à Alexandre un mémorandum séditieux. Aide de camp de l’Empereur, ami, même, il lui avait promis une franchise entière. Il lui en a coûté sa liberté.

Excellent roman historique que j’ai lu en rentrant de voyage dans les pays baltes j’ai vu s’animer les personnages dans les manoirs que nous avons visités. Mais il n’est pas indispensable d’avoir fait le voyage pour être pris dans l’intrigue où apparaissent aussi bien Goethe, les décembristes, les campagnees napoléoniennes…

la promesse de l’aube – Romain Gary

LIRE POUR VILNIUS

Vilnius s’enorgueillit d’être le lieu de naissance de Romain Gary en 1914. une statue a été érigée et signalée dans les promenades de l’office de tourisme. Le petit garçon de la Promesse de l’Aube regarde la fenêtre de sa Valentine pour qui il a ingéré une chaussure en caoutchouc. J’ai été rendre visite à la statue et me suis promise de lire le livre au retour.

Quelle est cette promesse? Celle de la mère de Romain enfant qui lui promet qu’il deviendra célèbre, violoniste comme Yehudi Menuhin ou Yacha Heifetz? ou écrivain comme Tolstoï ou Gorki au moins Ambassadeur de France.

Ou la promesse de l’enfant à sa mère de rapporter la gloire à cette mère qui lui a tout donné. Au moins le tournoi de Ping pong de Nice de 1932.

Une autre promesse – tenue – m’a émue, celle au gentil voisin qui lui donnait des rahat loukoums et qui lui demanda de dire qu’un juif du nom de Piekielny vivait au 16 de la rue Grande-Pohulanka à Wilno quand il serait diplomate…Sa Majesté la Riene Elizabeth, l’ONU, le monde entier l’a entendu proclamer.

Trois parties dans le roman, la première raconte l’enfance, à Wilno alors polonaise , Varsovie, elle est pleine de verve et d’exotisme, la seconde l’adolescence à Nice, la troisième  se passe pendant la Seconde Guerre mondiale, aviateur, résistant, gaulliste. j’ai moins aimé la troisième où le personnage de la mère n’apparait qu’en filigrane dans l’inconscient du fils. les faits de guerre m’ennuient même si Romain Gary  raconte avec distanciation ses faits de guerre.

Lire pour Vilnius?

Peut être, quoique l’univers de Romain Gary se limitait à sa cour de la rue Grande-Pohulanka… qu’il était instruit par différents professeurs et que sa mère lui racontait plus une France de son invention où Victor Hugo avait été Président de la République…vilnius, alors s’appelait Vilno et semblait bien provinciale…

 

Le coup de Grâce – Marguerite Yourcenar

LIRE POUR LES PAYS BALTES

 

Mes choix de lectures sont géographiques, j’ai eu du mal à trouver le départ d’une bibliographie « pays baltes ». C’est JP Kauffmann dans Courlande qui m’a donné le lien vers Le Coup de Grâce dont l’action se déroule dans un manoir de Courlande – actuellement Lettonie – en 1919 dans les soubresauts de la première Guerre Mondiale entre défaite de l’Allemagne et Révolution russe.

Récit très ambigu, très trouble. L’auteur, dans sa préface, se réfère à Racine et à Corneille, unité de temps, de lieu, unité de danger ajoute l’auteur.

Le narrateur est un personnage glauque, combattant des guerres inavouables, non pas par conviction mais plutôt par appartenance à une caste de soldats prussiens pour qui l’état militaire était une évidence. Personnage d’une très trouble noblesse, adhérant aux préjugés les plus sordides de son milieu des descendants des Chevaliers Teutoniques ou Porte-Glaives :  antisémitisme, misogynie. Mais l’absence de volonté, d’enthousiasme, de générosité annule la virulence de ces idées .

Période troublée, guerre impitoyable, on ne sait où se situent les combattants capables uniquement de défendre le petit domaine dans une indifférence que n’égale que leur bravoure devant le feu.

C’est d’abord une historie d’amour. Adolescents ou adultes, les protagonistes Eric, Sophie et Conrad, sont incapables d’envisager un amour viable. Si Eric aime Conrad, c’est l’évidence, jamais il n’avouerait autre chose que l’amitié ou la camaraderie virile. Sophie se jette dans le désespoir d’un amour non partagé, elle l’avoue, l’affirme jusqu’à se rendre insupportable pour Eric, l’objet de son amour.

Noblesse ou déchéance? Le narrateur est spectateur passif, incapable de prendre parti. Ce Coup de Grâce est un sommet de l’ambiguïté, ambiguïté des sentiments mais aussi des idées. Le lecteur, malgré ses réticences, est emporté dans la boue, le froid, la tourmente. C’est le grand art de Yourcenar que de mener à bout ce récit à la limite du supportable.

 

 

 


 

 

 

En escarpins dans les neiges de Sibérie – Sandra Kalniete (Lettonie)

LIRE POUR VOYAGER/VOYAGER POUR LIRE

que lire à la veille du départ pour Riga et les Pays Baltes?

Suivant les conseils de Dominique « A sauts et à Gambades », excellent billet contenant des liens passionnants et contradictoires, j’ai donc fait suivre la lecture de Purge de Sofi Oksanen par celle d’En escarpins dans les neiges de Sibérie.

Purge se déroule en Estonie, tandis que Sandra Kalniete est Lettone. L’occupation soviétique, hélas, fut la même. Si les  pays baltes ont des langues totalement différentes et des différences (qu’il faudra que je constate bientôt) l’histoire récente est analogue. Non pas une occupation, mais trois.

En escarpins dans les neiges de Sibérie n’est pas une fiction comme Purge c’est un témoignage. l’auteur raconte les déportations en 1941, 1945 puis 1949 des membres de sa familles. Elle ne se contente pas des témoignages oraux et des souvenirs. Elle exhumé les dossiers des archives, a dépouillé toute la correspondance et même le journal intime de sa mère et a fait œuvre d’historienne corroborant toutes ses affirmations de notes citant ses sources. Elle a également replacé l’histoire familial dans un contexte plus général, letton et même européen . Ces analyses m’ont permis de comprendre ce qui était resté obscur à la lecture de Purge. La déportation de la sœur et de la fille d’Aliide dans le roman m’avait parue bizarre. Je l’avais trop facilement peut être mis sur le compte de la jalousie de l’héroïne  lui faisant endosser une responsabilité très lourde qui n’avait peut être pas lieu d’être. La clandestinité du mari convoité gagne aussi en vraisemblance.

Au lieu de me promener en Lettonie, j’ai erré dans les wagons à bestiaux des déportés et en Sibérie. Si on ne peut vraiment pas parler de promenade, le voyage mérite la lecture. Le livre montre l’incroyable résistance et force d’âme de ces hommes et de ces femmes, résistance physique également dans des conditions extrêmes, imagination de survie : comment se faire des bottes ou des chaussettes avec des chiffons et des herbes, comment lutter contre le scorbut et les carences de vitamines avec les ressources de la forêt…..Leçon de dignité, de l’immense amour maternel et de la solidarité entre déportés mais aussi entre Sibériens.