Asta – Jon Kalman Stefànsson – Asta

LIRE POUR L’ISLANDE

Asta, à une lettre près signifie amour en Islandais.

Attendons-nous à un roman d’amour! Dans les contes, et dans les romans d’amour il y a souvent une princesse (ou une bergère) un prince charmant (ou un valeureux amoureux), un coup de foudre et de nombreuses péripéties. Les histoires d’amour finissent mal, dit la chanson.

Pour Jon Kalman Stefansson, il peut y avoir plusieurs amours, et tous aussi passionnés et passionnants, plusieurs amoureuses pour un héros et plusieurs amoureux pour la même femme, l’un après l’autres, ou parfois ensemble. Cela complique l’histoire d’amour.

Un homme et une femme, du sexe, et éventuellement des enfants formant une famille. Dans les romans d’amours ordinaires.

Pour Jon Kalman Stefansson,existent des amours passionnés entre sœurs, frères, enfant et nourrice,  parfois des trahisons. L’amour maternel ne va pas de soi : Helga abandonne ses filles, et plus tard Asta laissera sa fille à son père et à sa belle-mère. L’amour filial non plus ne va pas de soi.

Et tous ces amours vont se dérouler pendant un demi-siècle dans le plus grand désordre chronologique. Au lecteur le soin d’être très attentif et de remettre de l’ordre dans toutes les confidences qui le submergent comme les vagues de l’océan qui refluent et se déferlent.

Au lecteur, d’attribuer les récits aux nombreux narrateurs, à Sigvaldi, tombé d’une échelle qui voit sa vie défiler alors qu’il est étendu sur le trottoir et qui la raconte à une passante, à Asta qui écrit des lettres, à l’écrivain qui a loué un chalet perdu dans un fjord de l’ouest pour rédiger son roman….au poète, frère de Sigvaldi qui rédige son autobiographie….

Rien ne se déroule comme prévu dans la quête de bonheur et d’amour. Le lecteur est embarqué dans un roman étrange, poétique qui foisonne d’amours.

Amours et littérature. Amour et poésie. L’univers d’Asta est à la fois exotique(avec neige, aurores boréales, fjords sauvages), et familier, j’aime entendre Leonard Cohen, ou Nina, il m’a fait découvrir un poème de Brecht « à ceux qui viendront après nous » et un de Cavafy 3 décembre et donné envie de lire d’autres auteurs islandais.

Un passage m’a amusée :

L’idée est ridicule. Totalement loufoque. On veut me transformer en macareux moine. En peluche pour touristes? En boutique de souvenir. En sommes-nous arrivés là, la littérature a-t-elle été repoussée dans ce périmètre, ferait-elle partie désormais du divertissement, de l’industrie? Un écrivain islandais est un macareux moine. Un jacuzzi alimenté par des sources chauds. un écrivain islandais est une aurore boréale. De l’air pur, une nature préservée. Un écrivain islandais est un produit destiné à la vente »

Laissez-vous embarquer!

La sagesse des fous – Einar Kararason

LIRE POUR L’ISLANDE

 

Deux mois après notre retour, je continue l’exploration de l’Islande littéraire et je n’ai pas épuisé les ressources de la Médiathèque. Moins recommandé par les blogs de ma connaissance, je pars défricher des auteurs moins connus. 

J’ai passé un agréable moment avec les membres de la famille Killian, si nombreuse qu’on la qualifierait facilement de « tribu » tant ils sont nombreux, les enfants et petits enfants de Sigfus  « Fusi la récup », les voisins, conjoints…Une bande d’originaux et de débrouillards.

Au début, en 1924, le célèbre poète Einar Benediktsson fonde une compagnie minière sur le terrain aurifère de Laekjarbakki et charge Sigfus de l’exploitation. D’or, ils n’en extraira pas,  il fera du terrain en un casse automobile. Sa nombreuse famille grandira dans les pièces de voiture. Sigfus junior prendra la succession de son père tandis que frères et soeurs connaîtront des destinées très différentes : champion sportif et banquier, psychiatre ou aliéné, Lara épousera un ecclésiastique, Hrodny un marin pêcheur, Bardur, vivra d’expédients les plus variés entre combines et beuveries avec des compères aussi allumés.

La troisième génération, les petits enfants de Fusi la Récup, formera une cousinade originale.

Certains épisodes sont franchement drôles,  certains plus amers. Le roman se déroule à petite vitesse, le temps de dérouler les anecdotes les plus folles. j’ai adoré le sauvetage d’un navire échoué sur des rochers.

Une vision originale de la société islandaise, assez ouverte pour que dans une même famille on fasse le grand écart entre la grande bourgeoisie et ceux qui sont presque clochardisés.

 

D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds -Jon Kalman Stefànsson

LIRE POUR L’ISLANDE

 

J’ai découvert l’auteur, Jon Kalman Stefànsson avec Le coeur de l’homme qui m’avait éblouie par la poésie, l’évocation de l’Islande des fjords de l’Est autrefois, la neige. J’ai donc téléchargé D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds impatiente de retrouver le style poétique, la neige…

D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds est une saga familiale (attention en Islande, le mot saga a un sens bien précis, une saga est un texte médiéval racontant la colonisation de l’Islande par les vikings, il convient de préciser donc que cette ‘ »saga familiale » n’a rien en commun avec les sagas traditionnelles. L’histoire se déroule sur 4 générations à Nordfjördur – jadis et à Keflavik – aujourd’hui ou en 1980. 

Ari, après la séparation d’avec sa femme s’exile à Copenhague où il exerce la fonction d’éditeur. Le roman s’ouvre avec son retour à Keflavik où il a passé sa vie depuis son adolescence. Il retrouve les lieux de sa jeunesse. Sa vie, et son histoire familiale,  se déroulent en courtes séquences, flash-backs ou récits transmis à travers les générations.

Tous les touristes arrivent à l’aéroport de Keflavik. Mais une route rapide à 4 voies conduit à Reykjavik sans s’attarder dans la petite ville de Keflavik.

« Keflavik a trois point cardinaux :

Le vent, la mer et l’éternité »

Un peu plus loin l’auteur note

« L’Islande est une terre âpre, lit-on quelque part, à peine habitable, les mauvaises années. L’affirmation doit être juste. Les montagnes colériques hébergent la mort en leur sein, le vent est impitoyable, le froid glacial et désespérant. Une terre âpre où les Islandais ont été par deux fois, pour ainsi dire rayés de la carte par les famines, les épidémies, les éruptions, et dont Keflavik est sans doute la zone la plus hostile ».

Jusqu’aux années 80, Keflavik était animée par une grande base américaine et des industries alimentaires de conditionnement du poisson. Depuis, les Américains sont partis et la ville a perdu ses quotas de pêche.

Les histoires qui se déroulent dans le Nordfjördur racontent la vie traditionnelle des pêcheurs, et familles de pêcheurs.

Souvenez-vous tout comme nous : l’océan est plus vaste que le quotidien

En mer, l’homme se repose. Cet espace ouvert, cette immensité qui dépasse l’entendement vous calme, vous console, et vous permet d’envisager les problèmes avec la distance nécessaire. Les difficultés qu’on connaît à terre, l’usure, les agacements, les relations, les obligations : il suffit de porter son regard sur les vagues pour que les aspérités de l’existence s’aplanissent. Puis le vent se lève, bientôt les vagues surplombent le bateau, plus haut, toujours plus haut, les creux sont si vertigineux que les membres de l’équipage verraient presque le fond de l’océan qui semblé s’élever vers la surface pour venir les y chercher? L’humidité permanente, le labeur incessant, le travail qui consiste à remonter le poisson et le vider par tous les temps, soleil et chaleur, ,neige et froid glacial. Etre marin, c’est être libre. Mais cette liberté-là vous interdit de vous en remettre à personne, et surtout pas à vos propres prières, car la douceur du monde est demeurée à terre. Vous ne pouvez avoir confiance qu’en vous-même.

Voilà pourquoi,la mer fait de nous des hommes. »

 

Après cette conclusion, on pourrait y voir une ode à la virilité.  C’est beaucoup plus compliqué. Les femmes ont un rôle important et la fin est même un manifeste féministe.

Mais pourquoi un titre pareil? J’ai cru trouver la réponse page 397

« les poissons n’ont pas de pieds et quelqu’un qui s’avance vers la mer, ce qui n’est pas de bon augure…

mais je n’ai pas trop compris cette expression, le titre restera pour moi une énigme.

Si je n’ai pas été éblouie comme pour le Coeur de l’homme, j’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture qui s’est inscrite dans la suite de lectures islandaises.

 

Ensemble séparés/ Tanglewood – Dermot Bolger

LIRE POUR L’IRLANDE

tangelwood

Oubliez le folklore, l’Irlande rurale avec ses vaches et ses moutons, ses pubs de campagne, les feu de tourbe….

Oubliez : « L’histoire de  ce pays se résumait aux anciennes querelles sporadiques que de vieux barbus ressassaient dans les pubs, escarmouches engagées dans des bureaux de poste et tirs visant lâchement les crânes des policiers ne se doutant de rien comme si ces minables assassinats avaient été des batailles devant l’intéresser. Les buveurs irlandais se délecter de révéler ces pépites de leur récit national, semblables aux petits enfants qui montrent les crottes dans leur pot de chambre »….

C’est un roman contemporain (il sort pour la rentrée littéraire 2016, l’action se déroule de 2007 à 2009). Roman urbain, ou plutôt de la banlieue chic de Dublin, là où le terrain vaut de l’or et où on se doit d’avoir sa maison. D’ailleurs, c’est le sujet du livre : la spéculation immobilière et la bulle immobilière pendant les années précédant l’explosion de cette bulle, en 2008 quand l’Irlande était le « tigre celtique » et que les Irlandais pensaient qu’il était facile de s’enrichir.

Il sera beaucoup question de maisons, de celles qu’on achète dans des ventes au enchères survoltées, véritables joutes où l’enjeu est plus une affirmation de virilité qu’un projet de logement. Maisons que l’on construit, au mépris des règlements de l’inspection du travail. Demeures anciennes que l’on brûle, faute de pouvoir les démolir pour construire des immeubles moderne. Crédits, dettes, emprunts qui gonflent la fameuse bulle spéculative. Vertiges, la chute en sera plus dure.

Roman choral, construction habile, récit de Ronan, Chris, deux amis d’école, Alice, la femme de Chris et Sophie leur fille. Histoire de quinquagénaires, à l’approche de la ménopause pour Alice, et de la difficulté de bander pour Ronan et Chris. Histoire de couples qui s’enlisent, de virilité mal placée :

« Combien de secrets fallait-il détenir pour devenir un vrai mec. quels autres tests de virilité fallait-il passer? Savoir contourner les règles, tricher sur ses impôts, ruser avec les représentants de la loi, gérer des affaires et – le plus important – atteindre un niveau d’amnésie où vous vous absolviez de tous vos péchés antérieurs?

Cet aspect du roman  m’a un peu agacée, dans leur banlieue chic, les personnages font un peu « série télévisée ». Comment le gentil Chris pourra prouver à Alice qu’il a des couilles, tandis que Ronan, le voisin, l’a séduite et abandonnée à 17 ans….Alice qui aime son mari mais ferme à clé la chambre conjugale…

Le personnage d’Alice, complexe, m’a plus intéressée, Alice qui a rêvé du Canada, Alice la fille terne, la bonne fille, la frustrée aussi, mais qui décide de vivre….

Alice introduit le thème de l’émigration. Emigration des Irlandais en Amérique, un classique, mais aussi immigration moderne des travailleurs du bâtiments qui construisent la maison qui doit leur apporter la fortune . En dehors de Jiri, le contremaître, si fiable, si ingénieux, si peu exigeant…Chris et Ronan n’ont guère de relations avec les ouvriers qui viennent chaque jour au fond du jardin. Seule Alice, de sa fenêtre voit en eux des êtres humains. Seule Alice? Non, il y a aussi Kim, la Philippine, la femme de Ronan,  émigrée mais belle, si belle, dont on découvre la personnalité. On retrouve « le plâtrier » mort, au pied de l’échafaudage défectueux. Le « plâtrier » a-t-il un nom? Clandestin, il sera facile de le faire disparaître….mais je ne vais pas vous raconter tout le roman.

C’est l’empathie avec ces travailleurs étrangers qui m’a rendu ce livre sympathique après mon agacement précédent.

Autre qualité qui m’a séduite : l’ironie et l’humour de l’auteur. Humour à la limite du blasphème qui m’a bien amusée :

« Dans l’anonymat du cyberspace, le monde entier se transformait en voisin indiscret; A la place des photos encadrées de pèlerinage diocésain à Lourdes, des orgasmes surjoués… »  quel raccourci! entre les vidéos pornos  que Ronan visionne sur sn ordinateur et les pèlerinages. Le texte est émaillé d’allusions à la culture catholique irlandaise comme cette comparaison hasardeuse entre le Christ et un joueur de rugby.