
A 18 km de Sihanoukville, sur la route de Kâmpôt, après les usines et les vergers, il reste encore une mangrove protégée par un Parc National : la Réserve Ream. Le Roi Sihanouk revenu sur le trône en 1991 après son exil en Chine, a créé cette réserve en 1993. Il a aussi favorisé l’installation de l’aéroport ; la Route Nationale 4 qui permet aux camions de livrer les marchandises du port à la capitale, date du temps des Américains. Le port est le seul port international du Cambodge mais il est peu profond. Les gros bateaux doivent être relayés par des plus petits. Draguer le port apparait impossible en raison des risques d’affaissement de la côte. Le sol est sableux et peu compact.
Un chemin de planches conduit au débarcadère ; dans une cabane, des panneaux sur la faune de la Réserve. Pour que nous ne soyons pas trop déçues, Khem nous a prévenues : les oiseaux sont en voie de disparition, nous ne les verrons pas, ni les tortues décimées pour leur chair, braconnées et vendues très cher. Il nous laisse quelques espoirs pour les dauphins mais nous promet le pique-nique sur une île vierge.
Notre embarcation est la même que pour l’île du Lapin : une grande barque de pêcheur, turquoise à l’extérieur orange dedans avec un auvent et un moteur. Le chenal est très large. Nous remarquons les flotteurs attachés aux filets et aux casiers des pêcheurs. Pas étonnant qu’on ne voit pas de dauphine : les filets encombrent toute la voie d’eau ! Nous observons les pêcheurs au travail ; ils sont vraiment très nombreux. C’est loin d’être une réserve intégrale ! Ca et là, une maison est cachée.
– « abri temporaire » commente notre guide.
Il faut se rendre à l’évidence : la Réserve est bien habitée. Les maisons ont des citernes pour recueillir l’eau de pluie, des plantes décoratives dans de grosses potiches. La mangrove a été défrichée. On a planté des cocotiers et on cultive de petits jardins. On laisse les gens s’installer, pêcher. Ensuite ils vendent la terre aux promoteurs. Déjà une guest-house rudimentaire, au bout du chenal accueille ceux qui veulent jouer aux aventuriers et guetter les dauphins au crépuscule et à l’aube. Ils se montreront peut être ? Nous avons vu quatre de ces pionniers équipés de leurs moustiquaires et de provisions de bouche (inutile on sert de la nourriture sur place).
La promenade en barque dure près de deux heures. Passant sous les palétuviers nous avons dérangé un martin-pêcheur et admiré quelques aigrettes. Par deux fois, un aigle-pêcheur a plané non loin de nous. Avec mes jumelles j’ai pu l’observer avec précision, impressionnée. C’est la deuxième fois. La première fois dans le Delta du Danube le pygargue était perché, immobile. J’aime ces moments tranquilles sur l’eau où il fait frais même par une chaude journée. L’esprit vagabonde pourtant, je reste aux aguets pour ne rien rater du spectacle.

Nous abordons tout près de la mer prés d’un groupe de maisons devant une plage de sable avec des cocotiers. De gros rochers de grès semblent jetés là. A l’arrière, une colline couverte de jungle. C’est là que doit se dérouler notre « expédition », court trek d’une demi-heure. Escortée par un gardien de la Réserve en uniforme beige et chapeau de ranger, de Khem et du chauffeur, je n’ai rien à craindre des reptiles ! L’escorte avance trop vite à mon goût. Je n’ai pas le temps de photographier les impatiens mauves et les buffles des villageois. Nous grimpons à marche forcée. Au bout de 10 minutes je proteste :
– « marcher vite ne me pose aucun problème, mais je n’ai pas le temps de rien voir ! »
Khem ralentit l’allure et je peux observer le travail des termites, leur haute termitière et les fins parcours le long de l’écorce des arbres vivants ;
Nous traversons un vaste couloir «pour les voitures » m’assure-ton. Pour les grumes des beaux arbres, je pense à part moi. D’ailleurs, d’où sortiraient des voitures sur une « île vierge » ? Nous atteignons une clairière fraîchement déboisée. Khem prend des photos avec son téléphone
– « quand je reviendrai il y aura un hôtel financé par les Chinois ! »

C’est la dernière mangrove de Sihanoukville et peut être la dernière du Cambodge. Elle est bien en danger. Cet écosystème est pourtant essentiel. C’est ici que les poissons frayent, que les crevettes et les crabes vivent. Refuge des oiseaux, singes et tortues. C’est aussi la mangrove qui peut éponger les boues, retenir les limons à la saison des pluies. Sans parler de l’élévation du niveau de la mer à elle jouerait un rôle protecteur. Tout cela est sacrifié au développement du tourisme de masse qui défigure tout, pollue. Khem est conscient de la destruction des richesses que constituent la faune et la flore. Mais il est fataliste et ne voit aucun moyen d’enrayer cette évolution. L’autorité de l’Etat ne semble pas être mise au service de la Conservation de la Nature. Il n’y a pas si longtemps, les Khmers rouges tuaient els dauphines pour faire du carburant avec leur graisse. Un cheminement de planches descend vers l’autre côté de la colline. L’arrivée sur la mer est un spectacle merveilleux. Une plage de sable blanc immaculé, de l’eau turquoise, des cocotiers, casuarinas de des « joncs du Mekong » qui ressemblent à des yuccas qui auraient des feuilles molles.
Dommage que j’aie laissé mon maillot au débarcadère cela aurait été une baignade mémorable, il n’y aura que des regrets. Je me contente de marcher dans l’écume à la lisière de la vague. Après m’êrtre rassasiée les yeux de cette plage paradisiaque – une plage rien qu’à moi ! – nous prenons le chemin du retour pour croiser deux caravanes de touristes ; Je ne regrette pas ce retour, j’emporterai des images de plage vierge.
Le pique-nique est succinct. Khem a cru nous faire plaisir avec des sandwiches pain, salade, tomate et porc en lamelles randis que je louche sur son riz avec envie.
A défaut de baignade sur la plage déserte, j’essaie de nager dans le chenal qui est vraiment peu profond et un peu boueux.
Dernière attraction : « promenade » dans la mangrove. Un chemin de planches d’environ 50m conduit à un mirador. La mer est basse. J’essaie de trouver des crabes. Ils sont bien cachés ! La tour domine la canopée. Certains arbres portent des fruits ronds avec une épaisse peau vernissée.
Dans la barque du retour nous bavardons avec Khem. En plus d’être guide, il est informaticien. On parle piratage – Hadopi le fait sourire. D’après lui, changer une adresse IP est un jeu d’enfant. Télécharger un film en plusieurs épisodes avec une adresse IP différente permet de contourner le dispositif. C’est un garçon sérieux, très consciencieux qui paraît très honnête mais il ne voit aucun mal à télécharger un film ou de la musique et de même pour les vêtements contrefaits qu’il appelle copiés.
Nous retournons à « nos » lits de plage sous « notre arbre » et le soir à « notre restaurant » le Sea Dragon fried rice with shrimps. Nous avons vite fait de prendre des habitudes