la Canne de Balzac est exposée au musée de la Maison de Balzac Rue Raynouard à la limite des anciens villages de Passy et d’Auteuil. C’est un bel objet, luxueux, plutôt ostentatoire de belle taille, incrusté de turquoises et d’une chaîne d’or ayant appartenu à Madame Hanszka. A la Maison de Balzac, elle est présentée accompagnée d’un texte un peu énigmatique :
Cette canne, pense-t-il. Si cette canne était comme l’anneau de Gigès, comme Robert le Diable ! Si cette canne avait le don de rendre invisible !..Gigès avait un anneau qui le rendait invisible… Robert le Diable a aussi un rameau qui le rend invisible. Ah ! si
j’avais ce rameau !..
En effet, on peut imaginer que le don de Balzac de décrire avec précision tant de personnages dans leur milieu de vie ou professionnel ne pouvait s’expliquer que par une observation méticuleuse que seul un spectateur invisible pourrait obtenir. Le don d’invisibilité proviendrait-il de cette canne miraculeuse?
Comment se fait-il que M. de Balzac, qui n’est point avare, connaisse si bien tous les sentiments, toutes les
tortures, les jouissances de l’avare ? Comment M. de Balzac, qui n’a jamais été couturière, sait-il si bien toutes
les pensées, les petites ambitions, les chimères intimes d’une jeune ouvrière de la rue Mouffetard ? Comment
peut-il si fidèlement représenter ses héros, non seulement dans leurs rapports avec les autres, mais dans les
détails les plus intimes de la solitude ?M. de Balzac, comme les princes populaires qui se déguisent pour visiter la cabane du pauvre et les palais du
riche qu’ils veulent éprouver, M. de Balzac se cache pour observer ;
j’ai cherché le texte d’où est tirée la citation : La Canne de Balzac de Delphine de Girardin , roman publié en 1836.
Delphine de Girardin (1804-1855) était une écrivaine, une journaliste et tenait un salon fréquenté par Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Alfred de Musset, Victor Hugo, Marceline Desbordes-Valmore, Alphonse de Lamartine, Franz Liszt, Alexandre Dumas père, George Sand (source Wikipédia) , elle a écrit plusieurs romans en prose, des pièce de théâtre et des poème. C’est étonnant qu’une telle écrivaine ait laissé si peu de traces à l’heure actuelle. Moi qui imaginais George Sand comme femme originale la seule femme dans le monde littéraire!
« Il y avait dans ce roman… – Mais ce n’est pas un roman. — Dans cet ouvrage… — Mais ce n’est pas un ouvrage.
— Dans ce livre… — C’est encore moins un livre. — Dans ces pages enfin… il y avait un chapitre assez
piquant intitulé : Le conseil des ministres On a dit à l’auteur : — Prenez garde, on fera des applications, on
reconnaîtra des personnages ; ne publiez pas ce chapitre. Et l’Auteur docile a retranché le chapitre.L’Auteur les a sacrifiées… mais il est resté avec cette conviction : qu’une femme qui vit dans le monde ne doit
pas écrire, puisqu’on ne lui permet de publier un livre »
La Canne de Balzac fait assez peu intervenir l’auteur de la Comédie Humaine qui se contente de prêter sa canne à Tancrède, le héros du roman, un très beau jeune homme provincial venu tenter sa chance à Paris. Éconduit par les protecteurs éventuels, il va à l’opéra, et découvre la canne
« Sur le devant d’une loge d’avant-scène se pavanait une canne. – Était-ce bien une canne ? Quelle énorme canne !
à quel géant appartient cette grosse canne ? Sans doute c’est la canne colossale d’une statue colossale de M. de
Voltaire. Quel audacieux s’est arrogé le droit de la porter ? Tancrède prit sa lorgnette et se mit à étudier cette
canne-monstre. – Cette expression est reçue : nousTancrède aperçut alors au front de cette sorte de massue, des turquoises, de l’or, des ciselures merveilleuses ; et
derrière tout cela, deux grands yeux noirs plus brillants que les pierreries. La toile se leva ; le second acte …. »
Tenue de la main gauche, cette canne confère à son porteur l’invisibilité. Tancrède à l’insu de tous se faufilera dans le cabinet du Roi, sera porteur d’un secret qui lui apportera la fortune. Le voilà riche! Il recherche ensuite l’amour. Toujours muni de la Canne de Balzac, il pourra s’introduire dans la chambre d’une femme mariée puis dans celle d’une très jeune fille naïve dont Tancrède tombera amoureux.
On a fabriqué des ruches en cristal, à travers lesquelles on voit les abeilles travailler : on devrait faire les
chambres des poètes transparentes pour les observer dans l’inspiration. Quel beau spectacle que celui d’une
riche pensée qui s’éveille ! Tancrède, grâce à son invisibilité, avait été à même d’observer la femme aux prises
avec la passion, en proie à ses souvenirs d’amour ; et maintenant il observe la jeune fille aux prises avec son
génie, en proie à ses involontaires désirs, à ses pures espérances d’amour. »
Fantaisie amoureuse?
Pas seulement !
Delphine de Girardin est une fine observatrice qui nous fera découvrir la vie littéraire de son temps. On assiste à une lecture de vers de Lamartine par son auteur, on lit une lettre de Chateaubriand…. On va dans un salon, au spectacle…
Surtout ce roman pétille d’esprit, de réparties, c’est léger amusant, drôle. Je pense à un Sacha Guitry sans la misogynie. j’ai souvent ri aux éclats et je n’ai pas regretté l’absence de Balzac alors que c’était lui que je cherchais.
j’aime beaucoup ce billet d’abord parce que j’adore les musées d’objets d’hommes ou femmes célèbres et puis cet écrit qui nous replonge dans un monde oublié
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