« il ne dormirait pas. Rêver ou lire? Feuilleter pour la centième fois l’Inventaire,jeter son imagination comme sa tête contre un mur, contre ces capitales de poussière, de lianes et de tours à visages, écrasées sous les taches bleues des villes mortes? »
Claude Vannec, le jeune archéologue, sur le bateau qui l’emmène en Indochine, cherche en Perken un compagnon d’aventures pour découvrir les temples perdus de cette Voie Royale.
– » Ces taches bleues?
– les villes mortes du Cambodge. Explorées déjà. a mon avis il y en a d’autres, mais passons. Je reprends : vous voyez que les points rouges des temples sont nombreux à l’origin de ma ligne noire, et suiventsa direction
– C’est?
– La Voie royale, la route qui reliait Angkor et les lacs au bassin de la Menam. aussi importante jadis que la route du Rhône au Rhin au moyen âge.
…Je dis qu’il suffit de suivre à la boussole le trajet de l’ancienne voie pour retrouver des temples… »
Quel programme! Je rêve d’archéologie…de découvertes. De temples perdus. Au risque d’être déçue!
« Tout cela est bête comme une histoire de chercheur de trésor… »
avoue Claude, ayant découvert un temple, mais pas les statues.
La découverte du temple, enfoui dans la végétation, lui inspire toutes sortes de sentiments, de la violence, de la fureur, de la cupidité mais peu de curiosité intellectuelle, comme on pourrait attendre d’un archéologue.
Quand à Perken il ne voit que les mitrailleuses que la vente des sculptures lui procurera pour armer des tribus laotiennes et se tailler un royaume.
« ces mitrailleuses qu’il était allé chercher en Europe, elles étaient là, dans cette forêt… »
La plus grande émotion, n’est pas la découverte de ce temple merveilleux qu’est Banteay Srei, c’est plutôt :
« soudain un vide: tout reprit vie, retomba à sa place come si tout ce qui entourait Calude se fut écroulé autour de lui: il resta immobile attérré…les deux pattes du pied de biche venaient de casser. »
Si j’avais espéré une découverte scientifique majeure, un livre d’histoire de l’art, j’en serais pour mes frais.
Les deux aventuriers sont des voleurs. Rien de plus?
Il ne faudra plus rien attendre des temples khmers dès que les charrettes auront été chargées des statues volées. Le roman prendra une nouvelle direction. Celle de la jungle, des territoires insoumis, celle des villages Stiengs et des Moïs. « Plus rien de la nonchanlance voluptueuse du Laos et du bas Cambodge : la sauvagerie avec son odeur de viande. »
Parce que la recherche archéologique n’est qu’un prétexte à roman d’aventure et que c’est d’aventuriers qu’il s’agit. Un roman viril – ce qui n’est pas forcément un compliment. Des hommes qui défient la mort ou plutôt la déchéance. un roman qui veut parler d’érotisme et qui parle d’impuissance. Partis à la recherche de Grabot, un troisième aventurier, plus tête brûlée que les premiers, ils ne trouveront qu’un esclave, aveugle et agonisant.
A partir de là, tout s’emballera, le rythme de la narration deviendra haletant. Echappant aux lancettes de bambous plantées dans le sol, aux sangsues, ils attendront le guêt-apens, l’assaut, l’incendie de la case puis le combat, lances et fléches empoisonnées…
La dernière partie est une course de vitesse entre Perken qui sait qu’il va mourrir de la blessure empoisonnée, les Stiengs en fuite et cette colonne. Derrière la colonne, le gouvernement du Siam et le chemin de fer qui va apporter la civilisation la modernité à ces tribus . Course haletante. Et c’est dans ce registre que le roman est le plus réussi.
Je me rappelle très bien de ce roman d’aventure qui se double me semble-t-il d’un discours anti colonialisme et surtout d’une vision tragique de la condition humaine, mais j’en parlerai bien mal même si j’en garde un bon souvenir, quoique sombre…
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Quel voyage, Miriam, au coeur des mots et de l’espace!
Je ne sais, par ailleurs, ce que « la civilisation » (laquelle?),et « la modernité » ont bien pu apporter à ces populations…
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@chantal : j’aurais dû mettre civilisation et modernité en italique ou entre guillemets
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@maggie : le discours anti-colonialiste est bien en filigrane, c’est plutôt le dénigrement d’une administration apathique et peu compétente mais qui tente de faire régner un semblant de légalité quand les aventuriers se livrent au pillage ou se voient en seigneur de la guerre.
quant à la vision tragique, tout à fait!
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