MOIS DE LA LITTERATURE DE L’EST
Ce livre est un témoignage, une enquête familiale, une enquête sur l’Holocauste, avec une rigueur extrême, des références bibliographiques. Elle recherche les origines de sa famille:
» Ce sont en vérité deux familles, l’une juive, l’autre polonaise, celle de son père et celle de sa mère »
Elle a grandi avec sa famille maternelle, grand-mère, oncles tandis que sa famille paternelle se borne à la personne de son père, seul rescapé de la Shoah. Des cousins éloignés, d’Amérique et d’Australie, ayant quitté la Pologne ont fait parvenir des photos que les disparus avaient envoyées. Ces photos illustrent le livre ; nous découvrons avec l’auteur les visages, leurs habits, les décors et suivons le déroulement de l’enquête. Elle découvre ses ancêtres et leur ville d’origine
« En vérité, de toutes les injonctions rabbiniques, la plus durable et singulière est Zakhor ! Souviens-toi ! »
[…]
Voilà pourquoi je creuse et j’accumule, je relie et je recueille. Des morceaux d’histoire déterrés, des rares
documents et des paroles, plus rares encore, de mon père, rescapé de l’Holocauste, je construis un récit. »
Radom, la ville d’origine de ses ancêtres paternels a perdu tous ces juifs alors que la communauté juive formait le tiers de sa population en 1930.
» Il existe en Pologne de nombreuses villes invisibles, mais Radom semble particulièrement saturée d’invisibilité. Ici, rien ne rappelle rien, rien ne s’accorde avec rien. «
[…]
« Et pourtant, malgré l’absence de traces matérielles du passé, une autre vie continue d’exister sous la surface du
Radom d’aujourd’hui ; les morts continuent de vivre leur existence de fantômes. Leur présence est absente, et sa marque n’est pas tant quelque chose, que rien : le vide à l’endroit de l’ancien quartier juif de Radom, sur lequel
hurle le vent. Ainsi qu’une étrange douleur fantôme qui me surprend de temps à autre quand je pense à eux tous. »
L’auteure mène une enquête précise, recherche les adresses, les habitants , leurs occupations avec un luxe de détails qui peuvent peut-être lasser le lecteur mais qui démontre le sérieux du travail comme les citations de divers spécialistes.
La grand-mère de l’auteur est assassinée en 1941 dans le pogrom de Zloczow. Le récit du pogrom est glaçant. Comme la vie dans le ghetto de Varsovie jusqu’en 1942 où vivait le grand-père de Monika Sznajderman, médecin rejoint par ses deux fils. A la veille de la fermeture du ghetto, paraissait dans le gazette destinée à faire croire qu’une vie normale s’y déroulait encore la petite annonce suivante :
…« l’usine de produits alimentaires Saturne, dont le siège social se situe à Varsovie, au 7 de la rue Grzybowska, met
en garde tous ceux qui se sont procuré du poivre présenté dans des emballages de la firme auprès de revendeurs
non autorisés, leur demandant de vérifier qu’il est bien authentique. En effet, une bande de faussaires échange du
vrai poivre contre de la spergule des champs moulue. « Dans Grande Action. Dès le 22 juillet 1942, le ghetto était complètement fermé… »
Cette annonce explique sans doute le titre du livre.
Après l’histoire de sa famille paternelle et de la liquidation de tous ses membres (sauf Marek son père). Monika Sznajderman raconte, photos à l’appui, sa famille polonaise : des aristocrates, riches propriétaires. Le grand père industriel qui a fait fortune en Russie, l’a perdue à la Révolution d’Octobre. Ses oncles ont eu des destins variés, l’un architecte de gauche s’est trouvé sa place après la guerre, tandis que l’autre nationaliste militant a été emprisonné. J’ai été plus dépaysée dans cette partie du livre
« Nous, nous avons tous survécu, eux sont tous morts ».
» Deux courants de la vie sous l’Occupation – juif et polonais – n’avaient pratiquement aucun point de rencontre. »
Il est difficile de comprendre comment la population polonaise a ignoré l’anéantissement des Juifs.
» Car je regarde à travers des lunettes doubles, et eux regardent avec moi. Car j’ai perdu mon innocence, les privant par là même de la leur aussi. Ainsi mes ancêtres polonais sont-ils devenus responsables avec moi du sort de mes ancêtres juifs – ma famille juive de Varsovie et de Radom, de Miedzeszyn et de Śródborow, que je n’ai jamais connue, et tous les Juifs avec qui les Rozenberg… »
« Les nobles terriens du voisinage ne prêtent aucune attention, semble-t-il, au sort des Juifs de Łęczna, avec
lesquels mes parents polonais et leurs voisins étaient liés de longue date par des relations commerciales et sociales, souvent intimes et cordiales. «
Comment des courses de chevaux ont continué alors que le Ghetto de Varsevie était anéanti? Comment un pogrom se déroulait dans la parfaite indifférence (le meilleur des cas) mais souvent avec la complicité des Polonais? L’antisémitisme fut instrumenté par les politiques. La population s’est jetée sur les biens abandonnés par les Juifs.
« Dès le début des années 1940, avant que la machine hitlérienne d’extermination de la population juive ne se mette en branle, une fraction importante de la société polonaise avait mentalement projeté le vide que laisseraient les Juifs et, au mieux, en avait pris acte, au pire, s’en réjouissait et le louait pleinement. »
Quel mot étrange, pożydowskie – « qui reste après les Juifs ».
Tous les Juifs iront à la poubelle », dit Klimer. C’en est fini des Juifs, maintenant, c’est « après les Juifs »
Monika Sznajderman conclue son livre par la rencontre de ses deux parents, tous les deux médecins. Mais la question de la responsabilité de la population polonaise dans la Shoah et même après et l’antisémitisme qui perdure reste ouverte.
J’ai hésité à le demander à masse critique, mais je sortais de lectures similaires. Tant pis, je suis toujours intéressée!
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Je l avais demandé mais il ne m’a pas été attribué. Je l’ai acheté. Je sors assi d une série sur la Shoah a vrai dire je ne m’en sors pas
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La réflexion sur la culpabilité est intéressante et c’est un abîme sans fond. Tous ces gens qui n’avaient rien contre les juifs… sauf qu’après la guerre et jusqu’à aujourd’hui les mains des juifs sont occupées par d’autres gens. Il y a un grand trou noir entre les deux.
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Quand je suis allée en Pologne, début des années 70, le problème des la disparition des Juifs n’existait tout simplement pas. Je me suis fait regarder complètement de travers quand j’ai demandé à voir l’emplacement de l’ancien ghetto. C’était une question inabordable en général.
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Quand on regarde le film de Lanzmann on ne peut pas accepter l’idée que les polonais n’ont rien su, que tous n’aient pas su certainement comme pour tout mais la responsabilité est bien là comme en France à une échelle plus petite,
je me souviens de ma mère me racontant que pendant la guerre elle ne comprenait pas pourquoi certaines de ses amies n’étaient plus présentes … mais après quelques mois elle réalisa que ces amies là étaient juives, elle a ouvert les yeux alors
j’ai noté ce livre chez Passage à l’est tu m’a confirmé l’intérêt de le lire
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C’est un très beau livre que j’ai découvert récemment via notre mois thématique ; je vais certainement le lire, il a l’air très riche.
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Ce qui ressort, dans toutes mes lectures, c’est l’antisémitisme virulent des polonais (pas tous évidemment mais une majorité). Dans La steppe infinie, la petite fille et ses parents sont accueillis pas des insultes lors de leur retour en Pologne : « Sale juifs, vous auriez dû rester en Sibérie ».
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Antisémitisme même quand il n y a plus de juifs. Desolant
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Zakhor, c’est tout à fait l’esprit de mon blog sur la généalogie juive. Ca aurait même pu être son nom, encore eut il fallu que je connaisse ce terme 😉
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