Nous – Evgueni Zamiatine (1924)

LITTERATURE RUSSE

 

« S’ils refusent de comprendre que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact, notre devoir sera de les obliger à être heureux. Mais avant de recourir aux armes, nous essayons la parole. »

Lissitzky PROUN

Jusqu’en 2019, j’évitais de lire les dystopies, préférant le monde réel aux mondes inventés que je trouve toujours plus pauvres que la réalité complexe.  Romans historiques ou  relations de voyage, j’aime que les lectures s’ancrent dans l’histoire ou la géographie.

Entre épidémie de Covid et confinements, dérèglement climatique canicules et sècheresse, extinctions massives….la réalité commence à ressembler aux dystopies. Et j’ai levé mes préventions et mes préjugés.

Ecrit en 1920, publié en 1924, NOUS de Ziamiatine – précurseur de la Science Fiction – est un roman prémonitoire annonçant très tôt les excès totalitaristes, procès staliniens et idéologie dominante. On dit que Orwell s’en serait inspiré pour 1984. Je viens de terminer Le Procès de Kafka qui lui est contemporain et ces deux dystopies ont un air de proximité. 

Après une Guerre de Deux Cents ans, L’Etat Unitaire procure aux numéros (on ne dit plus « les citoyens » ou « les hommes » un paradis aseptisé avec des fêtes liturgiques ,

« Fête grandiose de la victoire de « nous » sur « je », du TOUT sur le UN »

Les individus soumettent toute leur vie à des règles très strictes et à une surveillance de chaque instant. Fermer ses volets pour obtenir une intimité est soumis à autorisation, avoir des rapports sexuels est autorisé seulement après avoir obtenu un billet rose.

deux-là, au paradis – ils ont eu le choix : ou le bonheur sans liberté – ou la liberté sans le bonheur ; pas de
troisième voie. Eux, ces nigauds, ils ont choisi la liberté – et le résultat ? – après, des siècles durant, on a eu la
nostalgie des chaînes. Les chaînes – vous comprenez – tout le monde soupire après elles. Depuis des siècles !

Les héros de l’histoire n’ont ni prénom  ni nom, seulement des numéros. Le narrateur D-503 est un ingénieur de premier plan , le concepteur de l‘Intégrale, partenaire sexuel de la douce O-90, mais qui va avoir une relation avec I-330, tandis qu’une certaine U le surveille de près. D-503 tient un journal intime. comme D-503 est mathématicien, sa prose fait énormément référence aux notions mathématiques conférant une coloration très spéciale au style du roman. Tous évoluent dans un monde transparent de verre et d’acier où la surveillance est constante. 

Un vilain cas ! Manifestement, vous avez développé une âme. Une âme ? C’est un vieux mot bizarre, depuis
longtemps oublié. On dit encore quelquefois : “états d’âme”, “charge d’âmes”, “âme en peine”… Mais “une
âme” tout court… — C’est… très grave, ai-je balbutié. — Inguérissable, a coupé Ciseaux.

Et pourtant, une Muraille que personne n’ose franchir borde ce monde futuriste. I-330 entraîne D-503 à des pratiques transgressives, tabac, alcool, bien sût proscrits, puis lui fait franchir la muraille pour découvrir un autre monde. Nous est aussi un roman d’amour. Une révolte couve, révolte ou révolution? Les rebelles comptent utiliser l’Intégrale à leur profit. D-503, leur complice laissera t il son poste de constructeur de l’Intégrale au profit des mutins? Le rôle d’I est assez ambigu. 

Mais vous n’êtes pas coupables – vous êtes malades. Et cette maladie a un nom : l’imagination. C’est un ver
rongeur qui creuse des rides noires dans nos fronts. C’est une fièvre qui nous pousse à courir toujours plus loin – quand bien même ce “plus loin” commencerait là où finit le bonheur. C’est – la dernière barrière sur sa route. Réjouissez-vous : elle vient de sauter.

J’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire, dans ce monde mathématique tellement abstrait qu’il a fallu un bon tiers du livre pour m’accrocher. Et puis je me suis laissée embarquée  et je ne l’ai plus laissé. Un livre très puissant qui mérite les efforts du lecteur!

 

Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

12 réflexions sur « Nous – Evgueni Zamiatine (1924) »

  1. Il est en effet remarquable par sa dimension prémonitoire… j’avais apprécié, bien qu’ayant été un peu gênée par un style parfois un peu lourd, et qui obscurcit le propos. Je me suis demandée si ce n’était pas lié à la traduction, n’ayant absolument pas retrouvé cet aspect à ma lecture de L’inondation (qui au passage est très bien, complètement différent de celui-ci).

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