Erevan : Gilbert sinoué

LIRE POUR L’ARMÉNIE

Roman historique ou livre d’histoire?
Le sujet m’intéresse, et je rentre d’Arménie. j’ai donc lu avec beaucoup d’intérêt ce roman qui commence en 1896 avec la prise de la Banque Ottomane par des Arméniens et qui se termine en 1921 avec l’exécution des principaux responsables du Génocide de 1915. leçon d’histoire!
L’auteur met en scène différents protagonistes, une famille d’Erzeroum, un député arménien, les responsables politiques « Jeunes »Turcs », les témoins occidentaux… Fidèle aux faits et aux témoignages.

 

Leçon d’histoire, pour le roman historique, le souffle est court. Je ne suis pas arrivée à m’attacher aux personnages, trop conventionnels, dans un décor convenu, peu de littérature finalement. Mais est-ce important pour un tel sujet?
Dernier reproche : le titre .Pour quoi Erevan? L’action se déroule entièrement en Turquie et jamais à Erevan?

je me suis promise de rechercher les Quarante jours de Musa Dagh de Franz Werfel qui raconte aussi le génocide que j’ai lu autrefois et qui m’avait impressionnée.

Arouch et arrivée à Ashtarak

CARNET ARMÉNIEN

le caravansérail d’Arouch

Le GPS nous renvoie à Talin pour retrouver M1. Epuisée par les routes défoncées, la conductrice est ravie de trouver un axe principal. Repassant par le même itinéraire, nous trouvons le caravansérail bien en ruine, indéchiffrable.

La M1 est bien roulante.

Arouch église et palais des Mamikonian

Dernier arrêt (hors programme) à Arouch signalé par des panneaux. Non loin de la route nous voyons un caravansérail à trois arches au toit à double-pente (panneaux d’explications multilingues). L’église fléchée, paraît intacte. On a remonté les fenêtres vitrées, je ne sais pourquoi, la coupole effondrée laisse un trou béant vers le ciel, par lequel il pleut.

Ici aussi, il y a des panneaux qui décrivent  les structures : église Saint Grégoire (660-700) et palais (661-685) attribué à Grigor Mamikonian. Ici, je retrouve Vardam Mamikonia(388-391) et la bataille d’Avaïr, où les Mamikonians alliés à Rome combattirent contre les Perses, représentés sur la place de Gümri . Certains Mamikonians furent empereurs byzantins. Je me promène avec joie dans le palais fleuri de coquelicots et de moutarde jaune et découvre les grands chapiteaux.

vardam mamikonian

Nous arrivons tôt à Ashtarak. Encore une preuve de la gentillesse des Arméniens vis-à-vis des étrangers : le GPS ignore l’adresse de nos logeurs. Google-map nous a été bien utile mais nous avons dépassé la rue. Je m’adresse à un chauffeur de taxi en attente à la station< ; Très aimable, il se lance dans un long discours en russe, d’où il ressort qu’il faut faire demi-tour et tourner à gauche. On tourne trop tôt et repassons devant les taxis, le chauffeur démarre son véhicule et nous fait signe de le suivre. Quand on propose de payer la course il repart avec un grand sourire.

Nous logeons dans une maison cubique en pierre beige à étage, derrière de hauts murs qui enclosent un grand jardin. Un garçon d’une douzaine d’années, parfaitement anglophone vient à notre rencontre, aide à monter nos valises, propose du thé, allume la télé (très grand écran) et nous apporte même son ordinateur. Sa grand-mère est présente mais elle ne parle que le russe.

Notre chambre est vaste mais vide hormis 2 lits, une armoire et deux chaises les murs gris n’ont pas été peints (ni plâtrés). La salle d’eau est carrelée de neuf C’est très simple mais suffisant.

S’il avait fait soleil nous aurions été ravies de profiter du jardin. Il pleut. Nous nous sentons un peu abandonnées. Nous dînons seules à 7h30. La table est garnie des salades habituelles, herbes, fromage, lavach en plus d’un saladier rempli de dolmas toutes chaudes. La dame apporte un pichet de boisson au sirop d’abricot « fait maison », puis du thé.

Gümri : visite de la ville

CARNET ARMÉNIEN

Gümri ou Léninakan soviétique?

La pluie tombe sur Gümri. Le contraste entre les façades de tuf rose, urbaines et sophistiquées, avec leur arches, colonnes, corniches, motifs sculptés géométriques et végétaux, avec les arrières cours immédiatement derrière les beaux immeubles qui sont campagnardes, vertes, aux arbres fruitiers fleuris (cerisiers et pêchers roses), est donc surprenant. Dans ces arrières- cours, il y a des maisons basses et même des baraques de bois et de tôle, la chaussée est de terre.

Le fort et Mère Arménie

Fort de Gümri – Léninakan?

Notre première visite est pour ce fort bas et circulaire, couronnant une colline, non moins d’une sculpture de Mère Arménie qui regarde la Turquie d’un air martial. Autant la sculpture de Mère Arménie de Yerevan avait un air sympathique (de dos on pourrait croire qu’elle joue de la guitare) autant son homologue de Gümri est figée pointant le ciel d’un geste menaçant. Le fort est en chantier. Peut être que dans quelques années il sera plus intéressant à visiter.

Vieux Gümri : quand Gümri s’appelait Alexandropol…

Dans les vieilles rues de Gümri . Alexandropol?

 

Une promenade dans les vieilles rues est balisée par des panneaux très détaillés, expliquant les particularités architecturales ou l’histoire des maisons anciennes. Mais il n’est pas aisé de trouver tout ce qui est décrit. Le nom des rues a changé, les numéros ne correspondent plus et sont dans le plus grand désordre. Les histoires sont charmantes : celle de la maison dont la fontaine (introuvable) devait porter chance à un  ménage arméno-russe avec une croix russe et une arménienne… La « maison du Traité »

….Je cherche une fontaine ancienne dont la photo illustrerait mon billet sur la Fontaine D’Heghnar de Mkrtitch Armen que j’ai beaucoup aimé. Je cherche, sans les trouver, les lieux du roman. Roman intemporel, qui raconte une ville sur plusieurs collines, une ville avec un quartier arménien, un grec, un turc…ville d’avant les Russes? Ville rêvée?

boutiques et échoppes des artisans

Promenade tranquille dans les rues pavées en pente où les maisons modestes alternent avec les maisons de maître. On a joué avec les couleurs du tuf. Basalte noir et tuf rouge faisant des damiers, des colonnettes. Les arbres fruitiers ont un air printanier. Je regarde par les fentes des portails de bois, entre dans les cours…Des artisans occupent le rez de chaussée, boulangers, cordonniers, photographe à l’ancienne, imprimeur…des restaurants un peu chics coexistent avec les échoppes. Ici on a briqué la façade. Là, on a ajouté un auvent de tôle disgracieux.

sur la place de la mairie Vartam Mamikonyan

Nous garons la voiture sur une grande place occupée par de nombreuses banques et descendons la rue piétonnière qui conduit à la place de la Liberté où il y a la Mairie – toute neuve crème – et deux églises. L’une d’elle complète et très noire, l’église des 7 douleurs avec sa coupole au toit pointu tombé en 1988,  en face la Cathédrale entourée d’un échafaudage. Un panneau raconte que pendant la période communiste, la Cathédrale était une salle de concert. Il est aussi expliqué que les clochers encaissent les secousses et protègent l’église. Dans le cas de la Cathédrale cela n’a pas dû aider, les dégâts furent spectaculaires : une photo de 1988 montre un pan de mur à la place du clocher. En 25 ans les chantiers se succédèrent et s’arrêtèrent faute de crédits. L’extérieur est pratiquement complètement remonté. Tatev, la sœur de Jack nous en racontera un peu plus : le groupe de statue qui occupe le centre de la place représente le roi Mamikonian entouré de ses guerriers, au 5ème siècle . Ce soir Vartan était censé donner son nom à la place, selon le désir du maire qui portait le même prénom. Tatev nous montre aussi le Cinéma Octobre joliment rénové.

avant et après le séisme

Dans la « cour de l’église » se trouvent de magnifiques khachtkars, l’une des stèles représente le séisme du 7 décembre 1988. Les stèles sont dans el style de la ville de Djura. – très belles.

Non loin de là, on entre dans le marché. Les étals les plus photogéniques sont ceux des conserves colorées, de viande séchée, de charcuterie de saucissons et pastramis rouges. Vendus avec les épices, les semences : graines de carottes, de chou-fleurs, de melons ; les haricots noirs et blancs, mouchetés roses, sont-ils à manger ou à semer ? Il y a même de l’encens à brûler avec les graines.

au marché : épices et graines

Nous achetons plusieurs mélanges d’épices très odorants après les avoir gouté : de couleur orange avec du sésame, rouge avec des paillettes dorées, basilic violet et une plaque de framboise en pâte fineséchée pour 1000dram.

Monastère de Tatev

CARNET ARMÉNIEN

le monastère dans la splendeur des pommiers en fleurs

Wings of Tatev Tramway :

Une route excellente mène à la gare du téléphérique très moderne, restaurant panoramique en verre. Le Téléphérique « le plus long du monde, inscrit au livre des records » passe au dessus du canyon du Vorotan (5.7km, 320m) évitant ainsi une piste en lacets impressionnante et pas recommandée pour le châssis de notre berline. 4000dram aller-retour (3000dram aller seul). Nos compagnons sont deux arméniens amoureux et équipés lui d’un i-pad, elle d’un i-phone, francophones et endimanchés : lui costume en velours, elle robe rose collante. On immortalise leur voyage avec l’i-pad mais le canyon sera flou.

le canyon de Vorotan et la piste en lacets vue du téléphérique

Nous cherchons sans le trouver le Pont de Satan au dessus du Vorotan. Le voyage dure un quart d’heure. Vu du télécabine, le monastère de Tatev est accroché sur la falaise, nid d’aigle. A pied, il surgit derrière un verger de pommiers en fleur. Splendeur du printemps ! Deux poivrières se détachent sur les alpages, une grande et une petite, couvertes d’un toit en accordéon. Un sentier de pas japonais dans l’herbe mène au monastère enclos d’un haut mur.

Monastère de Tatev

Le monastère vu du téléphérique

Construit au 9ème siècle (895). Kaplanian p125 narre la jolie histoire de Ter Hovannes, second évêque de Tatev qui, enfant ayant perdu les poules de sa marâtre, se réfugia au monastère… La cathédrale Pierre et Paul est imposante, malheureusement précédée  d’un porche 19ème siècle qui jure avec l’ensemble. Le tambour de la coupole est finement décoré. L’intérieur est très dépouillé.

tombe de Grégoire de Tatev

 De nombreux panneaux multilingues commentent la visite et racontent l’histoire mouvementée du monastère qui connut son époque de gloire entre le 11ème siècle et le 14ème quand l’université réunit jusqu’à 500 personnes, philosophes, musiciens, peintres, calligraphes et miniaturistes. En plus des nombreux séismes qui l’ont frappé, des invasions et des pillages seldjoukides, plusieurs révoltes de paysans eurent lieue au 10ème siècle protestant contre les décrets des religieux. En 915 les paysans renversèrent le myrrhe et tuèrent le clergé. En 1003, le roi de Siounie démolit Tsourabend en représailles à l’assassinat de l’évêque du monastère. Au 11ème siècle apparut également une secte hérétique des Tondrakian réclamant l’abolition de l’Eglise, l’égalité des classes et des sexes. Les plus radicaux niaient l’existence après la mort, professaient l’athéisme et la guerre des classes (selon les panneaux).

En plus de la grande église Pierre et Paul, il y a deux petites églises, la chapelle Notre-Dame, Sorb Astvadzadzine, la petite église Saint Grégoire (1295), et la tombe de Grégoire de Tatev(1340-1411).

L’église Astvadzadzine est très mignonne. En entrant je suis étonnée de la hauteur de sa coupole, au moins trois fois la longueur de la nef. Très grande simplicité de l’intérieur tandis que les murs extérieurs sont couverts d’inscriptions gravées.

Nous visitons en détail les installations monastiques, la résidence de l’évêque (attention marches très hautes), avec de nombreuses niches dans les murs – placards ou bibliothèque ? – et une très belle vue sur le canyon. Le réfectoire des moines, la boulangerie avec le four (tonir) (grand jarre pour cuire le pain arménien ou lavach . il y avait également un scriptorium, un matenadaran  une auberge pour les pèlerins, des bains médiévaux et une fontaine. L’édifice le plus étrange est le Gavazan : colonne oscillante cerclée de bandes métallique. Deux hypothèses sont évoquées la première serait la détection des séismes on raconte aussi qu’elle fit fuir les guerriers seldjoukides qui l’auraient prise pour une colonne diabolique…

la colonne oscillante – sismographe ou diabolique?

A l’écart du monastère, le moulin à huile a été restauré. Le pressoir de pierre est très bien conservé ainsi que les grosses vis et autres accessoires. Une exposition de très belles illustrations présente les plantes arméniennes oléagineuses : sésame, chanvre, moutarde, tournesol pavot mais également colza,ricin, camelina sativa ( ?), lallemantia, ces deux dernières que j’ignorais totalement.

Monument du Génocide

CARNET ARMÉNIEN

 

Il m’aurait paru inconvenant de ne pas aller le visiter. Dépouillement total : un plateau planté d’une pelouse, une aiguille fendue, des stèles autour de la flamme. Arbres du souvenir.

Le musée est caché en contrebas. Un anneau, des photos, des livres et articles de journaux dans les vitrines, même des caricatures. Le monde savait. Le 24 avril 1915 le monde était occupé par la Grande Guerre. Les généraux aux ont été jugés, puis se sont évadés. La France est un des seuls états à avoir reconnu les Génocide. Mais les autres ? C’est incompréhensible que les États Unis, la Grande Bretagne ou Israël n’en fasse pas autant.

Incompréhensible que les Ottomans, si accueillants pendant des siècles, aient si brusquement décidé d’éliminer ceux qui  avaient toujours été là. Pourquoi la République turque refuse-t-elle de reconnaître les atrocités de l’Empire Ottoman disparu ?

Qui se souvient des Arméniens ? Ont dit les Nazis planifiant la Solution Finale.