Contagion – Lawrence Wright

MASSE CRITIQUE DE BABELIO

Merci à Babélio et aux éditions du cherche-midi pour m’avoir offert un nouvel opus à ma liste de lecture taguée « épidémies » qui commence à s’allonger depuis Les Fiancés de Manzoni (1842), La peste écarlate de Jack London (1912),La Peste de Camus ( 1947), Le Hussard sur le toit de Jean Giono (1951), le 6ème jour de A Chahine (1960), Némésis de Philip Roth (2010) pour les plus classiques, qui sont tous des chefs d’œuvres. Plus récents : L’Année du Lion de Deon Meyer (2017 en français) et  Les samedis de la Terre d’Erri de Luca et Contagion de Paolo Giordano qui sont des essais suite au confinement récent. Il y en a d’autres que j’ai oubliés. Contagions  de Lawrence Wright (2020) ne joue pas dans la même catégorie. La référence « Prix Pulitzer » qui figure sur la couverture concerne un autre ouvrage Looming Tower et il récompense un essai et non pas une fiction.

Contagion est donc une fiction, un thriller  paru au bon moment, en pleine pandémie de Covid-19. Je l’ai ouvert avec beaucoup de curiosité . Lecture facile avec des chapitres courts, un bon rythme, des personnages identifiables, des références à l’actualité qui font tilt. Il est enrichi de nombreuses explications scientifiques ;   l’auteur remercie  les universitaires, vétérinaires et épidémiologistes consultés pour l’écriture du roman. J’ai appris de nombreuses notions sur les virus et l’immunologie qui complèteront tout le savoir que les journalistes nous dispensent dans les médias.

Cependant la vision très américaine de l’épidémie m’a souvent agacée. La division binaire Etats Unis/Russie articule toutes les analyses politiques. Quelle importance cette pandémie dans le monde à côté des manigances des services secrets américains ou russes? D’ailleurs, le « monde entier » est fort peu représenté en dehors de l’Arabie Saoudite et des Emirats , alliés des américains et le Petit Satan, l’Iran soutenu par le Grand Satan, Poutine. On oublie bien vite l’Indonésie d’où est partie l’épidémie. Quant à l’Afrique, la Chine et l’Europe…

Peut être ce livre me fait mieux comprendre les thèses conspirationnistes qui ont cours sur les réseaux sociaux? Cette guerre bactériologique a, certes donné lieu à des recherches de chaque côté du rideau de fer. Je me souviens du slogan Nixon-la-Peste du temps où j’étais étudiante dans les années 60.

C’est d’ailleurs l’aspect le plus intéressant de l’histoire. On découvre le côté très sombre du héros Henry Parsons qu’on suit avec empathie pendant 400 pages, père et mari attentionné, chercheur scientifique intelligent, médecin dévoué…

En revanche, les moyens de lutte contre l’épidémie sont traités très superficiellement. Le confinement de l’Arabie cessera quand le Royaume entrera en guerre avec l’Iran et aux Etats Unis seuls les puissants feront l’objet de traitement.

Heureusement la Covid n’a rien à voir avec le méchant Kongoli!

La Peste – Camus

CONTAGION

Hartung

« les fléaux, en effet sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête. Il y  a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. »

la Peste fait partie de ces classiques que tout le monde a lu ou croit avoir lu, étudié au lycée….une évidence en période d’épidémie. L’ai-je vraiment lu dans mes études? Peut-être, je me souviens de ces rats qu’on ramassait à la pelle, mes souvenirs n’allaient pas plus loin. Lecture de circonstance donc.

Comme aujourd’hui, l’épidémie fut abordée avec incrédulité : les grandes épidémies ne concernent pas une ville moderne au milieu du XXème siècle, Moyen Âge, contrées asiatiques lointaines….Qui penserait à la peste? Le vieux docteur Castel qui a fait une partie de sa carrière en Chine

« Seulement, on n’a pas osé donner un nom, sur le moment. L’opinion publique, c’est sacré : pas d’affolement, surtout pas d’affolement. »

[….]

« quelques cas ne font pas une épidémie et il suffit de prendre des précautions »

Une fois, la peste identifiée et admise, il faudrait prendre des mesures. Un sérum existe mais

« Savez-vous, lui dit ce dernier que le département n’a pas de sérum? »

Et comme le sérum mettra du temps à arriver de Paris, au lieu de peste  on parle de « fièvre à caractère typhoïde« , il convient d’attendre….

A l’allure où la maladie se répand, si elle n’est pas stoppée, elle risque de tuer la moitié de la ville avant deux mois. Par conséquent; il importe peu que vous l’appeliez peste ou fièvre de croissance. Il importe seulement que vous s’empêchiez de tuer….

Atermoiements, contestation de l’efficacité du sérum (qu’on n’a pas), cela ne vous dit rien?

On va installer des salles « spécialement équipées« , des quarantaines…..jusqu’à ce que la ville entière soit isolée du monde et que les habitants soient réduits à être séparés, exilés, prisonniers. Tout l’art de Camus est de faire vivre ce monde séparé, d’analyser les réactions des personnages. C’est un roman et non pas une étude épidémiologique!

Les personnages sont vivants, divers avec des occupations diverses et des préoccupations bien à eux. Le Docteur Rieux est happé par son travail à l’hôpital, mais il entretient aussi des relations de camaraderie voire d’amitié avec ses collaborateurs.

s’agit pas d’héroïsme dans tout cela. Il s’agit d’honnêteté. C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de
lutter contre la peste, c’est l’honnêteté.

Grand, le bureaucrate sort de ses obsessions depuis que la peste a donné un sens à son travail.

Cottard va tirer profit de l’épidémie, c’est un personnage assez mystérieux dont le secret restera caché.

En somme, la peste lui réussit. D’un homme solitaire et qui ne voulait pas l’être, elle fait un complice. Car
visiblement c’est un complice et un complice qui se délecte. Il est complice de tout ce qu’il voit, des
superstitions, des frayeurs illégitimes, des susceptibilités de ces âmes en alerte ; de leur manie de vouloir parler
le moins possible de la peste et de ne pas cesser cependant d’en parler ;

Rambert veut fuir à tout prix pour rejoindre la femme qu’il aime…..

Les personnages secondaires sont, eux-aussi, bien individualisés . On s’attache à chacun d’eux. 

Une interrogation, cependant : Oran se trouve bien en Algérie? Comment se fait-il que Camus n’ait animé que des Européens? les plus exotiques sont d’origine espagnole. Rien que des catholiques! Les Arabes et les Juifs étaient-ils vaccinés ou transparents aux yeux des colons?

A lire et à relire, même en dehors de l’épidémie. Un grand livre, mais tout le monde le sait

Contagions – Paolo Giordano

LE MOIS ITALIEN : Covid19

Avec quelques semaines d’avance sur la France, l’Italie a subi les assauts de l’épidémie. Dès la fin mars, Contagions de Paolo Giordano a été traduit et publié au Seuil. A la suite de la lecture de Erri de Luca : Le Samedi de la Terre, je vais chercher une réflexion posée, loin des infos tapageuses ou redondantes, des infox et autres annonces officielles qui saturent nos médias.

Romancier mais de formation scientifique (lauréat d’une thèse de physique) Paolo Giordano a écrit un  essai où logique, mathématique et philosophie, sont déclinées dans une langue claire.

Sur ma liseuse j’ai surligné de nombreux paragraphes :

« Je n’ai pas peur de tomber malade. De quoi alors ? De tout ce que la contagion risque de changer. De découvrir que
l’échafaudage de la civilisation que je connais est un château de cartes. J’ai peur de la table rase, mais aussi de son contraire : que la peur passe en vain, sans laisser de trace derrière elle »

 Contre le fatalisme

L’épidémie nous encourage donc à nous considérer comme les membres d’une collectivité. Elle nous oblige à
accomplir un effort d’imagination auquel nous ne sommes pas accoutumés : voir que nous sommes
inextricablement reliés les uns aux autres et tenir compte de la présence d’autrui dans nos choix individuels.
Dans la contagion, nous sommes un organisme unique. Dans la contagion, nous redevenons une communauté.

Il conclue ce chapitre « Contre le fatalisme »

l’effet cumulatif de nos actions singulières sur la collectivité est différent de la somme des effets singuliers. Si
nous sommes nombreux, chacun de nos comportements a des conséquences globales abstraites et difficiles à
concevoir. Dans la contagion, l’absence de solidarité est avant tout un manque d’imagination. 

Invitation à réfléchir…..

La contagion est donc une invitation à réfléchir. La quarantaine en offre l’occasion. Réfléchir à quoi ? Au fait que
nous n’appartenons pas seulement à la communauté humaine. Nous sommes l’espèce la plus envahissante d’un
fragile et superbe écosystème.

A Réfléchir aussi comment fonctionne la science :

« Dans la contagion, la science nous a déçus. Nous voulions des certitudes et nous avons trouvé des opinions.
Nous avons oublié que cela marche toujours ainsi, ou plutôt que cela ne marche qu’ainsi, que le doute est pour la science encore plus sacré que la vérité »

 

et à propos des fausses nouvelles :

« Les fausses nouvelles se répandent comme les épidémies. Le modèle qui permet d’en étudier la propagation est
le même. [….]De même que le COVID-19 se déplace en avion, de même les mensonges se diffusent très rapidement d’n smartphone à un autre. »

j’aurais pu tout recopier!

Je vous laisse le plaisir de découvrir le livre par vous-même. Il se télécharge gratuitement, ne boudez pas votre plaisir!

 

Le hussard sur le toit – Giono

ÉPIDÉMIE

Angelo partit à quatre heures du matin. Les bois de hêtres dont lui avait parlé le garçon d’écurie étaient très beaux. Ils étaient répandus par petits bosquets sur des pâturages très maigres couleur de renard, sur des terres à perte de vue , ondulées sous des lavandes et des pierrailles. Le petit chemin de terre fort doux au pas du cheval et qui montait sur ce flanc de la montagne en pente douce serpentait entre ces bosquets d’arbres dans lesquels la lumière oblique de l’extrême matin ouvrait de profondes avenues dorées et la perspectives d’immenses salles aux voûtes vertes soutenues par des multitudes de piliers blancs. Tout autour de ces hauts parages vermeils l’horizon dormait sous des brumes noires et pourpres….

Épidémie de choléra en Provence en 1830, lecture de circonstance dans la série inaugurée avec La Peste Ecarlate et l’Année du Lion.

Traversée de la Provence pendant un été torride et l’arrivée de l’ automne dans des paysages superbement décrits.

la chaleur pétillait sur les tuiles. Le soleil n’avait plus de corps : il s’était frotté comme une craie aveuglante sur tout le ciel ; les collines étaient tellement blanches qu’il n’y avait plus d’horizon

Roman historique : Angelo, le héros, colonel de hussards piémontais a tué en duel un espion qui dénonçait les carbonari aux autorités autrichiennes, il s’est réfugié en Provence et veut rejoindre son frère de lait Giuseppe, carbonaro, cordonnier à Manosque.

Roman d’aventure, Roman de cape et d’épée : les routes sont barricadées, ceux qui tentent de fuir l’épidémie sont enfermés en quarantaine. Angelo tente d’éviter les patrouilles en coupant par la colline, ou  livre bataille aux soldats, enfermé il s’évade. Réussira-t-il à rejoindre Giuseppe? Suspense garanti.

Roman d’amour  ou presque, quand il rencontre une belle inconnue qui fera la route avec lui. 

J’ai fait durer la lecture tant Giono écrit bien. J’ai goûté avec grand plaisir ses descriptions des paysages provençaux. Giono fait ressentir la chaleur, le soleil de craie, mais aussi les parfums des pinèdes. Les oiseaux et les papillons et même les abeilles adoptent des comportements inquiétants pendant l’épidémie……Il décrit aussi les affres de la maladie, pas très appétissante.

Si vous connaissez la campagne d’Aix en Provence à  Manosque, Gap et Théus vous goûterez encore plus le voyage.

Trouvé sur un blog intéressant

pour le détail de l’itinéraire cliquer ICI

Pourquoi ce titre de Hussard sur le Toit ? Angelo se réfugie sur les toits de Manosque, mais je vous laisse la surprise….

 

 

L’Année du Lion – Deon Meyer

CORONAVIRUS

L'année du lion" de Deon Meyer... - Sixtrid Editions | Facebook

Quelque part en Afrique tropicale, un homme dort sous un manguier. Ses défenses immunitaires sont affaiblies car il est séropositif et n’est pas soigné. Il a .déjà un coronavirus dans le sang. [….]

Dans le manguier se trouve une chauve-souris avec n autre type de coronavirus. La chauve-souris est malade. Elle a la diarrhée et crotte sur le visage du dormeur….

Un des parents de l’homme du manguier travaille dans un  aéroport de la grande ville[….]il tousse près d’une passagère juste avant qu’elle ne prenne un vol pour l’Angleterre.

En Angleterre se tient une rencontre sportive internationale….

(chapitre.4 p 25 )

l’Année du Lion est parue en Afrikaans (Koors) et en Anglais (Fever) en 2016.

Prémonitoire? 

L’auteur Deon Meyer s’est soigneusement documenté pour écrire cette dystopie. La bibliographie occupe 5 pages avec les liens pour la documentation sur Internet.

En général, je n’aime pas beaucoup les dystopies mais en ce temps d’épidémie, la réalité rejoint ces fictions et j’ai plus envie de les lire qu’avant. Cette lecture vient à la suite de celle de la Peste Écarlate  de Jack London (1912). Dans les deux ouvrages,  l’humanité est pratiquement rayée de la carte et les survivants errent en bandes violentes. La technologie et le savoir sont pratiquement perdus dans la Peste Écarlate, et les humains retournent à la Préhistoire, tandis que dans l’Année du Lion il reste assez d’ingénieurs, techniciens, lettrés pour faire tourner les machines abandonnées : avions, camions, tracteurs, ouvrages hydroélectriques et même communications radio….

L’électricité a tout changé Un interrupteur nous transporté du Moyen Âge à l’ère de la technologie moderne [….]et nous a insufflé un autre élément dont nous avions surtout besoin : de l’espoir….

Parfois, je me dis que Willem Storm voyait Amanzi comme une lutte entre l’Homme et le Virus, ou au moins entre l’Homme et les dévastions du Virus. Et l’hydroélectricité était une victoire importante  contre le Virus

La fondation de la  communauté idéale d’Amanzi était l’utopie humaniste de Willem Storm, le père du narrateur. Les hommes de bonne volonté s’associeraient pour former une communauté accueillante et démocratique. Après l’afflux de survivants de toutes parts une société diverse se recompose, avec le pasteur qui veut mettre Amanzi sous la garde de Dieu, Domingo qui ne croit qu’à la force et se construit une véritable armée. Agriculteurs et artisans, militaires et techniciens, la communauté se calque sur des modèles connus. 

Amanzi  n’est pas la seule entité peuplée, il y a aussi les colporteurs et les hordes de motards pilleurs ou pillards diversement motorisés. Une grosse partie du livre raconte en détail les opérations militaires contre ces bandes. C’est la part du livre qui m’a déplu. Violence et complaisance vis à vis de la violence, beaucoup de fusillades, d’entraînements militaires de soumission au chef. Seul bémol pour moi.

Le reste est passionnant et afin de ne pas spoiler je suis forcée de laisser de côté l’opposition des idées.   Willem  se réfère à Spinoza,et le pasteur à Dieu, et Domingo  méprise la démocratie. Manichéiste parfois, mais pas trop.

C’est aussi un roman d’apprentissage, Nico le narrateur a 13 ans au début du roman et 18 vers la fin.

C’est aussi un voyage dans les paysages grandioses de l’Afrique du Sud, on rencontre des lions, des springboks, des chacals…

J’ai dévoré ce livre jusqu’au dénouement final (et inattendu).

La Peste Écarlate – Jack London

CHALLENGE JACK LONDON

En l’honneur du Challenge, et en période de confinement, le titre résonne comme une évidence. Récit d’anticipation, paru en 1912. Court roman qui se lit d’un trait.

En 2013, cent ans après la parution, une épidémie – La Peste Écarlate – en quelques jours a éradiqué les humains de la terre. Épidémie foudroyante : quelques minutes suffisent pour terrasser une personne, très contagieuse, tout l’entourage est atteint.

La civilisation est gommée. Les broussailles envahissent les cultures. Le paysage est méconnaissable. Les animaux domestiques retournent à l’état sauvage. Les rares  survivants errent à la recherche de congénères.

« Dix mille années de culture et de civilisation évaporèrent comme l’écume, en un clin d’œil »

2073, vêtus de peaux de bêtes, à la mode de la Préhistoire, un vieil homme et ses trois petits enfants qui gardent des chèvres et chassent ou pêchent, survivent dans des conditions précaires.

Le vieil homme, dans une première vie, était professeur de littérature anglais. Il raconte la catastrophe, aux enfants. Son récit analyse la société de l’époque:

Mais, à mesure que les homme devenaient plus nombreux et se rassemblaient dans les grandes villes pour y vivre tous ensemble, pressés et serrés, de nouvelles espèces de germes pénétraient dans leur corps et des maladies inconnues apparurent, qui étaient de plus en plus terribles

Après les premières contagions de cette terrible peste…

Les riches, d’abord, étaient partis dans leurs autos, leurs avions et leurs dirigeables. Les masses avaient suivi à pied ou en véhicule de louage ou volés, portant la Peste avec elles dans les campagnes

Même si certains étaient épargnés, meurtres, incendies, ravagèrent, privant les survivants de toute ressource

En plein cœur de notre civilisation, dans les bas-fond et dans ses ghettos du travail, nous avions laissé croître une race de barbares qui se retournaient contre nous, dans nos malheurs comme des animaux sauvages, cherchant à nous dévorer…

 

Quand le monde fut vide….

on aurait pu imaginer que les rares survivants se seraient entraidés. Le récit de London est  pessimiste. Les plus chanceux, ou les plus résistants ne sont pas nécessairement les plus intelligents, ni les plus cultivés

_ « la même histoire,  dit-il en se parlant à lui-même, recommencera. Les hommes se multiplieront, puis il se battront entre eux. Rien ne pourra l’en empêcher. Quand ils auront retrouvé la poudre, c’est par milliers puis par millions qu’ils s’entre-tueront. C’est ainsi, par le feu et par le sang qu’une nouvelle civilisation se formera. »

 

lire le billet de Claudialucia

celui de Kathel

Le samedi de la terre – Erri de Luca

« Pour la première fois de ma vie, j’assiste à ce renversement : l’économie, l’obsession de sa croissance, a sauté
de son piédestal, elle n’est plus la mesure des rapports ni
l’autorité suprême. Brusquement, la santé publique, la
sécurité des citoyens, un droit égal pour tous, est l’unique
et impératif mot d’ordre »

Je me ferme aux bruits du monde, aux litanies de statistiques morbides, aux discours et aux injonctions anxiogènes qui se déversent sur nous.

Soudain un titre : Le samedi de la Terre d’Erri de Luca traverse la barrière que je me suis construite. Urgence! il me le faut!

Gallimard offre le téléchargement gratuit dans sa collection Tracts. Plus qu’un essai, ce court texte(12 pages) est un tract que j’ai envie de diffuser autour de moi.

Enfin! dans les écrits et paroles « sur le confinement » vient une réflexion qui me donne comme une bouffée d’oxygène.

 

Et soudain une épidémie de pneumonies interrompt l’intensité de l’activité humaine. Les gouvernements instaurent des restrictions et des ralentissements. L’effet de pause produit des signes de réanimation du milieu ambiant, des cieux aux eaux. Un temps d’arrêt relativement bref montre qu’une pression productive moins forte redonne des couleurs à la face décolorée des éléments

Enfin! quelqu’un donne à lire une pensée cohérente, politique, poétique, belle, qui me traverse, me porte au lieu de me consterner.

Pourquoi ce titre?

le Samedi qui littéralement n’est pas un jour de fête mais de cessation. La divinité a prescrit l’interruption de toute sorte de travail, écriture comprise. Et elle a imposé des limites aux distances qui pouvaient être parcourues à pied ce jour-là. Le Samedi, est-il écrit, n’appartient pas à l’Adam : le Samedi appartient à la terre.

Je savais l’auteur grand lecteur de la Bible en hébreu, il a choisi Samedi plutôt que Shabbat pour que sa parole soit universelle. 

En conclusion :

« Basta che ce sta ‘o sole, basta che ce sta ‘o mare… »

Il suffit qu’il y ait le soleil, il suffit qu’il y ait la mer.

Ce n’est pas une thérapie reconnue, mais c’est bon pour l’âme de se mettre au balcon et de se laisser baigner de lumière.

ERRI DE LUCA

Ne vous contentez pas de ces courts extraits!

LISEZ-LE !

 

 

 

 

 

 

Le 6ème jour – Andrée Chedid (1960)/Youssef Chahine (1986)

LIRE POUR L’EGYPTE

« Dans six jours, je serai guéri. N’oublie pas ce je te dis : le sixième jour ou bien on meurt ou on ressuscite. Le sixième jour.... »

Explique l’oustaz Selim qui sent les premières atteintes du choléra à Oum Hassan, la grand mère d’Hassan, vieille paysanne revenant du village anéanti par l’épidémie.

1948, le choléra sévit en Egypte.

Dans les campagnes, pour éviter la contagion, une ambulance enlève les malades qu’on isole dans une sorte de campement tandis que leurs biens sont brûlés. Peu ou pas de soin, peu ou pas d’espoir de guérison. Les parents cachent les malades pour qu’on ne les emmène pas.

Saddika, Oum Hassan arrive juste à temps au village pour les funérailles de sa soeur. Quand elle revient au Caire la maladie a déjà atteint la ville. On rétribue les citoyens qui dénoncent les cas d’infection. Okkazionne, le montreur de singe, se réjouit de cette source de revenus providentielle.

Quand Oum Hassan découvre les premiers symptômes sur son petit fils, elle prend la fuite avec l’enfant. Elle fait confiance en la parole du maître d’école, il suffit d’attendre six jours. Elle installe Hassan sur une charrette à bras, puis le cache dans une cabine de lessive sur le toit, enfin dans une felouque qui descend le Nil vers la mer.

Ce court roman (156 pages) raconte cette fuite éperdue, l’amour immense de la vie. Saddika ne prodigue pas de soins, elle insuffle l’énergie vitale dont elle déborde en parlant à l’enfant, en lui racontant des histoire, en protégeant le petit corps affaiblit. Il lui semble que tout l’amour qu’elle lui porte le protégera pendant les six jours fatidiques;

Je chante pour la lune
Et la lune pour l’oiseau
L’oiseau pour le ciel
Et puis le ciel pour l’eau
L’eau chante pour la barque
La barque par ma voix
Ma voix pour la lune
Ainsi recommencera.
Dans la terre et dans l’eau
Ma chansonvoyagera
Où le noir est si haut
Ma chanson s’effacera
La lune m’entendit
Et par la lune, l’oiseau
Le ciel m’entendit
Et par le ciel, l’eau
La barque m’entendit
Et par la barque, ma voix
Ma voix m’entendit
Et j’entendis ma voix.
         

Une Egypte encore rurale et traditionnelle évoquée avec délicatesse et poésie.

J’ai voulu revoir le film de Youssef Chahine tiré du livre vu il y à sa sortie en 1986, dont je n’avais gardé qu’un très vague souvenir.

Première surprise, une grande Saddika : Dalida voilée de noir, mais loin de l’idée que je m’étais construite à la lecture du roman.

D’un récit tout simple, linéaire, le cinéaste a construit une oeuvre complexe où l’amour maternel n’est plus le sujet unique de l’histoire. Choléra, certes, mais aussi occupation britannique. Le personnage d’Okka devient central, de simple montreur de singe, vivant d’expédient, il devient un véritable acteur, danseur, inspiré par Gene Kelly qui danse sous la pluie présent dans la maison de Saddika avant le drame. Autre thème : l’amour du spectacle et du cinéma avec des allusions cinéphiles.

Même la fin, est très différente, plus visuelle au cinéma.

Anna – Niccolo Ammaniti

LE MOIS ITALIEN D’EIMELLE

Anna ammaniti

Quand Babelio a proposé de « lire toute la rentrée littéraire 2016 », j’ai choisi Anna qui cadrait avec le thème du Mois Italien d’Eimelle du 1er Octobre : un livre paru en 2016 et aussi parce qu’il se passait en Sicile. Je ne me suis pas inquiétée du thème post-apocalyptique. les romans apocalyptiques, ou la science-fiction ne sont guère à mon goût (sauf chef-d’oeuvre, on ne sait jamais). J’ai lu deux ouvrages de Niccolo Ammaniti : Emmène moi que j’ai bien aimé et La Fête du siècle, moyennement.

Anna raconte la survie des enfants après qu’une épidémie – La Rouge – ait éradiqué tous les adultes. Pour des raisons hormonales,  les enfants en sont indemnes, la maladie ne se déclarera qu’à la puberté.  La mère d’Anna lui a laissé un Cahier des Choses Importantes, sorte de manuel de survie et la responsabilité de son petit frère à qui elle devra apprendre à lire et léguer le Cahier en espérant que d’ici -là, un vaccin ou un remède leur permettra de survivre.

La Sicile se trouve donc peuplée uniquement d’enfants plus ou moins sauvages, de chiens en bandes. Les enfants trouvent leur survie dans des centres commerciaux ravagés et pillés. Ils se nourrissent de boîtes de conserves. Ils s’organisent  en bandes, inventent des rituels étranges pour conjurer la menace. Omniprésence de la mort, ossements, cadavres, charognes. Meme dans la Préhistoire la plus anciennes, les humains enterraient leurs morts. Pas ici. On trouve des cadavres dans des voitures abandonnées, dans des maisons.

Atmosphère de violences, de destructions, de brutalités, affrontement entre les enfants, affrontement entre enfants et chiens.

J’ai failli abandonner très vite cette lecture. Puis je me suis attachée à Anna, à son énergie de vivre, même dans cet enfer, à son projet de sauver son petit frère, à son désir de vivre pleinement le temps court qu’il lui est imparti de vivre, à vivre un amour…vivre malgré tout.

Les Fiancés – Manzoni

CHALLENGE ROMANTISME

Merci avant toute chose à Claudialucia d’avoir proposé les Fiancés comme lecture commune! C’est une vraie découverte que je n’aurais pas faite seule.

 

 

 

 

 

La première surprise fut d’ouvrir le paquet : un gros pavé de plus de 850 pages. Un gros livre peut être promesse d’un plaisir prolongé de lecture mais aussi un long pensum. j’ai vite sauté la préface très savante, et très ennuyeuse pour qui ne connait ni l’auteur ni l’ouvrage. On aurait mieux fait de la mettre en postface. j’y suis retournée.

Cela commence comme du Stendhal dans les Nouvelles Italiennes, un manuscrit ancien… puis une belle description des sommets au dessus du Lac de Côme…puis arrivent les Braves, séides des seigneurs, cap et épée, sicaires… nous quittons Stendhal pour Dumas. Don Rodrigue, tyranneau local, neveu d’un Grand de Milan, a parié avec un de ses cousins qu’il séduirait Lucia, la petite fiancée. Manzoni bataille contre les abus de pouvoir de la noblesse. Un peu plus loin, c’est Diderot et la Religieuse qui a inspiré l’auteur.Chaque épisode introduit un nouveau personnage. Et ces personnages ne sont jamais secondaires, ce sont les véritables héros d’une grosse histoire qui fait oublier les Fiancés Renzo et Lucia, que l’on perd de vue pour les retrouver dans de nouvelles aventures. Si le pouvoir civil est espagnol, le clergé, moines capucins, curés, évêques, cardinaux (et même un quasi-saint Frédéric Borromée) jouent un rôle prépondérant dans la vie du Milanais. On assiste à un presque miracle : la conversion d’un bandit l’Innommé

L’action se déroule dans le Milanais en 1628. L’Espagne règne sur  Milan. Les mauvaises récoltes ont causé la disette puis des émeutes du pain. Casale est assiégée, en France Richelieu fait le siège de la Rochelle, la guerre de succession de Mantoue va voir les troupes étrangères se déverser sur la Lombardie et apporter désolation, pillages et dans leur sillage, la peste. Je lis Les Fiancés comme un roman historique. Manzoni s’est documenté pour raconter les évènements. Il cite ses sources. Les notes (malencontreusement situées à la fin du livre, j’aurais préféré en bas de page) confirment l’authenticité des faits et des personnes. Et surtout Manzoni se livre à une véritable analyse économique quand il explique les effets négatifs de la fixation d’un prix trop bas au pain. C’est un véritable cours d’économie.

Quand il raconte l’épidémie de peste, l’auteur ne nous épargne aucun détail. Il faut se souvenir que la contagion de la peste n’a été découverte que beaucoup plus tard, en 1894, et pourtant il a des intuitions géniales. Il montre l’incurie des services de santé qui nient la réalité de l’épidémie, la laissant s’étendre au lieu de la contenir, les atermoiements, les mesures prises alors, la lâcheté de certains, le courage d’autres, aussi les raisonnements oiseux de Ferrante, l’érudit dans sa tour d’ivoire, qui préfère interpréter la catastrophe par les conjonctions de Jupiter et des planètes,  ou par des sophismes, et négligeant de se protéger, contracte la fatale maladie.

D’autres lectures du gros livre sont possibles, une lecture catholique, dont je suis éloignée…. en V.O. il serait intéressant de suivre l’Italien au moment où le Toscan devient l’Italien alors que l’Italie s’unifie. Lecture sociale : lutte des petits contre la tyrannie des nobles, Manzoni écrit peu de temps après le passage de Napoléon en Italie, popularisant les thèses de la Révolution….Il est remarquable que les héros ne soient pas des princes et princesses mais un ouvrier,  fileur de soie, et une petite paysanne. Là, cependant, j’ai été un peu frustrée : autant l’auteur s’est appliqué pour raconter le quotidien des moniales, des capucins, du curé de campagne, ou celui des seigneurs-bandits, autant il aurait pu nous montrer les ouvriers du textile au travail. Le livre aurait été encore gros!

Véritable découverte!

Avant, l’association Romantisme et Italie était univoque  : Verdi maintenant je penserai à Manzoni!

Et pour le plaisir le Requiem de Verdi!