En ces jours où l’on parle de boycott de films israeliens, où le dialogue paraît difficile, lisons plutôt ce qu’a écrit Yizhar au sujet de la déportation des villageois palestiniens en 1948. Au lieu de les baillonner, laissons exprimer ce que j’appellerais la conscience des intellectuels israëliens. Leurs écrits, leurs films, leur parole ramènera peut-être un peu de raison dans la déraison des extrémismes.
Écrit en 1949, édité en français par Galaade Edition
(traduction Laurent Schuman)- postface David Shulman
Ce court récit(98p)est d’une beauté fulgurante et d’une actualité criante.
Dans la postface, D Shulman analyse le texte en hébreu. Il me fait regretter de ne pas avoir abordé ce texte en VO, classique de la littérature hébraïque qui, à ma grande surprise, figure au programme de littérature des lycées.
Le narrateur, un beau matin d’hiver 1949, part en mission afin de « regrouper les habitants de la zone située en deçà des points X et Y…en vue du transfert des populations autochtone hors des frontières; détruire à l’explosif les bâtiments de pierre…. » c’est à dire « brûler-dynamiter-capturer-embarquer-expulser » dans les règles de l’art… »
Dès les premières lignes, l’auteur est clair.
Et pourtant, malgré cette mission sinistre, le texte adopte d’abord un ton élégiaque. C’est le plus beau chant à la terre palestinienne, cultivée dans l’harmonie et la beauté, qui puisse être écrit. Les jeunes soldats y sont tous sensibles, comme à la beauté sauvage d’un jeune poulain.
Dans l’attente de l’action – comme l’attente est commune chez les militaires! – ils admirent la beauté de cette campagne.
– « le diable les emporte! s’écria Gabby. C’est trop beau pour eux! »
Yizhar, fait un compte-rendu, d’abord neutre, de l’action. Ne pas oublier que ce récit se déroule pendant la guerre d’indépendance. Il était alors officier de renseignements.
Lorsque la conquête facile du village déserté par les combattants est achevée, commence la mission d’expulsion. Expulsion de pauvres diables, de vieillards d’enfants de femmes. Devant l’humiliation des villageois, les doutes font surface. la plupart des soldats les font taire par des bravades ou des brutalités, des vantardises. Le narrateur soulève la question :
– « Est-ce bien raisonnable d’expulser ces gens?…
– on ne discute pas les ordres!
– Mais c’est injuste… »
La mission devient encore plus glauque. Une mare inonde la chaussée là où l’on devait embarquer les déportés dans des camions. La boue.
Ce texte m’a poursuivie. Sur Internet j’ai trouvé un texte se référant à cette boue, et à la boue de Kippour, le film d’Amos Gitaï.
L’actualité de ce récit est évidente.
Hier, coïncidence? la Gauche israélienne manifestait contre les colonies tandis que les Palestiniens commémoraient la Naqbah, cette déportation que raconte Hirbat-Hiza.
Et toujours je rumine :
comment les lycéens israéliens qui ont étudié ce texte peuvent ils continuer ainsi sans se poser plus de questions?
Comment ai-je pu passer à côté d’un tel texte pendant tant d’années?