CARNET TUNISIEN DE DJERBA AU GRAND SUD

Il y a plus de trente ans Bourguiba a construit des villages modernes en ciment dans la plaine équipés de l’eau courante et de l’électricité : Matmata nouvelle et Zeraoua nouvelle. Les habitants de l’ancienne Matmata sont restés au village tandis que tous ceux de Zeraoua l’ont abandonné – sauf une vieille dame que nous allons visiter.
La Nouvelle Zeraoua est un gros bourg de maisons basses derrière de longs murs blancs percés de portes métalliques bleues. Des signes berbères ornent les murs. Partout le nom « Azro » figure : café Azro, Association Azro. Un enfant dit que c’est le nom du village. Un adulte précise que c’est le nom berbère et que cela signifie « voir de loin ». Le nouveau village est à 15km de l’ancien où les paysans cultivent leurs terres depuis toujours. Une piste relie les deux villages.

En route Majdi nous montre les citernes de pierre maçonnées pour irriguer les cultures. Chaque paysan construit la sienne, le gouvernement subventionne à la hauteur de 70%. Elles sont alimentées par des forages et l’eau de pluie – mais il pleut si peu – Les vergers sont arrosés au goutte à goutte. Les villageois mettent en œuvre une énergie folle pour retenir l’eau qui s’écoule de la montagne en construisant des levées de terre et des barrages de pierres. A l’arrière de ces ouvrages soigneusement réalisés, des oasis de verdure prospèrent dans la montagne aride, trois ou cinq palmiers, autant d’oliviers, parfois un seul vénérable. Le travail est énorme, le résultat dérisoire. Monuments à la gloire de la patience villageoise. Les cultivateurs ont aussi développé des techniques de conservation de la nourriture adapté à leur isolement : viande confite dans l’huile, dattes….

Un oiseau noir vient se percher sur un rocher. Le dessous de sa queue est blanc. Il a plu il y a deux semaines et le désert fleurit : un bouquet d’ombelles blanches ressemblant aux fleurs de carottes portées par des tiges vert intense très dures, j’en brise une extrémité : c’est du fenouil sauvage. Il ne mesure qu’une quarantaine de cm. De minuscules crucifères jaunes, mini-moutarde sauvage ? Des buissons épineux sont aussi fleuris. Je remarque un buisson de lavande ne portant qu’une seule fleur au parfum intense. Plus loin, un buisson aux grosses feuilles arrondies et charnues porte des fleurs violettes.

Zeraoua est perché sur un épaulement rocheux. Ses maisons de pierres se confondent avec la montagne. Seul le minaret et un marabout ont été chaulés et sur détachent sur le ciel bleu intense. Le village est désert, abandonné depuis 30 ans, il manque seulement la toiture de bois de palmier et de roseaux.

Comme les pluies sont rares, même sans toit, les maisons sont intactes. Les arcades et les niches sont photogéniques. Certaines portes ont gardé leur peinture bleue, parfois fermées par une branche. Les anciens habitants remontent du nouveau village. On y a tourné récemment un film : L’Or noir de Jean-Jacques Annaud avec Antonio Banderas. L’équipe de tournage a retapé certaines maisons, cimenté des marches et laissé des sacs de ciment pour une restauration éventuelle. La mosquée est impeccable avec ses tapis, ses corans ; seule la pendule est arrêté il faudrait changer la pile.

Une dame de 83 ans a refusé de descendre. Majdi et Maissa ont acheté des légumes frais, oignons, poivrons, tomates et deux bottes de carottes ainsi que du pain frais. La maison est fermée. Sur le mur de la maison d’en face dépassent deux clous sur lesquels sont suspendus un chapeau et un panier. D’autres clous libres permettent d’y suspendre les courses.
. Sur le sommet de la colline d’en face, plus loin que les ruines de l’ancienne école, on devine les silhouettes mouvantes des chèvres et des brebis. La dame est occupée avec son troupeau. Majdi l’appelle, les voix portent loin dans le désert. Elle porte un habit bleu gansé de rouge sur un autre rose à bandes noires. Soin front est ceint d’un bandeau rose et son fichu est beige. Elle est frêle et ridée tatouée ses cheveux portent des traces de henné, elle est coquette avec sa robe traditionnelle faite de deux morceaux de tissus retenus par des fibules et une ceinture.
Elle nous embrasse, elle m’a prise pour Isabelle, la mère de Maissa, qui a « découvert » le village. pour remercier des provisions du marché elle sort six œufs blancs « ce ne sont pas ceux du magasin » insiste-t-elle et tire de sa réserve une bouteille glacée de lait de chèvre fermenté – délicieux. Elle apporte l’ordonnance de ses médicaments que Maissa photographie avec son téléphone. On discute des élections. Avec ses panneaux solaires et sa parabole, elle suit l’actualité à la télévision. Comment la prévenir des visites ? la dame réagit vivement, « qui n’a pas de téléphone de nos jours ! » et elle sort son Nokia pour qu’on enregistre le numéro. Son âne est blessé, il ne peut plus descendre au village. Peut être la piste caillouteuse est plus adaptée pour l’âne que pour la voiture






























