LIRE POUR L’ITALIE & pas seulement….
Roberto Saviano, pour avoir écrit Gomorra et Extra Pure, reportage sur la Camorra napolitaine, vit sous protection policière depuis plusieurs années. Ses livres et les adaptations en film ou télévisées sont régulièrement attaquées. De la non-fiction narrative, Saviano est passé à l’écriture d’un roman de fiction très alimentée par la réalité.
Dès que j’ai ouvert le livre, j’ai failli le refermer. Le premier chapitre Mange-merde m’a paru difficilement soutenable. Humiliation d’un petit et humiliation diffusée sur les Réseaux Sociaux.
Dois-je vraiment lire cela?
La limite entre la complaisance, le plaisir de lire des horreurs et la curiosité est vraiment floue.
Surtout que cela empire par la suite. Dès que ces adolescents, encore des enfants pour certains, se procurent des armes, ils passent très vite au meurtre. Meurtres gratuits tout d’abord, pour s’entraîner pour vérifier les tutoriels sur lesquels ils apprennent le maniement des armes. Chevauchées infernales sur leurs motos, terreur des passants. On se croirait au cinéma, ou dans un jeu vidéo. Et puis conquête d’un pouvoir, d’un territoire. Luttes avec d’autres bandes. Luttes à mort.
Aucune perspective si ce n’est la consommation immédiate de biens dérisoires. Une entrée dans une boîte clinquante au Posilippo, du champagne, de la coke…et toujours des armes, des actions d’éclat au goût du sang.
Suis-je forcée de lire cela?
Et bien, je me suis laissée embarquer jusqu’au final, au meurtre d’un enfant. Logique, inévitable. Tragédie totale qui mettra peut être le point final à la lecture mais pas à l’engrenage dans lequel les pirhanas sont entraînés. C’est bien écrit! Cela se lit bien. Mais cela me met mal à l’aise. Loin de moi le reproche qu’on a fait à l’auteur de pousser les adolescents à la violence, lire Saviano ne me fera commettre aucun délit mafieux!
Doit-on censurer ces images insoutenables comme celles de Daech? Faire des procès à ceux qui les regardent? Lien entre terrorisme et violence des gangs mafieux. Ce n’est pas moi qui le fais, c’est Saviano lui-même. Ces enfants écrivent les louanges des islamistes sur leur mur Facebook, même s’ils sont de bons catholiques qui vont brûler des cierges à la Madone.

C’est en écoutant Saviano (La Grande Librairie), en lisant ses interviews du Monde, etc… que j’ai compris. Pirhanas est le développement romanesque de faits divers « une histoire incroyable« ayant vraiment eu lieu. Une bande d’enfants d’adolescents de 14 à 19 ans a vraiment pris le pouvoir sur Naples à une époque où les parrains se sont retrouvés en prison et où le territoire était à prendre. Le jeune chef de bande n’est pas une fiction, même si le personnage est inventé. Pour écrire les dialogues, l’auteur s’est basé sur des écoutes téléphoniques authentiques.
J’ai eu le privilège d’avoir une invitation dans les salons de Gallimard et d’écouter Saviano. D’après lui, ces enfants sont des « génies criminels » des « enfants prodiges » qui ont su exploiter un vide de pouvoir pour développer le commerce de la drogue. Ce ne sont pas des enfants poussés par la misère, ce sont les enfants d’une petite bourgeoisie dont le pouvoir économique s’effondre. Logique capitaliste ou logique mafieuse? Ils ont compris qu’avec un investissement de 5000€, l’économie de la drogue pouvait les rendre multimillionnaires. Et pour la mise de départ, il faut des armes, des extorsions, des braquages. Mais pour garder le pouvoir, le territoire, il faut maintenir la terreur et la mort.
La différence entre les enfants-pirhanas et les parrains traditionnels adultes, c’est que les enfants vivent dans l’instant immédiat, No- future. Ils veulent tout et tout de suite. La mort est la suite logique, ils n’en ont pas peur. Comme les terroristes, ils vivent un désir de mort. Ce désir est selon Saviano, le point de contact avec le djihadisme. Le langage de la banlieue selon lui est violent et universel, comme le Rap.
Encore plus effrayant que je ne le croyais en lisant!
merci à Babélio et à Gallimard pour le livre et l’invitation!