Les Enfants de la Volga – Gouzel Iakhina

littérature de l’Europe de l’Est

RUSSIE

 

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C’est un gros pavé de 563 pages mais je l’ai dévoré avec grand plaisir.

C’est un roman très riche : il s’ouvre à Gnadenthal un peu avant 1920 dans la communauté allemande de la Volga avec le Schulmeister Bach à la personnalité plutôt insignifiante. Les colons allemands avaient été invités par la Grande Catherine et parlaient un dialecte allemand tandis que le Schulmeister enseigne sans grand succès le Haut Allemand, les poèmes de Goethe.

Trois mythes essentiels ont déterminé la vie des colons allemands depuis l’époque de Catherine la Grande. Le
premier – « le mythe de la terre promise russe » – est né des efforts des agents engagés par l’État russe pour
attirer des étrangers. Épuisés par la guerre de Sept Ans, par la famine et la ruine qui dévastaient l’Europe, les
paysans allemands étaient ravis de croire à l’existence de terres vastes et fertiles qui les attendaient dans la
lointaine Russie.

Aujourd’hui, comme dix et cent ans plus tôt, deux principes opposés se côtoient étonnamment bien dans le cœur du colon : tout d’abord, la volonté de s’ancrer, l’amour des traditions et un incorrigible fatalisme qui le poussent à travailler son champ pendant des décennies, sans se plaindre du destin…

Bach reçoit une curieuse invitation qui le mène de l’autre côté de la Volga  dispenser des leçons à la fille d’un riche paysan. Elle tombe amoureuse de lui, s’enfuit pour le rejoindre. Le bonheur? c’est sans compter sur l’envie, la malveillance des villageois. Le pasteur refuse d’unir les amoureux. La couple scandaleux est banni et passe la Volga pour s’installer dans la ferme du père où ils vivent  en autarcie des légumes du  jardin, des pommes du verger, des poissons du fleuve. Les descriptions de la vie quotidienne, des travaux agricoles, de l’abondance des fruits sont merveilleuses.

Encore une fois, leur bonheur est compromis. Des rôdeurs abusent de Klara que le modeste et maigrichon Bach est incapable de la défendre. Du viol naitra une petite fille Anntche tandis que Klara meurt en couches. Bach s’attache à la petite orpheline qu’il faut nourrir. Pour lui trouver du lait il  retourne à Gnadenthal qu’il retrouve bien changé. Entre temps la Révolution s’est déroulée avec la fuite de nombreux habitants, le début de la collectivisation. Comme il essayait de voler du lait des chèvres du kholkoze, il fait connaissance du camarade Hoffmann venu d’Allemagne pour construire le socialisme.

Hoffmann voulait changer le monde. Non, pas tout ce monde immense et inconnaissable qui s’étendait des deux côtés de la Volga, avec ses mines de charbon insondables qui dévoraient les gens et ses villes pluvieuses aux rues couvertes d’écailles puantes, mais juste le monde minuscule, barré d’un côté par le fleuve, et de l’autre –par le bord des gros champs courtauds du kolkhoze. Un petit monde consistant en quelques hectares de terre, deux douzaines de colons terrifiés, une cinquantaine de chèvres émaciées et deux chameaux grisonnants. Hoffmann voulait changer Gnadenthal.

Il conclut avec lui un curieux marché : il écrit les coutumes du village, les dictons, les coutumes en échange du lait. Sur la demande d’Hoffmann, il  transcrit les contes que Klara lui avait racontés. Finalement  Bach devient un véritable écrivain, invente des contes qui ont un réel succès.

Il était une fois une contrée où les prés semblaient d’émeraude, où les champs de blé brillaient comme l’or, une contrée d’abondance peuplée de bons bergers et de laboureurs paisibles, dont les poètes et les peintres ne
cessaient de chanter la beauté. Au cœur de cette contrée, sur une haute falaise surplombant une vaste rivière,
s’élevait le palais du roi. Et dans ce palais, vivait un roi très puissant. Il était gros comme un tonneau de harengs, chauve comme un pain rond, sa barbe rappelait une poignée de chou fermenté. Ce roi avait une fille aux yeux bleus comme l’eau de la rivière, aux joues douces comme les ailes d’un papillon. Elle n’avait jamais connu sa mère et avait grandi sous la surveillance d’une unique servante – une vieille maigre et sévère, qui passait ses journées à filer sans fin, et si parfois elle ouvrait la bouche, il n’en sortait que des méchancetés…

Ses écrits sont utilisés par Hoffmann pour l’agit-prop, publiés dans le journal local, affichés dans le village.

Par une sorte de magie, les contes se réalisent dans la vie. Ces récits de la vie populaire m’ont énormément plu. L’auteure donne une foultitude de détails ; ses descriptions sont amusantes, vivantes. L’enthousiasme gagne les habitants, ceux qui ont fui reviennent, les récoltes sont miraculeuses, la mécanisation commence avec l’arrivée de tracteurs nains. Bach note l’année 1926 comme l’année des Récoltes inouïes

Ces années fastes ont une fin avec les réquisitions de nourriture, 1927 est celle des Mauvais Pressentiments, 1928 celle du Blé caché, 1933 l’année de la Grande Famine. Le village est à nouveau ruiné, Hoffmann lynché par les paysans. Bach s’enferme à nouveau dans sa ferme de l’autre côté de la Volga, ne retourne plus au village et élève sa fille dans le mutisme.

comme Bach l’avait rêvé, la ferme était comme un grand bateau au milieu de l’océan, qui n’avait plus besoin des rivages.

L’amour muet du père pour sa fille, leur vie commune hors du temps dans la nature est à nouveau troublée par l’arrivée d’un vagabond, un enfant violent, incontrôlable, qui saura se faire apprivoiser et qui deviendra le frère de Anntche. Il lui apprendra à parler. Ce seront eux, les Enfants de la Volga.

Entre le récit de la vie au bord du fleuve, de courts chapitres racontent des épisodes de la vie de Staline, désigné par Il, épisodes cruels, décalés comme sa visite aux Allemands de la Volga de la République. Ces chapitres qui n’ont aucune incidence directe sur l’histoire de Bach rappellent le contexte de l’Union soviétique de l’époque.

Lecture comme un roman historique si on se réfère au calendrier de Bach. Roman d’amour, amour fou de Bach pour Klara et amour paternel exclusif pour Anntche. Contes populaires. Amour de l’écriture. Vie dans la nature et leçons d’horticulture. Comment cultiver, conserver les aliments; entretenir une isba, vivre en autarcie. Livre du fleuve avec ses mythes…Ce livre est très riche si on additionne tous ces aspects.

Un coup de cœur!

 

 

Auteur : Miriam Panigel

professeur, voyageuse, blogueuse, et bien sûr grande lectrice

8 réflexions sur « Les Enfants de la Volga – Gouzel Iakhina »

  1. Je l’ai beaucoup aimé mais j’ai préféré Zouleikha, qui conserve le côté conte, sans la magie et les rêves. De façon générale, l’imbrication entre la grande histoire qui broie et les petits destins individuels qui trouvent leur place est très réussie.

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  2. Après « Zouleikha », j’ai l’intention de lire celui-ci. J’ai aimé l’écriture de l’autrice et ses histoires sont denses.

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