Le chênes de Kroumirie et les villas souterraines de Bulla Regia

CARNET TUNISIEN DU NORD AU SUD

les chênes-liège de Kroumirie

La route de Ain Draham et passe devant l’usine de la Société du Liège à la sortie de Tabarka. Elle monte dans les collines de la Kroumirie plantées d’essences variées : eucalyptus très hauts, lauriers roses, mimosas, chênes, résineux avec, au sol une broussaille de pistachiers et bruyère arbustive. Dans un creux, un lac de barrage a noyé un village. L’oued passé sur un pont métallique est bien en eau. Les chênes liège poussent sur les hauteurs, certains sont vraiment magnifiques ;

la petite route de Beni Mtir dans la chesnaie

Après Ain Draham, bourgade en pente, nous quittons la route principale pour la petite route de Beni Mtir qui serpente dans une très belle chênaie. Dominique a lu dans Gallimard (p223) que « sous un chêne millénaire de la ville de Fernana, les chefs kroumirs se réunissaient pour décider s’ils paieraient l’impôt au bey. Si les feuilles frémissaient la réponse était négative…. » séduites par l’anecdotes, nous cherchons le « chêne millénaire » qui figurera sur l’album-photo. Ce casting nous ravit !

Beni Mtir

Béni Mtir est un charmant village avec des restaurants et cafés avenants et surtout une église avec un clocher pointu et des maisons aux toits de tuile à double pente, on se croirait en France ! Il y a quand même une grande mosquée pour faire bonne mesure ! La route de Fernana rejoint la route principale et passe par un par un paysage raviné et plus pelé. L’oued Ghezala passe à Fernana. C’est la pause du thé dans le ramassage des pommes de terre.

Bulla Regia

Bulla Regia : via Augustina

Le site de Bulla Regia se trouve à quelque distance de la grande route.

A l’entrée du site une femme me propose une visite guidée pour moi seule. Elle me prévient la visite durera au moins une heure (elle en a duré deux). J’accepte avec joie.

Le site immense (80 ha) se trouve sous la montagne ocre où se trouvaient les carrières de la pierre à bâtir de la ville antique (Jebel Rebia 649m).  Seule ¼ de sa surface a été fouillé. En 1853, seule la haute fenêtre et le sommet du théâtre, étaient visibles.

L’occupation de la cité est ancienne : 129 dolmens sont datés d’un millénaire av. JC

Bulla Regia : thermes de Julia Memma

Cité royale numide : la population d’origine libyque fut sous influence punique : les Carthaginois utilisaient le bois des forêts proches pour la construction navale, le blé et l’orge.  En 156 av JC Bulla Regia fut une des capitales du royaume de Massinissa (238-148 av. JC). Les Numides étaient des tribus nomades sédentarisées. Massinissa s’allia à Rome contre Carthage, plus tard les alliances avec Rome furent fluctuantes (guerre avec Jugurtha). En 46 av.JC Juba 1er s’allia à Pompée contre César et ce fut la fin du royaume numide.

Bulla Regia était donc une ville neutre, oppidum liberum. Par choix, insiste la guide, les Numides se sont romanisés et la ville a été remodelée avec une architecture romaine. Ville libre sous César, municipe sous les Flaviens (56-96 après JC)  colonie romaine sous Hadrien (117-118). Les numides sont devenus sénateurs, consuls, procurateurs. Au sénat de Rome ils étaient très nombreux. Le Romains exportaient le blé, l’huile, le bois et le marbre de Chemtou. Bulla Regia était aussi une source de bêtes sauvages pour les jeux des arènes, jusqu’au 20ème siècle on a vu des lions et des panthères en Tunisie. L’apogée de la ville fut sous Septime Sévère (146-211) empereur africain né à Leptis magna. Le passage des Vandales n’a pas trop endommagé la ville qui fut florissante à l’époque byzantine ; Les Arabes s’installèrent à l’intérieur des thermes et du théâtre mais à la période arabe, la population se « décala » vers des villes nouvelles ; Les Ottomans favorisèrent Le Kef.

Mosaïque basilique chrétienne

Après l’exposé historique, la promenade dans la ville commence sur l’artère principale : La Route Impériale allant de Carthage à Hippone appelée aussi Via Augustina ou « sur les pas de Saint Augustin » itinéraire de randonnée. C’est à Bulla Regia que Saint Augustin – évêque d’Hippone prononça le fameux sermon reprochant aux habitants de Bulla Regia de fréquenter les thermes.

Les Thermes de Julia Memmia (220-240 ap. JC) s’ouvrent justement à proximité.  On entre par des vestiaires très hauts, puis dans le frigidarium qui servait aussi de lieu de réunion des associations, il reste des placages de marbre de Carrare et des mosaïques au sol. La guide me montre les symboles des pourvoyeurs de bêtes pour les jeux.

voûte avec des tubes de céramique

Les voûtes de Bulla Regia font appel à une technique originale : des tubes de céramique emboités font coffrage perdu et procurent une bonne isolation.

Les villas souterraines

Villa souterraine

L’originalité de Bulla Regia réside dans les villas souterraines romaines cette construction originale correspond au climat très contraste de La ville située dans une cuvette abritée par le Jebel très  : froid l’hiver avec le Mistral, la neige peut tomber, tandis que l’été est caniculaire surtout quand souffle le sirocco la température peut attendre 50°. Les riches romains ont investi dans des maisons doubles. La vie se déroulait en hiver à l’étage avec une salle à manger d’été, l’impluvium, les latrines et la cuisine tandis que sur le même plan, en hypogée on trouvait la salle à manger d’été souterraine fraîche pour l’été, les pièces se répartissent autour d’un patio ouvert.  Les trois mois de grosses chaleur la famille descendait dans l’appartement du bas et menait une vie luxueuse tandis que les serviteurs restaient à l’étage.

On peut visiter plusieurs de ces villas : la Villa du Trésor : une cruche avec 70 pièces d’or byzantines.

Villa de la  Chasse

La Villa de la Chasse (nommée d’après une mosaïque) est une villa luxueuse (2000m2) double puisqu’il y avait deux familles, le long de la rue où se trouvaient les égouts, se trouvent les latrines, puis une baignoire et enfin une piscine polygonale avec une fontaine en forme de coquille recouverte de mosaïque.

La maison d’Amphitrite a conservé de belles mosaïques. Pour la voir, il faut faire une petite escalade – le goût de l’aventure !

Mosaïque villa d’amphitrite

Les monuments de la ville

Autour du Forum on trouve le Temple d’Apollon, le Tribunal et le Capitole. Dans le marché, on voit 6 boutiques, deux bassins et une abside pour la statue de Mercure. A l’entrée du théâtre se trouvait une statue de l’empereur à tête amovible. lI se déroulait des spectacles mais aussi des conférences de philosophes. C’est là que Saint Augustin fit son discours en 398.

En passant la guide m’a montré une inscription en grec « En toi-même, mets tes espoirs »

Nous terminons la visite par le Jardin public entouré de bassins qui étaient des aquariums avec des poissons. La terre grise était celle des plates-bandes. Près de la route s’élève encore le Temple de Septime Sévère.

La guide montre le livre Bulla Regia de Moheddine Chaouadi, très bien illustré.

Je remercie la guide pour cette visite passionnante et prends ses coordonnées : AYADI Amel  téléphone mobile 96 014 141.

Nous achetons à Jendouba un pique-nique sommaire : bananes oranges et dattes ainsi que des yaourts.

La route passe par des champs cultivés de céréales, l’horizon est barré par des crêtes, montagnes à la frontière de l’Algérie toute proche.

Les ruines d’Utique

CARNET TUNISIEN DU NORD AU SUD

Tunis : Médina -Place du château

Une dernière fois, nous traversons la médina. Je remarque les gouttières vernissées vertes. Nous quittons Tunis sous les gouttes. Sous les arcades, un panneau m’amuse : « coopérative des fouleurs de chéchia ».  Le gardien du parking nous invite à faire des photos à l’intérieur du Palais Dar Hussein dans le beau patio carrelé décoré de colonnes blanches et de stucs. A l’arrière, il y a une cour plantée d’arbres. Dans la médina, le bâti est serré, on n’imagine pas comment la végétation peut s’inviter, au pied des gouttières, dans les patios bien cachés.

Tunis – dar Hussein

Le GPS a accepté Utique comme destination. Nous sortons donc de Tunis sans encombre, traversons des quartiers modernes passons dans Ariana qui semble être un satellite de Tunis, plus rien de charmant de ce que Flaubert a vu dans son Voyage à Carthage :

« Retourné à l’Ariana, charmante, délicieuse, enivrante chose. Les terrasses blanches des maisons à volets verts saillissent au milieu de la verdure, le tout est dominé, en échappée par les montagnes bleues : champs d’oliviers, caroubiers énormes, haies de nopals où les feuilles en vieillissant sont devenues des branches »

Quartiers neufs pimpants, immeubles déjà défraîchis, centres commerciaux, Carrefour, urbanisation 21ème siècle !

Enfin l’autoroute traverse une campagne hivernale où le blé d’hiver forme un tapis vert (quoique un peu clairsemé) ; les figuiers sont défeuillés. Sur les pentes des collines des oliviers ne paraissent pas irrigués, certains assoiffés. Les champs d’artichauts touffus s’étendent sur de larges surfaces, Roscoff est battu à plates coutures !

Utique : la maison des Cascades

A la sortie d’autoroute « Utique » rien n’indique le site archéologique. Nous demandons aux gens au bord de la route qui ne comprennent pas ce que l’on cherche. A l’entrée d’Utique dans une zone industrielle, le tenancier d’une gargote nous renvoie vers l’autoroute. Après un long trajet nous traversons un village, je demande à la pharmacienne – voilée yeux très charbonneux – qui, bien sûr connaît les ruines.

Les ruines d’Utique

Selon le Guide Bleu p.202 :

 « on peut admettre avec Pline l’ancien qu’Utique fut fondée par des Tyriens en 1101 av JC soit 287 abs avant Carthage[…]Alliée plutôt que vassale de Carthage elle participe aux luttes de Carthage contre les tyrans de Grande Grèce puis contre Rome puis fait une tentative de se rapprocher des romains. Assiégée par Hamilcar, elle capitule sans conditions. A nouveau aux côté de Carthage pendant la seconde guerre punique, elle se livre à Rome pendant la 3ème . elle en sera récompensée proclamée ville libre en 144 au rang de capitale de la Provincia Africa.

Utique est intimement liée aux évènements de l’histoire romaine : Marius y débarque pour réprimer la révolte de Jugurtha, elle devient le théâtre de lutte entre les partisans de Pompée et César. Après la défaite des Pompéiens Caton d’Utique s’y suicide.

Sous Auguste, elle perd le statut de capitale au profit de Carthage… »

Utique : nécropole punique

 

Le ciel s’est dégagé, nous visitons les ruines sous le soleil. » Depuis la Révolution de 2011, plus personne ne vient », se plaint le gardien, » depuis dimanche dernier, aucun visiteur. « Il me montre en vitesse un bassin de la Maison des Cascades, ouvre une porte cadenasser pour me faire voir le squelette d’une jeune phénicienne. Juste à ce moment survient un groupe francophone d’expatriés accompagnés d’une conférencière. Je lui demande si cela la dérange que je me joigne à eux .

« Comme vous le demandez, cela ne me dérange pas ! mais si vous ne l’aviez pas fait cela m’aurait dérangée ! »

Bassin de la Maison des Cascades

J’ai donc le plaisir de découvrir la Maison des Cascades : somptueuse résidence s’étendant sur toute la largeur de l’insula, correspondant à 5 maisons ordinaires. L’entrée monumentale garde les encoches des poutres du toit. L’eau s’écoulait en cascade d’un bassin orné d’une merveilleuse mosaïque à fond vert où nagent des poissons, bar, murène, oursins, seiche, l’eau cascadait jusqu’à une fontaine soutenue par des colonnes de marbre. A côté, le jardin avait un autre bassin avec un cadran solaire. Le triclinium était pavé de marbre en opus sextile, marbre jaune tunisien de Chemtou, blanc de Carrare, vert de Grèce. Une salle à manger d’hiver couverte était de plus petite taille. Près de l’entrée, la chambre du gardien. On reconnait les pièces des domestiques à leur plus faibles dimensions. Les écuries ont gardé leurs auges de pierre, abreuvoirs avec les trous pour attacher les chevaux. Le seuil de la maison est revêtu d’une sorte de tapis de mosaïque imitant un tissage en couleur, plus simple que le marbre ou la mosaïque mais très décoratif.

Chapiteau historié : apollon citarède

Une autre luxueuse villa a perdu la plupart de ses ornements sauf les chapiteaux historiés du péristyle : le gardien avec une longue badine montre la silhouette d’Hercule sans tête mais reconnaissable à sa massue, Minerve casquée et Apollon citharède avec sa cithare.

Plus bas, on a dégagé les tombes monolithes de grès de la nécropole punique.

La conférencière nous conduit au vaste forum, grande étendue rectangulaire. Elle nous montre la Résidence du Proconsul. Les fouilles ont dégagé un mur en opus reticulatum – petits pavés cubiques qui s’insèrent coins vers le bas-technique courante à Rome et en Italie mais rare en Tunisie où est utilisé l’opus africanus avec des blocs rectangulaires jointifs que les Carthaginois utilisaient déjà. Une rangée de palmiers sur une petite crête matérialise le rivage du temps des Romains. A la place de la plaine alluviale de la Medjerda. On peut imaginer l’eau tant la plaine est plate et monotone.

Mandragore

La promenade archéologique vire à la botanique : tout d’abord des boutons d’or frais éclos, avec de nombreux pétales. La grosse corolle bleue fermée comme un très gros crocus, est la fleur de la mandragore, la plante magique aux racines de forme humaine qui crie quand on tente de l’arracher. J’avis entendu parler de la mandragore mais je ne l’avais jamais vue. De l’ordre du mythe, je doutais de son existence. La voilà avec ses feuilles vertes, brillantes et coriaces.

Urginée

De belles feuilles lancéolées sont celles des urginées. Connaissance de fraîche date, je l’ai vue pour la première fois en septembre dernier à Malte, haute hampe portant des fleurettes blanches. Elle fleurit en octobre en Tunisie, elle est maintenant à graine. Feuilles et fruits surgissent d’un énorme bulbe qui se vendrait en Egypte contre les rats. Nommée également Scille maritime elle serait aussi surnommée mort-aux-rats. On la vend aussi au souk pour faire des cataplasmes contre les rhumatismes.

A quelque distance, se trouve le Musée d’Utique qu’on  nous ouvre . hélas le célèbre « scarabée » gravé d’un archer (Pégase ?) n’est plus la vedette du musée. A sa place une photographie et une autre d’une pièce en or. Par crainte des pillages à la suite de la Révolution de 2011, on a mis à l’abri les pièces les plus valeureuses. Ce « scarabée » a été présenté à l’IMA à Paris lors de l’Exposition sur les Phéniciens. Les autres vitrines contiennent des terres-cuites, vaisselle et pettis objets ainsi que des vases grecs importés.

Ariane endormie

J’ai bien aimé un beau marbre de Carrare : Ariane endormie reposant sur son coude gauche sur un tuyau d’où coulait l’eau à la Maison des Cascades.

Un bel autel à Cybèle porte des inscriptions latines. Autre inscription funéraire à Julius Polius soldat de la légion d’Afrique mort à 22 ans. Inscription à l’empereur Claude divinisé.

un article très intéressant et détaillé ICI

 

Les nuages très menaçants ne tardent pas à crever en une pluie désagréable.

Où déjeuner ? Au bord de la mer ? Nous guettons les gargotes. On mangerait bien des brochettes. Les maraichers ont dressé des pyramides de fenouils blanc nacré, ventrus vendus avec les fanes et des tours de carottes appétissantes habilement construites. Dans des seaux blancs en plastiques, des oranges et des mandarines.