Convoi de Minuit – S. Yizhar – Actes sud

LITTERATURE ISRAELIENNE

Je garde un souvenir ébloui de Hirbat-Hiza lu autrefois dans l’édition Galaade. J’ai donc été surprise de retrouver Hirbat-Hiza dans ce recueil de nouvelles.  Convoi de Minuit réunit les deux récits avec une courte nouvelle,  Le Prisonnier. Laurent Schulman est le traducteur pour les deux éditions, malheureusement les notes ont disparu dans l’édition d’Actes Sud

Découverte pour Convoi de Minuit :  récit de 139 pages. un groupe de soldats prépare la route pour un convoi de camions qui va ravitailler une implantation isolée. Belle évocation de la nature, d’une nuit noire. Camaraderie : entre le responsable taciturne Rubinstein, Gavry le fanfaron, Tsviyeleh rêveur, et les autres. Dally, opératrice-radio, fait rêver Tsvileyeh. Entre terrain miné, oued à traverser, piste approximative dans l’obscurité, passeront ils? 

je viens de finir les nouvelles de Cavalerie rouge d’Isaac Babel.  En dépit des différences de lieu, d’époque et de circonstance je retrouve une certaine parenté entre ces jeunes hommes embarqués dans la guerre, sans héroïsme guerrier ni forfanterie.

Relecture pour Hirbat-Hizra, je sais ce que je vais lire : l’évacuation des habitants et le dynamitage d’un village arabe pendant la Guerre d’Indépendance. Témoignage poignant d’un soldat.

« Pourtant je me laisse vite gagner par le doute dès lors que je m’aperçois de la facilité avec laquelle je pourrais; cédant à la tentation de rallier les rangs du plus grand nombre, me fondre dans la masse des menteurs, des ignorants, des indifférents, des égoïstes, et nier d’un air entendu l’incontournable vérité, tel un larron qui n’en est pas à son premier délit. Inutile de tergiverser, il est temps de rompre le silence et d’exposer les faits…. »

C’est un très beau texte, un hymne à la campagne, au travail des agriculteurs, prêtant attention aux humains comme aux animaux et aux plantes.

Le narrateur hésite à confier ses doutes à ses camarades qui « affichent une insouciance forcée »

« j’aurais voulu tenter le tout pour le tout, mais je me taisais. Pourquoi diable étais-je le seul à m’émouvoir autant? Etait-ce dans ma nature? Je ne m’attirerais que les moqueries de mes camarades. j’étais effondré. pourtant une certitude restait ancrée en moi : les larmes d’un enfant, l’indignation muette d’une mère constituaient une épée de Damoclès au dessus de nos têtes. Aussi, dans un suprême effort pour que ma viox ne tremblât pas, finis-je par dire à Moïshe :

-Rien ne légitime cette évacuation. »

la dernière nouvelle : Le prisonnier est courte, 22 pages. Une patrouille a capturé un berger et son troupeau de chèvres. Sans ordre, sans raison,  pour s’amuser . L’homme est inoffensif sans aucun intérêt pour le renseignement. Ne sachant que faire de leur prisonnier, les soldats le conduisent en jeep dans une base. Le narrateur l’accompagne. Il pourrait le laisser s’échapper,

Sois digne du nom d’homme.

Laisse partir le captif.

Rends lui sa liberté

Le fera-t-il- il ?

 

Le Typographe de Whitechapel – Rosie Pinhas Delpuech – Actes Sud

LIRE POUR ISRAEL

« Il s’appelle Yossef Hayim Brenner. Il est né en 1881 à Novy Mlini, à la frontière entre la Russie et la Biélorussie.
Il est avec H. N. Bialik et S. Y. Agnon l’un des trois grands écrivains fondateurs de l’hébreu contemporain, et sans doute le plus audacieux. Sa vie est brève, il meurt assassiné lors d’émeutes arabes à Jaffa en 1921. »

Rosie Pinhas Delpuech raconte la vie de Brenner mais cette biographie, trame du livre, est entrelacée par une réflexion sur la langue hébraïque. L’auteure, traductrice de l’hébreu, s’implique personnellement dans la narration ;  elle  nous fait entendre l’hébreu actuel, le Brouhaha d’un autobus déchiffrant les accents, les langues qui se mêlent. 

« Dans mon métier – je suis transporteuse de langues –, les vacances sont rares, nous mettons longtemps à
transporter notre cargaison de mots d’une rive à une autre,

[…]
Pourquoi cette langue, l’hébreu, pourquoi ça ne me lâche pas, pourquoi ce livre sur un écrivain que je ne parviens même pas à lire, ni à traduire, mais autour duquel je tourne depuis des années ? »

Avant d’être la langue de la vie de tous les jours en Israël, l’hébreu était la langue de la religion et le retour à la Bible est une évidence. Les références anciennes, au personnage de Moïse, le bègue traversent le récit.

L’auteure situe le personnage de Brenner dans son contexte, écrivain juif russe, exilé à Londres arrivant à Whitechapel. Brenner écrit en hébreu, ce n’est pas une évidence à l’époque, le yiddish est beaucoup plus pratiqué alors, en hébreu manquent encore des vocables de la vie quotidienne, cependant. D’autres alternatives existent comme l’Espéranto  ou lz langue du pays de résidence, allemand, russe, anglais….

« Comme si, à l’orée du XXe siècle, le peuple juif laborieux, ouvrier, se découvrait non seulement sans terre et sans
abri, mais dans une détresse linguistique semblable à une détresse respiratoire. »

Whitechapel est le quartier des pauvres. Brenner s’installe en même temps que Jack London. De quelques semaines d’expérience, London rapporte Le Peuple de l’Abîme.  Brenner s’installera le 2 avril 1904 parmi les juifs démunis travaillant dans les sweatshops pour des salaires dérisoires provoquant le rejet et l’antisémitisme des ouvriers locaux qui voient en eux des immigrés gâchant les conditions de travail.

 

Même si les conditions de vie sont misérables, des journaux circulent parmi les juifs. Dès 1976, Aaron Liberman fonde avec dix ouvriers dont quatre imprimeurs l’Union des Socialistes hébraïques, en 1884 un journal rédigé en yiddish est destiné au public ouvrier; en 1885, paraît  l’Arbeter Fraynt de tendance anarchiste et yiddishisant . On croise un personnage singulier Rudolf Rocker, catholique allemand qui épouse le destin des anarchistes juifs et devient directeur de l‘Arbeter Fraynt. Brenner s’installe au dessus du local de l’imprimeur Narodiski et apprend le métier de typographe. Brenner raconte ce monde des petits journaux dans son roman Dans la détresse . Il crée une revue littéraire en hébreu qui a des abonnés en Europe et en Amérique. Malgré l’aspect artisanal de sa fabrication Brenner est célèbre. Lorsque Freud est de passage à Londres, ils se donnent rendez-vous devant les dessins de Rembrandt. Et encore, en filigrane, apparaît le personnage de Moïse

Rembrandt : le festin de Balthazar

« Dieu écrit directement avec son doigt, comme un artisan, et rien ne m’intrigue autant depuis mon enfance que ce doigt de Dieu qui montre une direction, qui écrit. Rembrandt le peint dans Le Festin de Balthazar, »

J’ai adoré cet entrelac d’histoire et d’exégèse de la Bible alors que justement la renaissance de l’Hébreu se veut laïque

Faire renaître un hébreu simple, encore gauche, détaché de son contexte religieux, ancré dans la réalité prosaïque
de l’humain. La langue, toute langue, ne peut qu’être humaine, ramassée dans la poussière et la sueur de la rue. 

Brenner quitte Londres en 1908, passe à Lemberg une année, hésite entre Ellis Island et la Palestine. Il accoste en février 1909 à Haïfa. 

Commence alors une nouvelle histoire, celle de la Seconde Aliya, celle des coopératives  agricoles, des communautés ouvrières. L’hébreu est alors la langue quotidienne, de Hedera au Lac de Tibériade, il n’existe pas toujours de mots pour désigner les choses. l’hébreu est façonné par des eshkenazes, L’écrivaine note

Il faudra aussi l’éclatement de l’utopie cinq ans plus tard, en 1967, pour que l’espace se fissure et que par
l’interstice s’engouffre l’arabe palestinien

Cette irruption de l’arabe remet en circulation l’ « l’arabe honteux des juifs orientaux » La traductrice ne se lasse pas d’interroger l’évolution de la langue, et j’apprécie ses digressions 

Brenner aboutit dans une cité-jardin Ein Ganim et vit dans une communauté laïque

Il se lie d’amitié avec deux grandes figures fondatrices du sionisme socialiste : A. D. Gordon et Berl Katznelson.

Elle note que sur le sionisme ils sont lucides

Herzl s’est trompé, ce n’est pas une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Il y a des habitants, ici, les Arabes, ils tiennent à cet endroit. 

Le 1er mai 1921, les ouvriers juifs défilent avec des drapeaux rouges, la population arabe réagit, c’est une journée sanglante

Brenner succombera, victime des journées d’émeutes.

Merci à Aifelle de m’avoir signalé ce livre qui traite de trois sujets que je poursuis : l’histoire du peuple juif, l’hébreu et le rapport de la traductrice à la langue.

Personnellement, j’aurais mis 5* sur Babélio mais peut être suis-je trop subjective!

 

 

 

 

 

 

Juifs d’Orient – une histoire plurimillénaire à l’Institut du Monde Arabe

Exposition temporaire jusqu’au 13 mars 2022

L‘IMA poursuit avec Les Juifs d’Orient la série : Hajj pèlerinage à la Mecque et Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire avec la même ambition et la même approche chronologique dans un Orient qui s’étend de l’Atlantique à la Perse et à l’Arabie. Coexistence millénaire des Juifs et des Musulmans .

brique funéraire – Espagne IV -VI ème siècle

La chronologie remonte à la destruction du premier temple (586 av JC) et l’exil à Babylone, puis à la destruction du second temple (70)et l’interdiction  aux Juifs de vivre à Jérusalem qui devient Aelia Capitolina (130)

Des papyrus trouvés dans l’Île Eléphantine sont datés 449 – 427 – 402 av JC

Des objets illustrent l’époque romaine : lampes portant la ménorah en décor,(Egypte, Tunisie, Maroc) des ossuaires de marbre, mosaïques de la synagogue de Hammam Lif (Tunisie)  avec des inscriptions en latin. magnifique vase de Cana en albâtre.

Doura Europos traversée de la Mer rouge

La synagogue de Doura Europos (Syrie 244 -245) fut entièrement peinte à fresques sur des thèmes bibliques. On entre dans une petite salle où les photographies des fresques ont un aspect saisissant. On s’y croirait. C’est une surprise totale. Je n’imaginais pas de telles peintures figuratives. 

Doura Europos scène du Livre d’Esther

Un dessin animé montre la rencontre du prophète Mohamet avec les tribus juives de Médine qui se soldera mal.

En parallèle une peinture de J Atlan  rappelle la figure de la Kahena (reine berbère, peut être juive qui mourut en 703 dans les Aurès combattant les invasions arabes;

Dans une petite salle un documentaire nous montre la Gueniza du Caire et les  autographes de Maïmonide. C’est très émouvant de voir ces documents : en plus des écrits religieux on découvre même la punition d’un écolier qui a fait des lignes, répétant 500 fois que « le silence est d’or » on imagine le garçonnet turbulent! Dans une vitrine sont exposés des manuscrits et même celui de la main de Maïmonide (la photo était floue à travers le verre) .

Une salle reproduit la synagogue de Tolède je remarque le sceau personnel de Todros Halevi fils de Don Samuel halevi Aboulafia de Tolède. 

Souvenir de pèlerinage à Jérusalem (affiche)

Le Temps des Séfarades raconte la vie des Juifs à Istanbul avec des photos anciennes et d’amusants souvenirs de pèlerinages à Jérusalem

Istanbul, les trois religions

Le temps de l’Europe avec un grand tableau de Crémieux, des photos de classe de l’Alliance Israélite évoque l’Algérie et la colonisation française. En face des dessins et aquarelles de Delacroix, Chasseriau montre l’intérêt pour l’orientalisme. 

tikim pour la Torah

La vie des communautés juives au tournant du XXème siècle 

montre des objets venant du Maroc (vêtements, bijoux, objets)

bijouxMaroc

 

bijoux et photos du Yémen . Un film m’a étonnée : un pèlerinage  à la Ghriba de Djerba, ces Juifs semblent sortis de la haute Antiquité alors qu’il a été filmé en 1952. La Ghriba était bien vide lors de nos passages il y a 3 ans. 

Ctouba : contrat de mariage

Dans une salle, des photos de familles marocaines, algériennes et tunisiennes montrent l’exil vers la France ou le départ en Israël. Un monde disparu.

La fin de l’exposition montre la création de l’Etat hébreu et ses conséquences : départ des juifs marocains (Aliya spirituelle pour ces populations très religieuses, mais aussi émigration économique de villageois très pauvres), l’arrivée des Juifs Irakiens, accueillis au DDT alors qu’ils avaient revêtu leurs plus beaux habits. Déchirements de ces Irakiens établis depuis l’Exil à Babylone bien avant l’arrivée des Arabes.

Une vidéo très joyeuse de Yemennight 2020, Talia Collis jeunes yéménites rappeuses préparant la mariée avec le maquillage au henné, danses et musique aux paroles ironiques sur le pays où coule le miel, le lait, les dattes….j’aimerais retrouver sur Internet cette vidéo.

Cette exposition est très ambitieuse, peut être trop. Très riche en documents, peut être trop. Qui trop embrasse, mal étreint. Je me suis sentie un peu perdue dans tous ces témoignages très touchants mais pas toujours bien mis en évidence. Il y avait matière à plusieurs expositions.

 

 

Trois étages – le livre de Eshkol Nevo/ Tre Piani – le film de Nanni Moretti

UN LIVRE/UN FILM

LITTERATURE ISRAELIENNE

j’ai découvert Eshkol Nevo avec La Dernière Interview et je m’étais promis de lire Trois Etages. La sortie du film de Nanni Moretti, Tre Piani, a précipité cette lecture. J’aime beaucoup ce réalisateur mais je ne voulais pas voir le film avant d’avoir fini le livre. J’aime prendre mon temps, le temps du livre, pour découvrir une histoire, me faire mon propre cinéma, imaginer les décors, vivre trois jours à Tel Aviv avant de voir les images italiennes que Moretti aura imaginées. 

Trois étages, trois histoires, trois confessions. 

« Tu sais, j’ai du mal à parler de ces choses-là, mais j’ai pas la force, non plus, de me censurer, je vais tout te raconter simplement, et toi, tu vas me promettre de ne pas t’en servir pour un bouquin, »

Arnon – du Premier Etage –   a invité un ami écrivain pour se confier. Il a besoin de voir plus clair dans son comportement, devenu depuis quelques temps dysfonctionnel, et son couple en crise. Il a confié sa fille de sept ans à son voisin de palier atteint d’Alzheimer, et soupçonne que le vieil homme a abusé de la fillette. Aucune preuve tangible, mais une inquiétude, un remords, qui l’entraîne à devenir violent ce que sa femme ne supporte pas. Les catastrophes s’enchaînent…Arnon n’attend pas d’excuse ou de pardon de son ami qui n’intervient pas dans le récit. Il cherche à comprendre ce qui lui arrive. 

Au deuxième étage, Hani rédige une longue lettre à Neta, son amie d’enfance partie aux Etats Unis. Son mari la délaisse voyage à l’étranger pour son travail. Elle se retrouve mère au foyer tout juste bonne à conduire ses enfants à l’école et aux activités extra-scolaire, sans ambitions, sans contact avec des adultes. Frustrée, elle débloque, voit des chouettes perchées lui parler…Elle non plus n’attend pas de réponse de Neta, elle ressuscite les confidences entre amies du temps de leur adolescence.  

Au troisième étage, Deborah – juge d’instance retraitée, enregistre des cassettes sur le répondeur de Michaël, son mari décédé. Elle poursuit le dialogue jamais interrompu. Déborah vit mal sa solitude. A Tel Aviv, un mouvement social rappelant Les Indignés ou Occupy , Nuit Debout, ou la Place Tahrir regroupe des manifestations, les manifestants ont planté des tentes où se déroulent des forums.

« Après tout, combien de fois avons-nous regardé, brûlant d’envie, nos concitoyens s’assembler sur les places et
scander des slogans chers à notre cœur, alors que nous étions empêchés de les rejoindre, à cause de nos fonctions ? Mais aujourd’hui, avec la retraite, la porte de la cage s’est ouverte. Dans ces conditions, me suis-je demandé, pourquoi devrais-je rester derrière les barreaux ? »

Deborah décide de rejoindre le mouvement et de mettre au service des jeunes manifestants ses connaissances du Droit et son expérience juridique. A l’occasion, elle fait la connaissance d’un homme de son âge, veuf, qui l’entraîne dans un voyage dans le désert. Sur la route elle va raconter son histoire….

j’avais envie de toquer à la porte de chaque voisin, celle de Ruth, de Hani, des Katz, des Raziel, et de leur dire :
Réveillez-vous, citoyens de Bourgeville. Laissez là vos parties de poker et votre inquiétude excessive pour vos
enfants, et les infidélités minables que la vacuité de votre existence, et non le désir, favorise. Levez-vous de vos
fauteuils télé trop confortables

On se demande si ces histoires vont se rejoindre.

L’histoire de Hani m’a moins touchée que les deux autres, celle de Déborah m’a beaucoup plu.

Ce n’est pas un dilemme à imposer à une mère, Michaël. Car quel pacte est le plus important : entre une femme et son conjoint ou entre une mère et ses enfants ?

Histoires de paternité, de rapports père/fille, mère/fils…qui s’inscrivent dans l’espace réduit d’un immeuble de trois étages.

TRE PIANI – le film de Nanni Moretti

l’affiche du film

Ayant terminé, et aimé, le livre, je me suis précipitée au cinéma pour voir l’adaptation filmée. En général, le film qui a un format de 1h30 ou 2h, doit faire des choix dans le récit se focalise sur un aspect tandis que le livre prend son temps. Et le propos est souvent appauvri. 

Curieusement Nanni Moretti a puisé dans le livre l’idée générale, des dialogues entiers s’y retrouvent mais il a « complété » l’histoire. Le mari de la juge, apparait bien vivant dans les deux tiers du film et l’homme que rencontre la juge est à peine esquissé. 

En revanche, l’adaptation à l’Italie et Rome d’aujourd’hui est très réussie. Pas de forum gauchistes, à la place un vestiaire où Dora, la Juge, porte les vêtements de son mari décédé. Le personnage de la jeune mère délaissée est aussi plus fouillé que dans le livre.

En définitive, le film est un objet indépendant du livre,  il convient de les voir séparément et de ne pas les comparer!

https://youtu.be/5aaq2sAgcl8

Bon film, j’aurais dû attendre un peu!

Mon Jardin sauvage – Meir Shalev – Gallimard

LITTERATURE ISRAELIENNE

« Au premier plan deux champs bordés de cyprès à la silhouette élancée, que surplombaient deux rangées de collines boisées, émaillées de tout un camaïeu de vert. Une vraie palette impressionniste : le vert pâle du chêne du Mont Thabor, le vert foncé du chêne palestinien, le vert éclatant du caroubier et du pistachier – nuance légèrement fanée du térébinthe de Palestine et celle plus vibrante de l’arbre à mastic. »

J’ai choisi la même citation que Dominique qui m’a donné envie de lire ce livre et qui j’espère me pardonnera. Dans ces lignes, je retrouve ce paysage méditerranéen que j’aime tant décrit avec une précision qui m’a interpellée.

U Lentiscu  (corse)’il manque un personnage pour donner l’échelle

Térébinthe, pistachier, arbre à mastic sont pour moi des essences voisines que je confonds. j’ai donc cherché sur Internet et trouvé que le Térébinthe de Palestine Pistacia palaestina et le Térébinthe Pistacia terebinthus qui donne la térébinthine sont des espèces distinctes, tous les deux de grands arbustes, arbres à feuilles caduques, tandis que Le Pistachier lentisque Pistacia lentiscus est un arbuste plus petit à feuilles persistantes, l’arbre à mastic qui pleure des larmes de sève donne le mastic à Chios, pourquoi seulement dans un petit territoire de cette île?

arbre à mastic chios

Je retrouve ces essences dans mes voyages aussi bien en Corse, au Maroc, en Grèce, en Turquie….ils me sont familiers et pourtant je ne m’étais jamais penchée sur la variété et la diversité de ces espèces.

Ce livre semble m’être destiné tout personnellement (quelle prétention! quelle outrecuidance!) non seulement cette flore méditerranéenne m’est chère mais le jardinage a été mon premier métier, et pas très loin du jardin de Méir Shalev! J’ai retrouvé avec joie les noms en hébreu des outils, passoires, cribles et tamis.

Scille maritime (Gozo)

Mise  en scène des fleurs des champs comme le coquelicot, l’anémone ou le cyclamen, moins connue la Scille maritime dont j’ai fait la connaissance à Malte. Animaux des jardins : oiseaux, rat-taupe, araignées et serpents divers, mais aussi plus prosaïques fourmis et guêpes.

« Les oiseaux ne piquent pas les tuyaux par pure méchanceté ou par soif – contrairement aux sangliers et aux
chacals qui rongent les tuyaux pour boire – mais par erreur. Yossi Leshem, zoologiste et célèbre ornithologue, m’expliqua que le pivert confond le bruit de l’eau circulant dans le tuyau avec les vibrations provoquées par les insectes grouillants sous l’écorce. »

Chapitres tendres et ironiques quand l’auteur se met en scène désherbant à quatre pattes ou à la recherche d’une graine tombée sous son bureau.

Références aux pionniers venus d’Ukraine ou citations bibliques.

 » Par chance, la plupart de nos concitoyens ont conscience de la pénurie d’eau, et même les non-croyants prient pour qu’il pleuve. La prière rituelle pour la pluie n’est hélas pas toujours exaucée. Le fait est bien connu et la raison est double. D’une part, nos chefs religieux ne sont pas à la hauteur, Dieu ne leur parle plus, Il ne les écoute plus comme autrefois. »

j’ai oublié d’écrire comme c’est drôle.

Livre utile : on y apprend comment préparer les olives!

Lecture délicieuse!

Seul regret, j’ai opté pour la lecture sur liseuse et les illustrations ne sont pas sous leur meilleur jour. Préférez le livre-papier

Les deux morts de ma grand-mère – Amos Oz – Gallimard

LIRE POUR ISRAEL

Pendant les évènements récents, véritable guerre civile qui ne dit pas son nom, j’ai eu envie de me tourner vers Amos Oz (décédé en décembre 2018), qu’aurait-il dit de ces affrontements? 

Les deux morts de la grand-mère est un recueil de plusieurs essais, conférences entretiens parus séparément de 1975 à 1992. La table des matières donne un aperçu du contenu

 I. D’OÙ JE VIENS

Exorciser les démons

Une enfance à Jérusalem

Un étranger dans une ville étrangère
 II. D’OÙ J’ÉCRIS

Les deux morts de ma grand-mère

Tel un gangster la nuit des longs couteaux, je rêve
 Pourquoi lire ?

III. D’OÙ JE PARLE

Entre l’Europe et le désert du Néguev

Le charme discret du sionisme

L’écrivain écrit, le critique critique, et le temps juge…. (entretien avec Iona Hederi-Remege)

Le kibboutz et la tendresse Un romantique contrarié (entretien avec Ari Shavit)

IV. LES MOTS QUI TUENT, LES MOTS QUI PARFOIS GUERISSENT

La valise de Maria Kafka

Entre l’homme et l’homme

Les nerfs d’acier de la divinité et la vraie ironie allemande

Ils ont été créés à l’image de Dieu

La morale et la culpabilité 

De la douce Autriche et des sages de Sion

Paix amour et compromis

Ce sont des textes très variés, dans la première partie, Amos Oz parle de ses origines, de ses parents, du rapport à la culture européenne et de la Jérusalem rêvée si différente de la Jérusalem réelle.

J’ai surtout aimé la seconde partie et son rapport ambivalent au kibboutz qu’il a quitté.

Voyez-vous, la civilisation d’“Eretz Israël des travailleurs”, apparemment, ne reviendra plus. Je fais partie de
cette civilisation. Cela veut dire que j’appartiens au passé. “Le pays de mon cœur”, que l’on me promettait au
temps où j’appartenais au Mouvement de jeunesse, n’existera

……………
Le monde auquel j’avais le sentiment d’appartenir intimement – avec beaucoup d’ambivalence – n’existe plus. Ce qui a été ne sera plus, et pour moi c’est un sentiment pénible. Le noyau de la civilisation qui s’est développé ici dans les années trente et quarante ne continuera pas à se développer. Il n’y aura plus ici de société de cols ouverts et de shorts, ce que Shulamith Hareven appelle une “société de frères”, une société ouverte, égalitaire, sans formalisme. Elle a disparu.

La dernière partie est un commentaire du Shoah de Lanzmann. Essentiel. 

C’est un ouvrage sans illusion, sans concession non plus, critique vis à vis du nationalisme israélien mais aussi vis à vis de la gauche bien-pensante. Cependant il date un peu. Presque trente ans nous séparent de la parution.

Il faudrait pour grandir oublier la frontière – Sébastien Juillard – Scylla

ISRAEL/PALESTINE 2050/ MASSE CRITIQUE

Merci à Babélio et aux éditions Scylla de m’avoir offert l’occasion de découvrir ce livre. La Masse Critique est l’occasion de sortir des chemins battus. 

Jolie édition, joli objet-livre, beau papier, maquette réussie, pagination originale au milieu de la page, dans le texte.

L’éditeur qualifie cet ouvrage de novella, nouvelle de 111 111 caractères et une soixantaine de pages. Dystopie, l’action se déroule dans la Bande de Gaza en 2050. Les diverses factions Hamas, Hezbollah ou Djihad mènent encore des combats désespérés tandis que la Communauté Internationale et Israël tentent une paix précaire.

Parmi les protagonistes, Keren Natanel, lieutenant de Tsahal enseigne l’hébreu à des veuves de guerre, dans un centre sous l’égide de l’Unesco. Jawad est un ingénieur qui manie la technologie moderne pour réparer les invalides avec des prothèses bioniques. Marwan Rahmani après une longue incarcération dans les prisons israélienne tente une carrière politique jouant l’apaisement.  Bassem, reste fidèle à la résistance armée. 

J’ai eu beaucoup de mal à me retrouver dans la violence récurrente. Il est question de paix et de reconstruction de Gaza mais les bombes, les drones, les attaques-suicides font des ravages et font complètement exploser le récit. Quand je crois comprendre quelque chose il se passe un évènement violent qui interrompt le cours de l’action et me projette dans des conjectures…

Je n’ai pas l’habitude de lire de la Science-Fiction et le vocabulaire techno me dérange, qu’est-ce qu’un conglo? un tore? un recorp? je crois comprendre que Jawad est capable de réincarner sa fille décédée. Je disjoncte.

Je crois que je ne suis pas le bon public pour une telle lecture, trop de violence, d’incohérence, de galimatias. Dommage….Au moins, j’ai essayé!

Apeirogon – Colum McCann – Belfond

LIRE POUR ISRAEL/PALESTINE 

Comment l’histoire vraie de Rami Elhanan et celle de Bassam Aramin est-elle passée sous mes radars?

Bassam et Rami en vinrent à comprendre qu’ils se serviraient de la force de leur chagrin comme d’une arme.

Bassam Aramin (left) and Rami Elhanan (right) – members of the Bereaved Families Forum

Deux pères endeuillés, Rami, l’Israélien, père de Smadar, 14 ans,  victime en 1997 d’un attentat de kamikazes et Bassam, le Palestinien, père d’Abir, 10 ans tuée par une balle à l’entrée de son école en 2007. Ces deux pères consacrent maintenant leur vie à raconter conjointement leur deuil plutôt que leur vengeance et militent pour la paix dans le cercle des parents. Histoire du combat pour la Paix. Histoire aussi d’une amitié. 

Cette histoire, seule, aurait valu la peine d’être lue, même brute, même sans fioritures littéraires. Surtout si, en plus, le livre évoque Nourit Peled-Elhanan, la femme de Rami, lauréate du Prix Sakharov 2001, aussi une Combattante pour la paix et son père Matti Peledgénéral, héros des guerres israéliennes, et arabisant, universitaire, protestataire, militant contre l’occupation après la guerre des Six Jours. 

 

Une biographie de Bassam, même littérale, aurait été passionnante. Vie quotidienne en Palestine, internement à 17 ans en prison, résistance par la non-violence. 

Toute la puissance d‘Apeirogon est justement d’avoir raconté leur histoire dans un livre des 1001 épisodes (il est aussi question des 1001 Nuits que les fillettes lisaient et du traducteur en Italien des 1001 Nuits, abattu par le Mossad).

Apeirogon : une forme possédant un nombre dénombrablement infini de côtés.[…]Pris dans sa totalité, un apeirogon approche de la forme d’un cercle, mais un petit fragment, une fois grossi,
ressemble à une ligne droite. On peut finalement atteindre n’importe quel point à l’intérieur du tout.

L’histoire de Bassam et de Rami se découvre entre les facettes de ce polygone, de ce livre de contes extraordinaires (et pourtant véridiques). Construction très habile , symétrique de 500 chapitres formant la première moitié du texte, tandis que le chapitre médian est numéroté 1001 et  le suivant 500 tandis que les numéros décroîtront. C’est cette décroissance qui m’a alertée sur l’aspect symétrique de la composition. 

souimanga de Palestine

J’ai beaucoup aimé l’évocation des oiseaux migrateurs qui empruntent le couloir aérien au dessus de la vallée du Jourdain. Oiseaux qu’on bague. Oiseaux de proie aussi, faucons capturés dans le désert et vendus sur le marché de Bethléem, histoire de Burton (1821-1890) explorateur et fauconnier. Des faucons on passe aux drones…Ortolans prisés par Mitterrand (là, je n’ai pas trop aimé).   Evocation aussi de la Conférence des Oiseaux jouée par Peter Brook dans le Sahara (je l’avais vu aux Bouffes du Nord). Oiseaux symboles de la Palestine Souimanga de Palestine ou Huppe loquace emblème d’Israël…

Certains de ces chapitres nous emmènent très loin dans des résonnances littéraires ou musicales. Evocation de l’expérience de la mort par Antonin Artaud à la Sorbonne dans son  essai Le Théâtre et la Peste. Chants d’oiseaux de Messiaen et partition 4’33 » de John Cage. Impossible de lister toutes les références culturelles, occasion de sortie mon smartphone pour chercher sur Google des images ou des vidéos. Parfois ces digressions nous éloignent du sujet; je m’agace un peu (qui trop embrasse mal étreint). Mais c’est toujours passionnant. Un regret l’histoire de Dalia Al Fahoum et de ses enregistrements des bruits de la Palestine, qui a disparu et que je n’ai pas retrouvée sur Internet. 

Ce livre m’a captivée, il est tellement riche que j’ai déjà envie d’y retourner.

Jésus et Judas – Amos Oz

LITTERATURE ISRAELIENNE

« J’ai assisté à une conférence à l’étranger » as-tu dit. Elle était donné par un homme qui affirmait fièrement que nous étions les héritiers, les descendants des prophètes. Il fallait corriger immédiatement son propos : non nous ne sommes pas les descendants des prophètes car la plupart d’entre eux n’ont pas eu de descendance. mais nous sommes les héritiers de ceux qui leur ont jeté des pierres pour qu’ils se taisent. »

Dès que j’ai appris la parution de ce livre posthume, je me  suis précipitée à le télécharger. Ce court ouvrage (96 pages) est le texte d’une conférence donnée à Berlin. Amos Oz parle de son livre Judas, de la figure du traître qu’on lui renvoie. j’ai beaucoup aimé ce livre, lu à sa parution, chroniqué

En revanche, j’ai découvert Delphine Horvilleur qui a préfacé l’ouvrage sous forme d’une lettre ouverte à Amos Oz très touchante dans laquelle je me suis retrouvée. 

La vie joue avec moi – David Grossman

LITTERATURE ISRAELIENNE

Pour célébrer les 90 ans de Vera, la famille est réunie au kibboutz. Même Nina est venue du Cercle Polaire. Plusieurs générations de femmes, Véra , Nina, sa fille, Guili la petite fille. Entre mères et filles, le dialogue est difficile, voire impossible, la maternité est loin d’être une évidence!

Nina au début d’Alzheimer,  va perdre la mémoire. Raphaël, le père de Guili, cinéaste, imagine de réaliser le film de son histoire qu’elle pourra visionner quand la maladie la gagnera. Raphael et Guili, la scripte, emmènent Vera et Nina en Croatie , à Cakovec,  ville natale de Vera, et à Goli Otok, l’ile-bagne pierreuse où Vera a été internée. Pendant tout le voyage Raphaël et Guili vont filmer, enregistrer, noter le récit de Vera et les réactions de Nina. Vera retrouve sa maison natale, raconte son enfance, la rencontre avec Milosz, le père de Nina puis son mariage, la guerre, la résistance avec les partisans de Tito et enfin l’arrestation… Les autorités donnent à Vera le choix :  renier son mari et signer son acte d’accusation afin de garder sa fille, ou être internée à Goli Otok. Vera ne signe pas. Sa fille peut elle entendre ce choix?

On peut lire le livre comme un roman, se laisser porter par l’action, les pages se tournent toutes seules. Ce n’est pas une fiction, c’est une histoire vraie, celle de Eva Panic-Nahir , célèbre en Yougoslavie qui a fait l’objet d’un livre Eva de Dane Ilic et d’un film documentaire. On peut lire La Vie joue avec moi comme un témoignage. Témoignage sur l’histoire de la Yougoslavie, le bagne titiste de Goli Otok, sur les guerres des Balkans aussi. C’est aussi le making-of, d’un film : Guili joue le rôle de la scripte qui note tout, l’éclairage, le son. L’écriture est cinématographique.

Encore un livre très riche, émouvant et passionnant!