GUADELOUPE
C’est une veillée funéraire, sans famille éplorée ni pleureuses. Pendant que les femmes prient, les hommes boivent du rhum. Au cours de la nuit les voisins, habitants de Rivière au sel racontent :
« Qu’est-ce que les gens racontent sur Francis Sancher ? Il m’a regardée et ses yeux me brûlaient : — Il
t’intéresse ? — Est-ce qu’il n’intéresse pas tout le monde ici ? — Les gens disent que c’est un Cubain. Quand Fidel a ouvert les portes du pays, il est parti. »
Francis Sancher est vient de Cuba, a parcouru l’Afrique. Il a débarqué à la propriété Alexis, lieu abandonné, peut-être hanté, il ne cherche pas à se lier avec ses voisins, exerce une certaine fascination surtout sur les femmes.
Roman choral. Chacun livre sa version de l’histoire de Francis Sancher, et en même temps, se raconte. Diverses personnalités composent cette société métissée. Aussi bien, le propriétaire de la pépinière qui a l’ambition d’exporter ses fleurs jusqu’à la cour de la Reine d’Angleterre, Sylvestre le « zindien », Léocadie l’institutrice, Désinor le travailleur haïtien exploité qui rêvait de New York, Cyrille le conteur, Sonny le demeuré, Xantippe l’homme des bois, le sauvage, aussi bien que les intellectuels Emile Etienne l’historien, Lucien, le révolutionnaire….Les femmes souvent mariées très jeunes, femmes délaissées ou mères déçues, secrètement (ou pas) amoureuses de Francis Sancher. On devine de lourds secrets de famille. l’histoire et la politique affleurent dans les récits.
« Car dans la Guadeloupe d’aujourd’hui, ce qui comptait, ce n’était plus la couleur de la peau, enfin plus seulement, ni l’instruction. C’étaient nos pères qui s’échinaient pour pouvoir coller sur leurs cloisons des
diplômes de papier sur lesquels chiaient les mouches. À présent, les bacheliers, brodeurs de français-français,
assis sur le pas de leurs portes, attendaient leurs chèques de l’A.N.P.E. Non, ce qui comptait, c’était l’argent et elle, Vilma, en aurait à revendre. »
Il en résulte un livre passionnant, riche, qui soulève différents thèmes : le racisme toujours présent même si les sangs sont mêlés et les couleurs de peau nuancées, la lutte des classes, déclassement de l’ancien béké qui s’est allié à une femme noire, zindiens parvenus, allers et retours en métropole, en Afrique, négritude ou créolisation?
Et décor naturel luxuriant aux flancs du volcan, cultures de canne ou de bananes….
« À quoi ressemblait son île avant que l’avidité et le goût du lucre des colons ne la mettent à l’encan ? Au
Paradis que décrivait son livre de catéchisme. »[…]
Hélas, à présent la forêt était une cathédrale saccagée. Il fallait se contenter de piètres prises…[…]
A mille mètres d’altitude, la forêt de Guadeloupe se rabougrit. Disparus, les châtaigniers grande feuille, les
acomats boucan, les cachimans montagne, les bois rouge carapate. C’est le royaume des côtelettes aux feuilles gaufrées d’un vert noirâtre qui ne s’élèvent guère au-dessus de deux mètres du sol. La terre se couvre de broméliacées aux fleurs violettes et sans parfum, d’orchidées blanches striées de veinules couleur robe d’évêque.
Un véritable coup de cœur pour le style inimitable de l’écrivaine!

« On ne traverse pas la mangrove. On s’empale sur les racines des palétuviers. On s’enterre et on étouffe dans la boue saumâtre. »
Te voilà sur place maintenant ; est-ce que c’est un premier voyage ?
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!@Aifelle : c’est une découverte. Premier voyage et dépaysement ! Arrivée splendide avec le survol de la mangrove
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Ah oui bien sûr, Maryse Condé, pour la Guadeloupe ! Une auteure que j’aime beaucoup, mais je connais pas ce titre, que je note.
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