Meursault, contre-enquête – KAMEL DAOUD

LECTURE EN MIROIR/JEU LITTÉRAIRE

« je vais te résumer l’histoire avant de te la raconter ; un homme qui sait écrire tue un Arabe qui n’a même pas de nom ce jour-là – comme s’il l’avait laissé à un clou en entrant dans le décor – puis se met à expliquer que c’est la faute de Dieu qui n’existe pas et à cause de ce qu’il vient de comprendre sous le soleil et parce que le sel de la mer l’oblige à fermer les yeux »

Haroun, le narrateur explique ensuite que le livre, il le sait par cœur comme le Coran. 

Il m’a semblé donc indispensable de relire l’Etranger avant de poursuivre plus avant ma lecture de la contre-enquête. Ce fut presque une redécouverte. J’avais lu Camus pendant mes années-lycée, il y a donc bien longtemps….

J’ai poursuivi la Contre-enquête dans la foulée – lecture miroir – recherchant les images, les expressions symétriques, analogies ou opposées, comme un jeu oulipien et je me me suis régalée. 

Incipit :

« Aujourd’hui, M’ma est encore vivante.

Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter bien des choses. »

L’Arabe tué en 1942 sur la plage est son frère Moussa. Moussa/Meursault, accompagné de Larbi/L’Arabe, n’ont laissé aucune trace dans l’enquête ou le procès de Meursault, condamné pour n’avoir pas pleuré sa mère plus que pour avoir tué un Arabe anonyme qui n’a intéressé personne. tout juste deux coupures de journal que la mère de Moussa a conservé pour faire son deuil alors que le corps de la victime n’a même pas été présenté à la famille.

L’enfance du narrateur a été occupé par ce deuil et la contre-enquête, la recherche du corps, du lieu du crime, de témoins…Fuyant Alger la mère et le fils s’installent justement à Hadjout/Marengo, le village où était l’asile de la mère de Meursault.

1962, aux premiers jours de l’Indépendance, Haroun devient, comme Meursault, meurtrier. Il tue un Français, sans bien savoir pourquoi. Ce meurtre, à deux heures, comme celui de la plage, mais sous la lune, est le reflet de celui de 1942. il met un point final à la rage de la mère, à sa recherche, comme une vengeance.

 

« La mort, aux premiers jours de l’Indépendance était aussi gratuite, absurde et inattendue qu’elle l’avait été sur une plage ensoleillée de 1942″

Haroun, lui aussi, sera emprisonné. lui-aussi pour de mauvaises raisons. Pourquoi a-t-il tué après l’Indépendance et non pas avant?

Comme Meursault a eu une amie Marie, Haroun rencontre Meriem. C’est même elle qui lui fait lire l’Etranger. Comme Meursault hait les dimanches, Haroun déteste les vendredis. Comme le premier repousse le prêtre, le second fait un scandale à la mosquée….

Je pourrais poursuivre encore la chasse aux analogies, reflets ou oppositions…

«  »Cet homme, ton écrivain, semblait m’avoir volé mon jumeau, Zoudj, mon portrait et même les détails de ma vie et les souvenirs de mon interrogatoire! Je l’ai lu presque toute la nuit, mot à mot, laborieusement. C’était une plaisanterie. j’y cherchais des traces de mon frère, j’y retrouvais mon reflet, me découvrant presque sosie du meurtrier… »

Au delà du jeu littéraire, de l’exégèse de l‘Etranger , une autre lecture est intéressante : lecture politique, de la Colonisation et de l’Indépendance , du choix du français par l’auteur. Et bien sûr les implications philosophiques.

Il m’est bien difficile de dissocier Meursault la contre-enquête de l’Etranger. Peut il se lire sans l’autre?

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Une enfance dans la gueule du loup – Monique Lévy-Strauss

TÉMOIGNAGE

monique levystrauss

Merci à Aifelle qui a fait voyager ce petit livre (220p.) que j’ai lu d’un trait.

Je l’ai commencé sur un sentiment d’étonnement. Comment le père a-t-il pu emmener sa famille en Allemagne en 1939 à la veille de la guerre? Comment n’a-t-il pas pu penser à la menace terrible qui pesait sur la femme juive?Comment a-t-il pu travailler pour l’industrie lourde allemande en période d’armement?

Des éléments de réponse se trouvent dans l’histoire familiale : famille cosmopolite, de nationalité belge, le père vit en France, la mère est américaine mais d’origine juive allemande et autrichienne. Le voyage de noce des parents en Chine complète cet éclectisme. Alors pourquoi pas l’Allemagne qui offre des perspectives de carrière intéressante à l’ingénieur?

Quand même, pendant le IIIème Reich?

Si le père, d’origine très modeste, a dû travailler dès l’enfance, la famille vit dans une très confortable bourgeoisie, Saint Cloud, le seizième, le manoir berrichon. Des privilégiés qui éprouvaient peut être plus de sympathie vers le fascisme que vers le communisme (cela c’est moi qui l’imagine, jamais cela n’est écrit dans l’ouvrage, ni même suggéré). Mais quand même, le IIIème Reich! Cette ignorance du mal absolu qu’était le nazisme, était dans l’air du temps : Münich!

On lit donc le récit de l’adolescente plongée dans une Allemagne en guerre, entre la peur que la mère ne soit démasquée, les privations, le père incarcéré en 1940, les bombardements alliés. Finalement, les blessés de Buchenwald quand elle devient étudiante en médecine.

Adolescence difficile et pourtant une leçon de vie et d’optimisme. Chaque fois la jeune fille a trouvé des voisins, des professeurs, des inconnus qui lui ont tendu la main, l’ont aidé dans l’apprentissage de l’allemand, l’ont protégée quand elle et son frère se sont trouvés seuls. Jamais elle n’a souscrit à l’expression « les boches » et a refusé de l’utiliser à son retour en France. Chance inouïe, dons naturels pour les mathématiques, la peinture et les langues étrangères, Monique a toujours su tirer parti de son travail personnel pour se faire une place dans la vie.

Après la guerre, elle  retrouve une place privilégiée aussi bien dans la famille américaine que dans ses relations en France. Jamais , pourtant elle ne donne l’impression d’abuser de la gentillesse des gens qui l’hébergent, l’aident lui font connaître des personnes influentes. Elle donne le change, traduit, travaille et gagne elle-même sa place.

Une leçon de vie, de générosité, d’intelligence. Et pour la lectrice, la leçon de ne jamais simplifier, caricaturer.

Lire également le billet de Claudialucia

 

L’Obèle – Martine Mairal

LIVRE VOYAGEUR

l'obèle

Claudialucia l’a envoyé, puis Gwennaëlle, puis Eimelle, puis…..Il est arrivé chez moi enrichi de beaux marque-pages, je l’ai dévoré, il va bientôt repartir et je vais le regretter – enfin pas trop puisque je vais l’offrir pour Noël à mes proches et que je saurai ainsi où le retrouver….Je me suis interdit de lire les billets de leurs blogs pour me réserver encore la surprise. Maintenant, c’est bien difficile d’ajouter quelque chose aux analyses si complètes venant de lectrices nourries de Montaigne. ICI l’article de A sauts et à Gambades

Je recopie quelques passages que j’ai notés (j’aurais pu en choisir d’autres tant le livre est riche)

obèle

L’Obèle

« – Voyez ce signe Marie. Trois traits y suffisant. Une barre verticale ferrée de deux traits brefs à chaque extrémité. Tant me plait cette petite broche que les copistes alexandrins dénommaient obélos. J’ai fait mien de leurs hésitations sur l’authenticité de tel ou tel vers d’Homère. Il saura vous parler quand je me serai tu. Suivez le à la trace. Il indique le point de bifurcation où enchâsser mon ajout dans mon texte. Prenez garde toutefois qu’il m’arrive de mettre des additions aux allongeails, non par goût de vous compliquer la lecture mais par devoir de précision et volonté de ne rien celer de l’acheminement de la pensée vers son terme…. »

Montaigne explique à Marie de Gournay comment elle éditera les Essais quand il aura quitté ce monde. Marie de Gournay y consacrera sa vie à cette tâche.

mariedegournay

 

 

 

 

Malgré son grand âge, elle conserve un regard acéré, et beaucoup d’humour,  sur le siècle et sur la vie littéraire.

Ainsi commence le roman :

« La peste soit de l’Académie et des  Académiciens! Aussi soumis à la voix de Richelieu que fille transie à son galant. »

Richelieu dont elle dresse un plaisant portrait :

richelieu

« Ma foi, il était à peindre. le cabinet tendu de damas purpurin, la robe cramoisie le grenat de sa bague, le carmin de ses lèvres et contre ça, l’éclat immaculé d’un roncier de dentelles fines blanchies à mourir, de son visage glabre sous un trait de moustache  un pinceau de barbe charbonneux à souhait autant que prunelle d’encre qui m’examinait jusqu’à l’os,  non moins impertinent que la mienne…. »

 

 

Quand son récit se noue avec les mots des Essais, il m’est difficile de dénouer ce qui appartient à Marie et ce qui vient de Michel. Amitié amoureuse en miroir avec le lien de Michel de Montaigne et de La Boétie. Citations des Anciens, parfois savoureuses quand Saint Augustin est convoqué à propos de pets, ridiculisant au passage les Précieuses

Essais de MontaigneIl faudrait vraiment que je relise les Essais!

Rue de boutiques obscures – Modiano

rue des boutiques obscures

Mémoire de temps troublés.
Enquête d’un amnésique – détective – à la recherche de ses souvenirs.
Hasard ou coïncidence? Il croit se reconnaître sur une photographie ancienne.
A l’aide du Bottin mondain, il retrouve les personnages de la photo, leurs numéros de téléphone, leurs adresses.
Est-ce lui le fils de famille du château abandonné? Ou le diplomate d’un consulat sud-américain? Pourquoi ces changements d’identité?
Comme dans la Place de l’étoile, la période troublée est celle de l’occupation allemande. les personnages sont des mondains, dilettantes ou artistes. Cosmopolites, Russes ou Grecs, sud-américains.
Indices tenus. le personnage se construit. Réel ou fictif?
Charme de l’ambiguïté.

Patrick MODIANO – La place de l’étoile

 modiano la place de 'Etoile

Au mois de juin 1942, un officier allemand

S’avance vers un jeune homme et lui dit :

« Pardon, monsieur où se trouve la place de l’Etoile ? »

Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine.

(Histoire juive)

Ainsi commence le roman.

Le narrateur Raphaël Schlemilovitch, personnage halluciné, va nous raconter des histoires ahurissantes, sans souci de chronologie ni de vraisemblance. Il va endosser le portrait du juif dans tous les fantasmes de l’avant-guerre et de l’après.

« …jusqu’à quand devrons-nous assister aux frasques de Raphaël Schlemilovitch ? » Jusqu’à quand ce juif promènera-t-il impunément ses névroses et ses épilepsies du touquet au cap d’antibes, de la Baule à Aix-les-bains ? »

Il cite Louis Ferdinand Céline – qu’il faudrait sans doute avoir lu pour apprécier la satire – mais moi, je me refuse à lire Céline ! Dans son évocation de l’antisémitisme, il remonte à l’affaire Dreyfus, imagine une Psychanalyse de Dreyfus.  On rencontre Maurice Sachs ce qui n’est pas forcément une bonne fréquentation.  , traverse les époques avec toujours le leitmotiv de l’antisémitisme. Ce n’est pas pour l’analyser ou le démonter, mais plutôt pour s’en jouer. Personnage terriblement ambigu qui ne m’est pas du tout sympathique.

Juif terriblement snob, préférant l’aristocratie comparant ses amitiés à celle du narrateur d’A la recherche du Temps perdu aux besogneux élèves de la khâgne de Bordeaux. Ses lieux de prédilections seront Lausanne, les quartiers chics de Paris ou de la Côte d’Azur

« je ne connaissais la province que par l’entremise du guide Michelin et de certains auteurs comme François Mauriac. « 

Mais c’est aussi une cartographie parisienne de tous les lieux de la Gestapo, de la Milice à Versailles, on saute d’une époque à l’autre sans jamais se départir de cette omniprésence .

« Pour ma part, j’ai décidé d’être le plus grand écrivain juif français après Montaigne, Marcel Proust et Louis-Ferdinand Céline »

Cet ouvrage est aussi un hommage à la littérature français, la meilleure comme celle qui est tombée dans l’oubli. Qui se souvient d’Estaunié ou d’Abel Hermant ? Ni Sartre ni Breton ne sont oubliés, ni René Bazin ou Racine  et Saint Simon.

Vers la fin, Raphaël  devient de plus en plus abject : il recrute des jeunes filles pour la traite des blanches. C’est trop gros pour être lu au premier degré. Canular hénaurme ?

Souvent je décroche quand je n’éprouve pas de sympathie pour le héros.

 

 

 

 

 

 

 

Jean GIONO – Le grand troupeau

ONZE NOVEMBRE

otto dix

En vacances alors en Provence, à la suite de Daudet, de Mistral et de Pagnol, j’avais envie de compléter mes lectures par Giono. Sur la recommandation de Dominique, j’ai téléchargé Le Grand Troupeau, puis tardé à le lire. Les commémorations des deux guerres mondiales se superposant cette année, j’hésite même à allumer la télévision, les guerres actuelles suffisent !

Mais c’est un grand livre et j’aurais eu bien tort de le bouder.

gionoUn grand livre pacifiste qui oppose la vie des hommes et des femmes  des Alpes du pays de la Durance à la boucherie qui se déroule à Verdun et sur les autres champs de bataille de la guerre de 14.

Le Grand troupeau est il l’armée qui a réuni au début d’Aout 14 tous les hommes du village ou est-ce cette transhumance anticipée qui fait descendre de l’estive toutes les brebis  derrière le vieux berger. Dans cet été si beau, les anciens décèlent la pourriture, sur une feuille de vigne, dans la Durance. Giono n’oublie pas la nature, les animaux. Ce bélier mouton-maître, qui perd son sang, anticipe la saignée de la guerre.

La vie est l’affaire des femmes, des jeunes surtout, qui sentent leur sang chaud après le départ de leurs hommes et qui fauchent, labourent et sèment à leur place.

Allers et retours entre les Alpes et le front. Chez ces hommes, des paysans pour la plupart, pas d’héroïsme inutile, mais une grande fraternité quand Joseph ou Olivier réconfortent leurs camarades blessés, leur parlent du village au moment où la vie s’écoule en blessures terribles. Attentif aussi à la nature, à un arbre blessé, un lézard qui vient d’éclore, à la fatigue d’une mule ou d’un cheval. Jamais de paroles cocardières, ni de vain patriotisme. Fatalité d’un combat dont jamais le sens n’est explicité. Pas de rébellion non plus. Les hommes, sont ce grand troupeau qu’on mène au combat, ordres qui n’admettent pas de discussion. Le seul Allemand rencontré, un prisonnier, est un brave homme.

C’est un hymne à la nature, à la vie, beauté des Alpes. Beaucoup de descriptions. Giono nous fait voir la lumière, la couleur du ciel. Il nous fait sentir les odeurs, celles agréables de la campagne mais aussi celles écœurantes du champ de bataille, des blessures qui suppurent, des maladies.

Le château d’Otrante – Walpole

LECTURE COMMUNE

Le-château-d'Otrante-(classique,-moderne,-Penguin)

Vous aimez les châteaux hantés?Les spectres?Les chevaliers qui reviennent des Croisades?

Vous aimez les jeunes damoiseaux, les châtelaines parfaites, mères aimantes, pieuses épouses dévouées?
Vous aimez les histoires de famille compliquées, les malédictions à la 3ème ou 4ème génération?
Vous lisez des romans gothiques?
Vous suivez les sagas à la télé?

Vous allez être servis.

château des Pouilles
château des Pouilles

Moi, je n’aime rien de tout cela.
Et pourtant,
Captivée,
j’en ai loupé la station de bus où je descends quotidiennement, ce qui ne m’était jamais arrivé.
Il faut dire que l’intrigue est bien tournée, qu’on n’est jamais à l’abri d’une invraisemblance, et que je me suis, malgré moi, laissé prendre, un peu coupable, comme quand je regarde une série à la télé à la place du documentaire d’Arte. Point de psychologie, le fils meurt. On ne le pleure ni même ne l’enterre. On passe à la catastrophe suivante qui surprend tellemnt qu’on en est ébahi!

Pour en finir avec Eddy Bellegueule – Edouard Louis

Comment est-ce possible qu’un enfant soit harcelé au collège parce qu’il est efféminé sans qu’aucun adulte n’intervienne? Harcèlement d’une violence épouvantable, crachats, coups, pendant des années. Ceci m’interpelle en tant qu’enseignante. peut être un tel drame se déroule près de moi à mon insu!
Le roman – témoignage – ne se résume pas à cette problématique. Il décrit une violence permanente dans un contexte de misère qu’on croirait datée du 19ème siècle du temps de Zola. Misère, chômage, travail abrutissant, alcoolisme. Les adultes ne sont guère mieux lotis. Les habitants de ce village picard, dans le début du 21ème siècle vivent sas autre perspective que l’usine ou le RMI. Les filles se marient tôt et ont de nombreux enfants. la télévision comme unique divertissement, avec les apéros qui souvent se finissent mal.
Au moment où l’on discute du bien fondé de la théorie du genre, on voit la fabrique des hommes, fabrique du machisme, de la brutalité. les femmes participent aussi à cette reproduction des mâles, elles en subissent la loi avec colère et courage.
violence du langage, que cite l’auteur en italique, pauvreté de ce langage…
Fabrique des mâles et exclusion de tout ce qui est différent : les pédés, les arabes et les noirs.Les arabes et les noirs, il n’y en a pas au village, haro sur le pédé!

Le quatrième mur – Sorj Chalandon

ANTIGONE EST MORTE A CHATILA

Jouer Antigone d’Anouilh à Beyrouth en guerre en 1982 avec des acteurs maronites, druzes, palestiniens, arméniens….offrir le temps des répétitions, d’une unique représentation, une trêve. C’était le rêve de Sam le Grec résistant aux colonels, juif de Salonique.

Démarche qui m’a fait penser aux chanteurs du film dUne seule voix.

Faire du théâtre un lieu de résistance. Et qui symbolise la résistance mieux qu’Antigone? Antigone qui dit non. Antigone d’Anouilh crée en février 1944 quelques jours avant l’exécution de ceux de l’Affiche Rouge. Antigone montée dans un  cinéma en ruine sur la ligne de démarcation dans les gravats et les décors ruinés montés pour Lysistrata encore une pièce de résistance.

Un roman sur le théâtre, sur la politique aussi.

En prologue, le narrateur, Georges, est un ancien mao de la Sorbonne. J’ai retrouvé avec amusement (et un certain agacement) les militants des années 1970. Les réunions à Jussieu à la tour 34, les interventions des féministes, les grandes causes que nous défendions dans la rue avec banderoles et slogans. L’irruption de Samuel Akounis, le metteur en scène grec plus vieux, plus mûr, plus conscient du poids des mots, va introduire le doute dans le militantisme aveugle.

Après la dissolution de la Cause du peuple, le théâtre va remplacer la politique et la violence.

La promesse faite à Sam, malade, de poursuivre son projet va conduire Georges au Liban. L’aviation israélienne, s’invitera pendant une répétition. La tragédie n’est plus sur scène mais dans la rue.

 

« Anouilh lui murmurait que la tragédie était reposante, commode. Dans le drame, avec ces innocents, ces traitres, ces vengeurs, cela devenait compliqué de mourir. On se débattait parce qu’on espérait s’en sortir, c’était utilitaire, c’était ignoble. Tandis que dans la tragédie c’était gratuit. C’était sans espoir. Ce sale espoir qui gâchait tout. C’était pour les rois, la tragédie. Deux fois, Georges est tombé. Il a heurté une poutre jetée en travers. Et puis il est arrivé à la porte du garage. Il a traversé le quatrième mur, celui qui protège les vivants. »

 

Une autre Antigone venue de Palestine:

 

 

 

Némésis – Philip Roth

némesis rothDans la lignée d’Indignation ou de la Tache…Roth raconte l’Amérique, son  Amérique, celle de Newark, 1944, dans un quartier juif.

Bucky Cantor, le héros, est un jeune sportif accompli dont l’armée américaine n’ a pas voulu en raison de sa mauvaise vue. Tandis que ses camarades se battent en Normandie ou dans le Pacifique, il dirige un terrain de sport pendant les vacances où les enfants du quartier se réunissent. D’être exempté, pendant que les autres sont à la guerre, il a conçu une certaine culpabilité.

Une épidémie de poliomyélite s’étend parmi les enfants de Newark. Comment s’en prémunir? La transmission de la maladie est encore mal connue. On s’en remet à une bonne hygiène, la lutte contre les mouches, une vie saine et sportive…sans empêcher que les enfants ne soient atteints et même que certains en meurent. Bucky Cantor y voit sa guerre personnelle.

Et voilà que sa fiancée lui donne l’occasion d’un nouveau poste dans la campagne. Bucky Cantor part pour un camp de vacances dans un lieu idyllique, loin, pense-t-il de la contagion. Mais il ressent l’abandon de Newark comme une désertion.Une de plus.

Némésis, la déesse de la Vengeance, de la Juste Colère, étendra sur lui ses foudres.

Encore une fois, Roth a su raconter avec talent et mesure l’Amérique des petits juifs de bonne volonté dans la tourmente, tragédie ordinaire.

némésis statue