CARNET VIETNAMIEN

Dans la salle du petit déjeuner, personne. Les deux employés du restaurant veulent nous faire plaisir avec un « petit déjeuner français ». »Voulez vous du café ? –Non, du thé vietnamien ! » Le pain ne me va pas non plus, je préfère des nouilles que le jeune homme descend acheter dans la rue. La jeune fille découpe un ananas. Demain ce sera pareil. Pour les nouilles il faudra déjeuner un peu plus tard.
7H30 Dong est ponctuel, pantalon de ville au pli repassé impeccablement, chemise bleue. Pendue au portemanteau une cape de moto pour deux personnes. Dans le dos, une deuxième ouverture avec une visière s’ouvre pour le passager. Devant un plastique transparent laisse passer la lumière du phare.
Nous traversons Hanoï sous une pluie battante, passons devant les maisons coloniales jaunes aux volets verts (souvent deux verts différents). Jaune d’or dans les bâtiments rénovés comme le Musée d’Histoire, s’écaille et se délave dans les « maisons françaises » occupées par des particuliers et pas entretenues, on a ajouté, au rez de chaussée, l’auvent vietnamien en tôle, en toile et tout un fatras à l’étage. Les volets, les décorations Art-Déco sont encore visibles. Il existe aussi la version « de-luxe » en blanc impeccable, grands pavillons occupés par des ambassades. Nous arrivons devant le Centre culturel tout en marbre et en béton « construit par les russes » comme nous l’aurions deviné. Auparavant, nous sommes passés devant la Citadelle rasée au siècle dernier et pilonnée par les guerres successives. Transformée en caserne elle se termine par le Musée d’Histoire Militaire où sont exposés les trophées : chars hélicoptères et avions pris aux Américains. Autant je suis curieuse d’Histoire, autant cette collection m’indiffère.
Non loin du parc Lénine qui contient un joli plan d’eau, Vladimir Illitch se tient debout au milieu du square. Il faut vraiment venir à Hanoï pour le voir, maintenant qu’on l’a déboulonné en Europe de l’Est. Même à Cuba, je n’ai pas souvenir de l’avoir rencontré.
La RN1 « Mandarine » ressemble à une autoroute. Le taxi roule à 80 km/h. La pluie redouble. Les rizières sont vides en dehors de quelques canards et d’un ou deux courageux pêcheurs. Des capes vertes, violettes, orange sont vendues le long de la route pour les motocyclistes imprévoyants qui auraient oublié la leur. Sur les motos, je guette les capes à deux têtes.

Nam Dinh est déserte. Je remarque les églises catholiques dans la campagne et les montagnes qui émergent du delta du Tonkin. Un peu plus loin Ninh Binh, encore une ville sous la pluie !
Nous quittons la route nationale. La voiture s’arrête. Nous revêtons nos capes verte et bleue, Dong se contente d’un parapluie. Hoa Lu fut l’ancienne capitale du Vietnam à la fin du 10èpe siècle quand le royaume s’est libéré de l’emprise chinoise. Très petite capitale, protégée par la rivière et les montagnes – pains de sucre calcaires comme à Ha Long, ressemblant aux mogotes de Cuba- Des archéologues ont retrouvé des colonnes et des restes des anciens remparts. Nous arrivons à une charmante porte pour trouver un temple précédé par un petit lac en demi-lune. Les portes pivotantes d’un portique sont montées sur un support très haut qu’il faut enjamber. Les stèles portées par une tortue – symbole de longévité- sont écrites en idéogrammes chinois, l’une d’elle porte les noms des mandarins, l’autre raconte l’histoire de la ville. La troisième est la stèle du roi ; elle porte à sa base des animaux, rats serpents et crabes, symbole de la modestie du monarque. Une allée dallée passe entre de beaux arbres. Le parfum des frangipaniers est exalté par la pluie, je l’avis confondue avec celle du tilleul. Le temple est très ancien. Ses tuiles rondes plates comme les écailles de poisson ont perdu leur verni. A l’intérieur, les boiseries de bois de fer ont été rénovées et laquées de rouge et or. Nous découvrons des motifs originaux comme ces panneaux représentant des instruments de musique ou la boiserie dorée où figurent les animaux symboliques : phoenix et dragons. Sur l’autel, des statues de bouddha à l’arrière les statues de l’ancien roi – assassiné – ainsi que celle de la reine remariée à un général.
Un autre petit temple est situé non loin du premier. Il faut là aussi franchir un seuil très haut pour admirer boiseries et colonnes.

Nous sommes déjà trempées. Curieusement, ce n’est pas désagréable. Nous nous réjouissons de la fraîcheur après des jours de chaleur écrasante. Dans ce paysage de rizières inondées la pluie semble faire partie du paysage.
On a parlé à Dong de notre intérêt pour les bonsaïs. Depuis que nous sommes au Vietnam nous en avons vus beaucoup et on s’est attachées à comprendre les techniques de taille. Nous en avons déjà acheté plusieurs qui n’ont pas survécu. J’ai même essayé de réduire un petit chêne, sans succès. Dong nous montre donc les fils qui entourent toutes les branches pour les courber ou les tordre. Les racines apparentes enserrant un « rocher « sont aussi une des caractéristiques des bonsaïs ; de nombreuses espèces tropicales, le banian entre autres, possèdent naturellement des racines aériennes. Il n’est donc pas compliqué d’obtenir ce résultat sans aucune contrainte, surtout avec l’humidité qui règne ici. Pour nos arbres européens qui cachent bien leurs racines dans le sol, ce serait sans doute plus compliqué. On vend ici des « rochers » en calcaire aux formes étranges, trouées, contournées qui sont celles d’un lapiaz dans cette région karstique. L’érosion a sculpté des roches bizarres qu’il suffit de cueillir. Dans les anfractuosités, un peu de terre suffit pour que le bonsaï s’installe. Je suis de plus en plus convaincue de l’adaptation de cette forme artificielle au « milieu » vietnamien. L’acclimatation pose des problèmes insurmontables. Le premier est l’hiver et le gel. Le second, nos vacances. J’ai donc renoncé à ce projet. D fait même l’acquisition d’un

végétal très étrange au « tronc » bosselé (peut être est ce une graine monstrueuse, presque de la taille d’un coco,) d’où sort une tige grêle portant deux feuilles ressemblant aux feuilles de capucine. Je suis très sceptique de la capacité de cette pauvre plante à supporter le voyage en avion. D’ailleurs, après trois heures dans la voiture elle a perdu sa deuxième feuille et n’en porte plus qu’une feuille unique qui me fait pitié .D échafaude des projets avec Dong. On photographiera, les bonsaïs et j’enverrai les photos par Internet. Dong enverra ses conseils par retour du courrier électronique. (6 ans plus tard le bonsaï-capucine est florissant)
Au restaurant, guides et chauffeurs mangent dans une petite salle au plafond bas sur des nappes vertes et des chaises ordinaires. Les clients sont dans des grandes salles ventilées avec de lourdes chaises incrustées de nacre, des nappes blanches et rouges. Cette ségrégation m’agace. Elle est prévue pour la récréation de nos accompagnateurs mais surtout pour soutirer des dollars(la carte des touristes est en dollars)Je choisi pour 3.5$du poulet au gingembre – pas de légumes, pas de sauce, une jolie fleur découpée dans une carotte, du riz blanc, bol retourné – cela fait plus chic – le thé vietnamien est servi dans un grand verre. L’addition est salée (80 000VND) pour un repas très quelconque.

Il pleut toujours. Sans nous décourager, nous allons au hameau de Van Lam pour la promenade en sampan dans la » baie d’Ha long terrestre «. L’endroit est très touristique. On y accède par un pont royal sculpté de dragons dans du marbre gris, des colonnes monumentales marquent l‘entrée du parking. Les barques plates rectangulaires nous attendent. Les mêmes rochers qu’à Ha Long émergent des rizières. La barque avance doucement sans un bruit. Des martins pêcheurs aux couleurs métalliques nous précèdent. Des grenouilles invisibles coassent. Une limnée glisse sous la surface de l’eau. Dong nous fait remarquer les taches roses vif sur les tiges des lotus : des pontes d’ escargots. Le riz, complètement inondé, a été récolté en sampan. Il reste quelques épis. Des canards nichent sur la berge. De loin en loin des petites maisons sont blotties contre les rochers, autour d’elles dans les jardinets, des courgettes poussent en tonnelle. Ailleurs, une tombe inondée. Une entaille horizontale dans les rochers rappelle un ancien niveau de la mer. Le rivage est proche, le Tonkin plat, la transgression et la régression marine ne nécessitent qu’un changement mineur du niveau de la mer. Curieusement, il n’y a ni éboulis ni même de rocher apparent. Le calcaire est sculpté par l’érosion karstique. La végétation s’accroche. Par endroits, la roche est nue ; La pluie fait partie de l’élément liquide qui nous entoure en parfaite harmonie. Je pense aux marionnettes sur l’eau. Notre sampan est seul dans a rizière. Impression de paix et de plénitude.

La rivière s’enfonce dans un tunnel naturel de 120m. Les stalactites ressemblent à de grosses fleurs de lotus . Cette cavité a servi d’hôpital militaire pendant l’offensive américaine, bien à l’abri des bombardements. Un hôpital dans l’eau ! Des barques plates servant de lits ! J’imagine les sampans côte à côte, comme au marché flottant. A la place des fruits, des civières, des pansements…. Une autre grotte a servi de prison aux pilotes américains. Des sampans-cellules ? L’évasion à la nage me semble facile. Je ne pose pas de questions.
Dong nous demande si nous avons visité la DMZ dévastée par les bombes et si nous avons entendu parler de la guerre américaine. Je lui raconte que, lycéenne puis étudiante, j’ai défilé avec des banderoles soutenant le Vietnam, des pancartes dénonçant l’impérialisme américain et que « Ho Ho HochiMinh ! » rythmait les manifestations d’alors. La dernière galerie est plus petite. Dong nous annonce une 3ème « route ». D s’étonne « Pourquoi cela s’appelle une « route » ? «. C’est « grotte » qu’il fallait entendre. Les Vietnamiens confondent les G et les R. Un mot comme garage leur pose des problèmes. Des marchandes nous attendent avec leurs barques chargées de fruits et de fleurs.
A la sortie du tunnel, nous sommes abordées. Il faut absolument acheter quelque chose. La dame propose un pamplemousse. Nous avons déjà essayé ces pamplemousses verts avec son écorce très épaisse (2cm) et la peau coriace qui emballe les quartiers. Je préfère acheter une bouteille d’eau et le droit de la photographier. De joyeux équipages viennent à notre rencontre. Les touristes occidentaux sont à deux ou trois par barques, les vietnamiens montent à sept. Dans les grottes, ils crient pour entendre l’écho. Le retour est donc moins paisible. Avant la sortie du dernier tunnel, la barque s’immobilise. La rameuse déballe des broderies. Le sampan ne repartira pas tant que je n’aurai pas acheté une nappe, un mouchoir,…Je choisis un T shirt brodé au motif d’un buffle chevauché par un enfant comme dans les marionnettes aquatiques. Avec le pourboire c’est un billet de 100 000VND. Cette vente forcée est un peu agaçante.
Nous sommes un peu abruties quand nous retrouvons l’hôtel après deux heures de route sous la pluie. Nous avons hâte de nous changer.