CONVERSATION ENTRE DEUX ECRIVAINS JUIFS
« Norman Manea : Je propose qu’on commence par le début
Saul Bellow : D’accord. Si tu arrives à le trouver.
NM : On devrait pouvoir. nous allons le trouver ensemble… Avant d’arriver en Enfer, commençons par le Paradis.
SB : D’accord.
Nm : de ton point de vue, ton enfance est-elle un paradis perdu? «
Norman Manea (né en 1936 en Bucovine)
Saul Bellow (né en 1915 au Canada, prix Nobel 1976)
Le livre Avant de s’en aller correspond à une interview filmée à Boston eu en 1999. Les deux écrivains se sont déjà rencontrés à Bucarest ; Norman Manea a fait un cours à l’Université de Bard sur l’œuvre de Bellow ils ont de nombreux points communs, enseignent la littérature dans des universités américaines et ont des amis en commun. Norman Manea pose les questions auxquelles Saul Bellow répond, ou non.
Ils vont aborder l’enfance polyglotte de Saul Bellow au Québec : russe, yiddish, anglais, français et hébreu et la culture juive partagée par les deux compères, les romans russes, Sholem Aleikhem mêlé à Tolstoï traduit en yiddish…De cette expérience linguistique, Saul Bellow a commis des traductions « mais transposer Shakespeare en yiddish n’est pas très facile ». Norman Manea fait un parallèle facile avec sa famille roumaine. Les rapports avec la pratique religieuse, la kashrout, se détendent, un de ses frères se rebelle. Juste à la fin de l’adolescence Bellow fréquente un cercle trotskiste : il dépense son héritage pour se rendre à Mexico voir Trotski et arrive le jour de son assassinat!
Ils évoquent de nombreux écrivains européens : Céline « une terrible énigme », Sartre qu’il n’aime pas, Malraux et même Balzac
« cette fois-ci, car lorsqu’il s’agit d’idées on ne peut pas faire appel à Balzac – c’est un bluffeur. Il est agréable à
lire et il est débordant de vie, mais quand il touche aux idées il a tendance à tomber dans un romantisme ridicule. «
Conrad, Koestler ainsi que Kafka :
NM : As-tu jamais considéré La Métamorphose de Kafka comme un récit sur l’Holocauste ? SB : Oui, j’y ai
pensé en ces termes. Et je ne peux plus lire ce texte. NM : Lorsque Gregor devient un « ça » et que sa sœur dit :
« Débarrassez-vous de ça ! », on comprend ce que les gens sont devenus dans les camps. Ce ne sont plus des
êtres humains.
Saul Bellow cite Babel comme un écrivain qui l’a marqué.
« Comme Isaac Babel, d’Odessa. Il m’a fortement marqué. Il t’a marqué toi aussi, je sais. Il me semble que c’était notre genre d’homme. Il avait des choses d’une très grande importance à dire, qui d’une façon ou d’une autre n’ont jamais été dites. Je crois que j’attendais les écrits de sa maturité, mais évidemment il n’a pas vécu assez longtemps pour ça. »
Ils ont fréquenté des auteurs américains, leurs contemporains, très proches comme Philip Roth ou Bashevis dont il a traduit le premier livre. Bellow n’est pas tendre avec Bashevis
SB : j’ai traduit du yiddish Gimpel le naïf[…] C’est un des mérites de Partisan Review d’avoir publié Bashevis en anglais pour la première fois. L’as-tu connu, personnellement ? NM : Non. SB : Eh bien, c’était un type assez étrange. Un esprit réellement étrange. Il avait une instruction judéo-polonaise basée sur Spinoza et d’autres philosophes des Lumières, il était très fier de son bagage intellectuel. Il est très facile pour les Européens d’origine juive comme Bashevis de s’en prendre aux États-Unis, de trouver des défauts au pays, en parlant de sa vulgarité, etc. Mais en réalité, ce pays a été sa grande chance..
[…] Il y a tout un tas d’anecdotes marrantes sur Bashevis. Les collectionner est un de mes passe-temps…. »
Parfois, la conversation prend un tour familier, de commérages et de critiques acerbes en particulier envers Mircea Eliade.
En tout cas, j’ai trouvé les échanges très amusants et spirituels malheureusement je n’ai pas lu les livres de Saul Bellow, je vais réparer vite cette lacune!
Une partie minuscule d’un interview (Weekend Adevarul) avec Norman Manea:
Q.: Vous avez récemment vu votre dossier au CNSAS. Que ressent-on à voir son passé reconstruit à travers le regard hostile des autres ?
R: On se sent très incomplet, c’est la première chose. Le dossier est toujours accompagné d’une lettre indiquant qu’il n’est pas complet, pour ne pas penser que c’est tout, que le CNSAS ne peut me donner que ce qu’on lui donne. C’est plus que ridicule, ça veut dire que quelque part, il y a un autre filtre, à un autre niveau, qui trie les fichiers et n’en fournit qu’une partie. Les motivations sont, je comprends, les secrets militaires. Mais je n’ai pas volé le secret de la bombe atomique roumaine ! Il y a des excuses, pas de vraies raisons. Pourquoi? Je ne sais pas. Une attitude vindicative n’est-elle pas naturelle ? On peut ici faire référence à ma position publique ou à des sentiments personnels plus profonds. Il ne me semble pas que l’écrivain doive être en position de procureur. Il n’a jamais d’autre rôle. Je pense que l’écrivain a pour mission de comprendre a la fois l’assassin et l’oppresseur et, en général, pour comprendre le phénomène humain. Personnellement, bien sûr il y a de l’amertume. Je ne pense pas que la vengeance soit une solution, je ne pense pas qu’elle résolve quoi que ce soit, elle vous empoisonne encore plus. Si vous gardez le ressentiment en vous, cela vous rendra malade. Bien sûr, il se dirige vers celui que vous visez, mais vous hébergez une mauvaise chose en vous. Vous devez pardonner, mais vous devez aussi être pardonné. La plupart ne peuvent plus pardonner, et vous ne pouvez pas pardonner leur nom, vous ne pouvez que vous pardonner. « Je suis roumain, mais je reste dans l’antre linguistique des USA ».
CNSAS:Conseil National d’Etude des Archives de la Sécuritate (Roumaine),
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