HISTOIRE DES SCIENCES
En trois chapitres Romain Bertrand raconte l’entreprise de la Description de la nature de Bernardin de Saint Pierre et Buffon en passant par Goethe
« Au temps de Goethe et de Humboldt, le rêve d’une « histoire naturelle » attentive à tous les êtres, sans restriction ni distinction aucune, s’autorisait des forces combinées de la science et de la littérature pour élever la « peinture de paysage » au rang d’un savoir crucial. »
Dans la première partie : La vie rêvée des coléoptères, l’auteur dresse un tableau de cet inventaire du monde par les naturalistes du XIXème siècle. Il présente Wallace (1823-1913) gallois qui a sillonné le pays pour arpenter les pâtures et labours pour le compte de l’Eglise d’Angleterre et qui, dans le sillage de Humboldt part en expédition sur l’Amazone,
Ivre de canopée, Wallace exulte : « Je ne me suis jamais autant amusé. » La remontée du Rio Negro lui offre
l’occasion d’une initiation à la vie de brousse. Il dort au beau milieu de la jungle, dans des huttes de fortune, à
même le sol de terre battue ; fouille à mains nues la boue …
Il part ensuite pour Singapour et Bornéo, rencontre Brooke, un aventurier, un peu bandit, qui s’offre un royaume à Sarawak.
« Wallace observe la déclinaison des espèces et de leurs attributs. Parvenant à la corréler aux états anciens des
terres émergées, il avance à pas de géant dans la compréhension des mécanismes de la « lutte pour l’existence » : séparées par accident géologique ou climatique de leur groupe-souche, des populations animales développent des caractères inédits »
Sous d’autres latitudes, observant d’autres espèces, il arrive à des conclusions analogues à celles de Darwin qui publie simultanément L’Origine des Espèces. Wallace se reconnaîtra darwinien avec fairplay.
Le XIXème siècle est celui des grandes collections qui ne se font pas sans un massacre systématique de la faune étudiée. Pour dessiner ses merveilleux oiseaux Audubon utilisera des techniques de thanatopracteur aussi sophistiquée que les égyptiens anciens dans leur momification. Des centaines d’oiseaux, de mammifères sont abattus pour la cause de la science sans état d’âme. Si
Alfred Russel Wallace, le grand et austère savant coauteur de la « théorie de l’évolution », donnant le biberon puis la becquée à un bébé orang-outan,
c’est parce qu’il a arraché le bébé à sa mère. Pour lui « il n’existe aucune contradiction entre la vie contemplée et la vie prise » et il est dit plus loin que la « somme des spécimens collectés par Wallace est tout bonnement collosssale pas mois de 125.660 pièces » .
Le chapitre 2 : Le bleu des choses commence au début du XXème siècle lors de l’Exposition universelle de Paris, plus précisément dans le Pavillon de Madagascar où se trouvent un diorama « une série de scènes d’après natures signées d’un certain Louis Tinayre ». Un des protagonistes de l’histoire sera le peintre Louis Tinayre – ancêtre des reporters de guerre qui a cheminé à Madagascar. Le « bleu » qui donne son nom au chapitre est celui du ciel, ou tout au moins la difficulté de rendre toutes les nuances de bleu.
Albert 1er de Monaco repère le peintre et l’associe à ses expéditions de 1904 à 1914 qui aboutiront à l’exploration des abysses.
La réputation de pionnier de la protection des milieux marins d’Albert Ier de Monaco ne sort d’évidence pas
indemne du récit détaillé des chasses auquel le prince s’est livré »
comme Wallace, dans le chapitre précédent, le prince est un « viandard »
Dans la palette des peintres se trouve le « Bleu Guimet » , encore un explorateur! L’auteur s’attarde sur la « Nomenclature des couleurs, devenue outil de référence de la description naturaliste » et nous fait rencontrer Syme et Werner.
A la croisée de l’art et de la science, Haeckel est un savant remarquable
« Toute la vie intérieure de Haeckel se trouve placée sous le double signe de Darwin et de Humboldt. […]
En 1866, c’est encore en hommage à Humboldt qu’il forge, dans sa Morphologie générale des organismes, le
terme d’« écologie » pour désigner « la science des relations d’un organisme avec son environnement ».
Il note la réciprocité de l’admiration de Darwin
« Darwin s’émeut de la qualité et de la beauté de l’oeuvre de Haeckel, et en conséquence, l’admet dans le cercle restreint de ses disciples »
« l’esthétique de Haeckel est, sous cet aspect, impeccablement darwinienne, qui donne à voir les marqueurs de surface de l’Evolution »
Peinture, dessin il manquait la poésie, déjà évoquée avec Goethe, au début du livre, maintenant Valéry et Ponge sont convoqués. Ponge puis DH Lawrence et toujours cette difficulté à rendre le bleu du ciel!
le chapitre 3 : Le sociologue et l’oiseau va introduire le Birdwatching , science ou passe-temps amateur particulièrement développé dans le Royaume Uni.
« Pour Nicholson, qui gravite dans l’orbe d’influence du célèbre zoologiste Julian Huxley, l’art de l’observation
des oiseaux, amusant passe-temps s’il en est, se doit de devenir une véritable science. Il n’est plus question de se
contenter d’identifier au jugé les espèces selon les seuls critères – pittoresques mais trompeurs – de leur ramage et de leur plumage, mais de décrire scrupuleusement leur habitat et leur comportement. »
Le héros de ces observations est Tom Harrison et son groupe de Birdwatchers qui vont opérer une véritable révolution en
« Prenant le contrepied de la théorie de Darwin – pour qui c’est toujours la nature qui opère, souveraine, la
sélection des espèces –, il y affirme qu’il existe un processus concurrent de « sélection de l’environnement par l’animal ».« La connaissance fine des milieux modifie la perception même des paysages. Ceux-ci ne sont plus des étendues
étales, mais des damiers d’habitats, des chapelets d’orées ouvrant sur des univers où coexistent et s’entremêlent des formes de vie. »
Il ne s’agira plus de chasser, de décrire des espèces, de collectionner des plumages mais de se cacher, d’être à l’affût, de se mettre dans la peau d’une poule d’eau pour raconter le comportement de l’oiseau, du point de vue de l’oiseau!
Et de la description des sociétés animales à celle des sociétés humaines, en appliquant les méthodes d’observation mises au point avec les oiseaux, « anthropologie de nous-mêmes » conduit à une anthropologie de masse.
On note aussi l’évolution des scientifiques qui passent des massacres des chasseurs à la protection des oiseaux.

C’est donc un ouvrage très riche, parfois un peu touffu, mais toujours passionnant qui complète la lecture des Arpenteurs du Monde de Daniel Kehlmann et de l‘Invention de la Nature d’Andrea Wulf qui m’avaient fait connaître Humboldt et Haeckel et que j’avais dévorés. Souvenir del excellente exposition au Musée d’Orsay Les origines du monde en 2020 juste après le confinement
Je l’ai feuilleté, j’ai failli l’acheter (mais j’avais déjà plusieurs livres dans les mains). Un sujet vraiment intéressant, et complexe.
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Voilà un livre pour moi ! Je le retiens ! Moi aussi j’avais adoré L’invention de la Nature.
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@claudialucia : je me souviens de ta cri
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Je le souviens de ta critique. Je pense qu’il va t’intéresser mais L’Invention de la nature m’avait plus surprise
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Merci Myriam pour ce compte rendu d’un livre que je n’achèterai peut-être pas, mais que j’irai sûrement consulter.
Et puisqu’on est encore dans la période des voeux, je te souhaite une année où ton amour des livres et de la lecture continuera à illuminer le quotidien !
Sonia
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@sonia : merci pour tes voeux. Je te souhaite à toi, ton mari et tes amis de Saint Maur une bonne santé! de beaux voyages en Corse (et ailleurs, peut-être). Et surtout continue à nous enchanter avec des expéditions parisiennes toujours originales et détaillées.
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