CARNET DU MEZZOGIORNO (BASILICATE)

Ecrire le matin sur la terrasse de 5h30 à 7h pour profiter de la fraîcheur avant la canicule. A la frontière entre Pouilles et Basilicate, les températures au-dessus de 30°C ne sont pas extraordinaires ; Il suffirait de faire la sieste, d’aller se plonger dans la mer et de profiter de la douceur des soirées. La rue principale est réservée à la passeggiata de 21h à 1 heure du matin, c’est le moment de sortir !
La via Catania,en plus du bruit, détient un autre exemple de folie : la folie architecturale ! La maison d’en face possède trois étages et trois escaliers séparés : un rouge en tomettes sur le devant du bâtiment conduit à la terrasse de bois du premier. Le second en marbre, sur le côté au second, le troisième, strictement parallèle au précédent et vertigineux avec une soixantaine de marches sans un palier, arrive à la terrasse grise…

Nous inspirant du Circuit des Ravins d’Argile du Guide Vert (115 km au départ de Piscicci), nous improvisons une excursion plus courte. En quittant Metaponto en direction de Pisticci nous faisons le détour par Bernalda, espérant encore trouver un office de tourisme avec des brochures ou des cartes.

Bernalda, est perchée comme il se doit sur une colline son château-fort et le clocher pointu qui lui fait face, dépassent. La petite ville se réveille, nous pouvons tranquillement traverser le centre et le centre historique, et parvenir sur la Place San Bernardino où château et église se font face. Le château bâti au 15ème siècle, réaménagé au 16ème garde une silhouette médiévale. Il est fermé tout comme l’église. A un coin de la place, un restaurant est installé dans une maison au toit voûté recouvert de tuile avec une façade blanche aux arcs marqués de briques. Construction originale que je n‘avais jamais vue ais que nous allons retrouver toute la journée dans la région.

Googlemaps situe Proloco (office de tourisme) sur le Corso Italia à 150 m, une dame qui balayait devant sa porte corrige : Proloco est maintenant à l’école secondaire rue Anachréonte. Cette toponymie me rappelle que nous sommes bien en Grande Grèce. Proloco est à l’intérieur de l’établissement scolaire. J’entre, on me prend pour le metteur en scène d’un spectacle et on m’ouvre la réserve des costumes ; Quel quiproquo ! Les deux jeunes qui officient au bureau de tourisme n’ont jamais vu de touristes. Ils sont très serviables et recherchent sur Google tout ce qui pourrait me servi, mais ils ne disposent ni de cares ni de brochures.

Pisticci est également perchée, toute blanche. Elle couronne la colline. Une tour ronde et des coupoles se détachent. Les collines argileuses ravinées par l’érosion sont pittoresques. Déception : un tunnel long d’1.4 km tout en courbes, nous cachera l’arrivée et la traversée des « badlands » . suivant l’indication « centro storico » la voiture monte aussi haut que possible sur une place devant une église de brique construite dans les années mussoliniennes.

De là, un parcours touristique conduit vers le Dirupo : quartier construit à la suite du glissement de terrain causé par le séisme de 1688 qui a entraîné la destruction de tout le centre historique. Maisons blanches accolées les unes aux autres. Escaliers, labyrinthe, dans lesquels je perds le sens de l’orientation. Alors que je photographie une pompe et un puits, une femme jeune en robe noire à pois blancs m’interpelle : – »d’où viens-tu ? tu aimes Pisticci ? ». Pour le plaisir de la promenade touristique on a placé des plaques en majolique avec des poèmes. Rues en pente, escaliers, tournants impromptus, il faut de bonnes jambes pour se promener dans cette ville blanche. Je parviens enfin à la Chiesa Madre au sommet de la ville, elle est ouverte et bien fraîche.

La route de Craco est étroite et tortille dans les collines argileuses. Sur les versants érodées et nues, il ne pousse rien. Dans le creux des vallées les champs d’artichauts sont bien desséchés, sur les pentes des oliviers et quand la surface ondule à peine, le tapis du blé a déjà été moissonné.

Craco se voit de loin avec sa tour carrée, et décalée un peu plus bas, la coupole d’un monastère. Quand on s’approche, le village prend un aspect étrange. Un scalpel géologique a tranché les maisons, les caves béantes. Quelques kilomètres avant Craco, dans un creux, le village de Craco- Pescheria rassemble de mornes HLM dignes des pires quartiers des pays baltes, de Roumanie ou de Bulgarie. C’est ici qu’on trouvé refuge les habitants de Craco après l’évacuation du village en 1963.

Le village de Craco est saisissant. On ne visite le village qu’accompagné et protégé par un casque de chantier. J’ai de la chance : la visite est à 13 h, une petite demi-heure à attendre à côté du camion de panini sous le grand parasol où sont installées des tables bleues. Grande convivialité de tout ceux qui attendent également. Le patron accueille magistralement les touristes : pour nous c’est la Marseillaise, les Italiens éclatent de rire, ils ont eu droit à l’hymne belge, puis un rock endiablé une dame en barboteuse blanche se trémousse. Les panini sentent bon. Le guide arrive, il nous coiffe d’abord de casques de chantier puis raconte le village. D’habitude je prends des notes. Impossible, il parle très vite et d’abondance, je ne peux pas à la fois, écouter, prendre des photos, trouver la traduction française et écrire.

Craco fut fortifié par les Normands au 11ème siècle, c’était un avant-poste, le village de Tursi était musulman comme le rappelle son ancien quartier La Rabata. L’éperon rocheux sur lequel s’accrochait le village est formé de conglomérat et d’argile, cette structure géologique hétérogène sur une faille tectonique a scellé le sort du village qui s’est effondré par des éboulements successif. Ce phénomène n’est pas rare dans la région, Pisticci a préféré reconstruire les quartiers effondrés en 1688. Pour limiter les glissements de terrain, on a essayé de construire une sorte de digue en béton censée retenir l’argile, puis une seconde pour renforcer. Cela a eu la désastreuse conséquence d’empêcher le drainage naturel des eaux de ruissellement. Non seulement cela n’a rien retenu, mais cela a accéléré le glissement.
On entre dans le village par la rue Cavour, dallée de belle pierre, bordée autrefois de belles maisons dont les façades sont intactes, puis, plus rien. Tout un quartier a disparu. Des moutons bien tondus trois ânes paissent tranquillement ; un berger s’est installé ici, et, malgré l’interdiction refuse de partir.
Certaines façades béantes laisse voir les pièces ouverte à tous les vents ; souvent les plafonds étaient peints en bleu ; Cette coutume répandue dans le bassin méditerranéen aurait la vertu de combattre les insectes ; Le paludisme sévissait encore en Basilicate au temps du Christ s’est arrêté à Eboli . la peinture bleue contenait des traces d’arsenic pouvait être insecticide d’autant plus que les insectes leurrés par la couleur imitant celle du ciel allaient s’y poser et s’empoisonner.
Malaria, peste, séismes rien n’a épargné Craco !
Le décor tragique a séduit bien des cinéastes : Francesco Rosi pour Le Christ s’est arrêté à Eboli (1979), La Lupa (1953, d’après le roman de Giovanni Verga (1880) bien connu de mes compagnons de visite que je devrais bien chercher à mon retour. La Passion du Christ de Mel Gibson Le guide énumère d’autres films dont le titre italien ne m’évoque rien.
Les maisons du village sont cadenassées seules quelques-unes sont visibles. On découvre alors que même les étables avaient le plafond bleu, pour le confort des animaux, peut-être ou peut être les gens logeaient-ils avec leurs animaux ? Au milieu du quartier, à un angle, un poulailler occupait le rez de chaussée tandis que le propriétaire était moins grandement logé que ses volailles. Une toute petite construction de la taille d’un placard, collée au poulailler principal était occupée par un petit poulailler ouvert sur la rue à la disposition des indigents. Solidarité de quartier ! Les pauvres venaient-ils ramasser les œufs ou mangeaient-ils les poulets ? L’histoire ne le dit pas.

L’église possédait une petite coupole byzantine. C’est à l’époque des Normands que l’église orthodoxe et l’église catholique romaine se sont séparées par le Grand Schisme (1054) . Les byzantins occupaient la région avant les Normands. Cette architecture témoigne du passage du rite byzantin au rite latin et les hésitations au cours du 11ème . Le clocher de l’église latine est coiffé d’un petit bulbe de majolique brillante où poussent les herbes.
Un Palazzo qui a encore gardé des balcons et des fresques qu’on devine de l’extérieur occupe deux côtés de la place de l’église.
Nous montons à la Tour normande, propriété primée, défense d’entrer. Elle faisait office de château d’eau, les installations de plomberie sont encore visibles.
Montalbano
L’intérêt de ce village perché réside plutôt dans sa position au-dessus des ravines que dans le bourg, cerné par des constructions modernes. Il y a bien un quartier historique où l’on pénètre en passant sous le porche, entrée du Castillo. Mais nous sommes blasées après les visites de la journée. Le belvédère, d’où part une promenade longeant les remparts nous offre la vue la plus spectaculaire sur ces terres ravinées. La promenade est fleurie de plantes méditerranéennes : lavande, santoline de Corse, romarin, thym qui embaument.
Nous terminons le circuit par une baignade à la Marina di Pisticci. Plus de cohue dominicale. Parasols et lits sont repliés. Le sable blanc est dégagé. Me voici réconciliée avec la côte ionienne. Les bouées sont même assez loin pour me donner un cap.
Via Catania, Tanio, avec ses grands parents ne fait plus de caprices bruyants. La soirée est calme et presque fraîche.