Il était une fois en Anatolie

TOILES NOMADES

 

Un convoi s’immobilise dans la nuit. Les phares éclairent une fontaine. Des policiers, le procureur, un médecin, leurs chauffeurs et deux suspects cherchent un cadavre. Ce n’est pas là. Il y avait un arbre en boule, un champ labouré, seules indications que livre le meurtrier mutique et menotté.

Le convoi repart dans la nuit sur une route sinueuse. Deuxième fontaine, où est l’arbre en boule?  Le suspect ne sait plus: « j’avais bu »…

Le cinéaste prend son temps pour filmer la nuit. Images fantastiques. Une pomme dégringolée du pommier  roule se laisse porter au fil d’un ruisseau, interminablement. Belle image de la reinette  rouge dans le fond noir et or.

Fatigue, promiscuité dans les voitures. L’enquête n’avance pas mais les hommes se rapprochent. Aux paroles anodines, ragots, yaourts..succèdent les confidences.  Le policier qui a un enfant malade, sollicite une ordonnance au médecin. Le procureur raconte l’anecdote étrange de la femme qui avait prévu sa mort cinq mois à l’avance…

Fatigue, énervement du policier impuissant qui,  à bout, frappe le témoin. Le procureur décide une pause chez le maire du village le plus proche. Occasion de visiter un village perdu, de connaitre l’hospitalité traditionnelle.

Panne d’électricité : un mirage? La jeune fille du maire apporte une lampe et le thé. Cette vision est presque miraculeuse. Le meurtrier fond en larme, il croit voir vivant la victime. Il sort de son  mutisme. Procureur et médecin reviennent sur la mort étrange de la femme sublime.

Quand le jour se lève le mystère sera levé. Le film prendra un tour diurne et citadin. On découvrira une Turquie moderne avec ordinateur portable, mais hôpital démuni.

Est-ce ainsi que les hommes vivent?

Chacun recèle une part de mystère, le cinéaste se garde de juger. L’humour désarme les scènes trop crues.

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants – Mathias Enard

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Joli objet que j’ai convoité plusieurs semaines,la collection ACTES SUD est toujours séduisante!

Et quel titre! Une citation de Kipling mais aussi sorte de refrain qui revient au cours de la narration:

 

« je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l’amour ; au vide, ils répondent en construisant des chateaux et des temples. Ils s’accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards ; chacunfait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois d’éléphants et d’êtres merveilleux…. »

Certes, l’argument est mince et court le récit.

Du 17 avril à la saint Jean 1506, quelques semaines, Michel-Ange, à la demande du sultan Bajazet se rend à Constantinople pour jeter un  pont sur la Corne d’Or. L’épisode est véridique, comme l’est aussi son  projet et celui de Leonard de Vinci qui a été refusé par le Sultan. Mathias Enard nous livre donc un roman  poétique très bien documenté.

C’est un roman d’amour aussi, des amours troubles et inachevées, passion du poète pour Michel-Ange sans retour. Trouble de Michel-Ange pour l’androgyne chanteur ou chanteuse andalous(e), amour inabouti. Sensualité, ivresse, désirs non-dits.

L’artiste visite Constantinople, Sainte Sophie l’impressionne, il  relève les plans de la coupole dont il s’inspirera pour Saint Pierre de Rome. Aux parfums byzantins de la Ville, se mêlent ceux de Grenade, tombée il y a peu.

Intrigues, menaces sourdes. Est-ce le pape Jules II qui a armé le bras qui menace le sculpteur? ou est-ce la jalousie? Le Sultan honorera-t-il ses promesses : il a attiré l’artiste en faisant miroiter une fortune et voilà qu’il cède un village perdu en Bosnie comme tout salaire des plans et des maquettes que Michel-ange lui a présentés:

« Turcs ou romains, les puissants nous avilissent »

Plus que de batailles, et d’éléphants, le roman chante l’ivresse, la poésie, l’amour mais aussi les manipulations des princes.

« Frôlement historique », annonce le 4ème de couverture, j’aurais aimé toutefois que Mathias Enard approfondisse plus son sujet, donne plus à voir d’Istanbul, sentir les épices.

Tariq Ali – La Femme de Pierre

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 1899, dans un palais d’été sur les bords de la mer de Marmara une famille d’aristocrates ottomans se réunit. Parmi eux, un ancien diplomate, un officier, un armateur, un homme d’affaire, un baron prussien, mais aussi leurs épouses, sœurs, serviteurs, le barbier convié pour la circoncision d’un enfant….La  construction du roman est habile : chaque personnage raconte son histoire au cours d’un chapitre  imbriqué dans la progression. Le pivot : la Femme de Pierre,( une sculpture, un rocher ? une statue antique ? ) à qui traditionnellement les femmes se confient. La narratrice Nilofer : la plus jeune sœur de la fratrie a quitté son mari, un maître d’école grec, et vient avec son fils faire le point de son mariage raté.

Au début du roman, Iskander Pacha, le patriarche, est victime d’une attaque d’apoplexie : toute la famille accourt à son chevet.  Il apparaît comme une figure autoritaire gardien de l’ordre établi. L’arrivée de Memed son frère et de son amant prussien, le Baron, introduit comme une faille dans la famille traditionnelle. On apprend aussi rapidement que la mère de Nilofer est juive.  Toute la variété ethnique d’Istanbul, la cosmopolite,  est représentée. Petrossian, le fidèle serviteur est arménien. Le barbier est soufi. L’épouse de Salman est une copte d’Alexandrie. Si bien qu’on s’attend à voir apparaître un Kurde, une servante, un eunuque : un général, Catherine, la peintre est lesbienne,….le catalogue est complet, presque trop. Tariq Ali n’a oublié personne !

1899 , l’empire ottoman est sur le déclin qui préoccupe nos personnages dont ils discutent sans fin les causes. Ce sont des personnes éclairées qui lisent Machiavel dans le texte ainsi que Hegel ou Auguste Comte. Parmi eux des officiers trament une conjuration destinée à renverser Abdul Hamid. Je crois reconnaître en l’un d’eux le future Atatürk. On débat des réformes nécessaires, on se rend compte que la modernité n’ira pas sans sacrifice. Les assassins du père d’Orhan, grec , seraient-ils punis par le nouveau régime ? Les hésitations entre une identité ottomane cosmopolite et une identité turque sont intéressantes. On voit s’installer les prémisses de la purification ethnique dont les Arméniens seront les premières victimes, les Grecs suivront…

Le débat est passionnant. L’auteur par ses histoires centrées autour des personnages divers en livre toute la complexité. Cependant cet ouvrage est tellement politiquement correct que c’en est presque trop.   On a l’impression que Tariq Ali a voulu trop bien faire, que ce livre, quatrième volet du quintet de l’Islam est plutôt un manifeste qu’un ouvrage littéraire. J’avais eu la même impression à la lecture du premier roman : Un sultan à Palerme un beau sujet, une documentation intéressante, des idées généreuses mais un grand roman ?

Tariq ALI : La Femme de Pierre – Sabine Wespeiser Editeur – 392p

Jason Goodwin – Le Trésor d’Istanbul

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Un roman policier à lire avant un voyage à Istanbul, ou encore mieux au retour!  En revenant d’un été grec, ce n’est pas mal non plus…

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1838, le sultan Mahmoud se meurt dans son palais de Besiktas, la Validé est restée dans le Harem de Topkapi, Hachim, notre détective, eunuque libre, qui a donc ses entrées au Palais, enquête sur une série de meurtres qui le touchent de près ou de loin. Attaque d’un marchand de légume grec, assassinat d’un libraire grec du Grand Bazar, disparition d’un Fontainier albanais, d’un archéologue français…

Hachim pense au début qu’il doit y avoir un lien entre ces faits divers. On lui suggère qu’une société secrète grecque serait probablement à l’instigation des meurtres des grecs, nous sommes proches des guerres de l’Indépendance Grecque et on parle ici de la Grande Idée. Hachim nous entraîne à Fener au siège du Patriarcat.

On parle de Byron et de Missolonghi où le poète est décédé, le médecin personnel du sultan est celui qui a soigné Byron !

Les identités successives Byzance, Constantinople, Istanbul s’emmêlent comme les serpents de la colonne serpentine de l’Hippodrome…

Mais je ne veux pas déflorer le mystère !

L’auteur entraine le lecteur dans tous les recoins les plus pittoresques de la Ville, nous fait connaître toutes les communautés qui vivaient à l’époque, Juifs, Arméniens, Italiens, Anglais, il y a même un  ambassadeur polonais alors que la Pologne a été démembrée depuis longtemps.  Courts chapitres : ce roman ressemble à un kaléidoscope, où tous les monuments servent de décor  des Sainte Sophie aux citernes, du Grand Bazar au bazar aux épices….Longues digressions aussi sur l’histoire aussi bien contemporaine (XIXème siècle, bien sûr) que très ancienne.

Jason GOODWIN – Le Trésor d’Istanbul – Grands  Détectives 10 /18 – 376p.