Le Portail était un témoignage, bouleversant, vraiment un grand livre.
Le Saut du Varan est un roman policier : une jeune fille a été éventrée, trouvée par un Français travaillant à la Conservation d’Angkor. L‘inspecteur divisionnaire français, Boni, est donc chargé d’élucider l’affaire.
1970, les autorités cambodgiennes, fantoches des Américains, en pleine guerre du Vietnam, ne contrôlent plus grand chose dans la région de Siem Reap où circulent les troupes du Nord Vietnam et les Khmers rouges. Les Français ont depuis lontemps passé la main à Phnom Penh, mais à Angkor, les archéologues semblent encore administrer le site malgré les combats qui se déroulent dans les parages.
Rénot , ethnologue, se charge d’accompagner le policier dans la jungle des Monts Kulen sur le lieu du crime. Participent à l’expédition, deux jeunes femmes khmères, Chhüey et Prohm, femme ou compagne ou amante de l’ethnologue. Ces dernières facilitent les rapports avec les locaux et prennent en charge l’intendance (cuisine dans la jungle, un vrai bonheur). Si Rénot est ouvertement polygame Boni est un mari trompé inconsolable. Une véritable amitié se nouera entre les deux hommes si différents. Rénot livre des élucubrations philosophiques:
« L’homme c’est la seule créature du monde qui vienne au monde en pleurant. Dans la douleur. Tu vises? la seule! »
Point de vue de l’ethnologue qui a vu d’autres meurs, d’autres amours, l’archéologue confie à Boni un « relativiseur » , un outil préhistorique vieux de 4000 ans dont la perfection du poli est altéré par de petites arêtes, on sent encore au toucher le travail de l’artisan, il y a 4000 ans répète-t-il avec complaisance.
Prohm et Chhüey livreront la clé de l’enquête. Prohm, fille d’un village isolé, à l’écart de toute modernité qui a su conserver toutes les traditions ancestrales, saura conduire les deux hommes au milieu de la jungle et au coeur de l’énigme. La jeep sera abandonnée et l’équipe poursuivra à pied dans la forêt. Des pages fascinantes racontent un bivouac près d’un temple où vit seul un ermite. Rénot décrypte avec l’aide de ses compagnes les traditions bouddhiques. On découvre des coutumes très étranges.
Le drame : « Devant Prohm se tenait un guerrier. l’homme était à demi-caché , le frer de sa lance ramené contre lui. Il portait un chignon orné d’un peigne cornu, un canif à lame courbe et d’une aigrette en poil de cerf.Deux lourds bouchon d’ivoire allongeaient ses oreilles.A son cou des dents de chien, la grande arbalète et le coupe-coupe de combat posé sur la cambrure du manche. Au dos le carquois à bec de calao…. »
On attendait les Viet-congs, les Khmers rouges, et voici des guerriers comme dans La Voie Royale de Malraux
Comme Perken dans la Voie Royale, Rénot est touché d’une flèche empoisonnée. Mais ici, les deux Français sont accompagnés. Même si le pays est fermé aux étrangers, les jeunes femmes obtiendront non seulement l’asile pour eux, mais Rénot sera soigné selon la médecine traditionnelle. La fin se déroule dans une sorte de délire du blessé. Hallucinatoire, cette découverte du temple habité où les usages des Khmers angkoriens du 12ème siècle, un roi sa cour…une cérémonie d’un autre âge? Rénot l’a-t-il découvert? L’a-til rêvé? Ai-je mal lu?
Une bombe au propane américaine mettra fin à l’aventure. Le XXème siècle et la guerre du Vietnam reprennent le devant de la scène.
Une réflexion sur « lire pour le Cambodge : Le Saut du Varan – François Bizot »