Un meurtre à Jerusalem – Arnold Zweig

JERUSALEM 1929

« El Kouds », dit l’Arabe portant la main au front;

Le Grec cherchant le Christ, « Hyerosolyma » ;

« Yerouchalaïm » te nommons nous, fils prodigues de Sem ;

mais les jeunes peuples te saluent, ceinte d tes remparts,

D’un rayonnant « Jerusalem »

Arnold Zweig (1887-1968) en butte à l’antisémitisme du Reich émigra en Palestine dans les années 1930.  Après la  Seconde guerre mondiale il préféra construire le socialisme en RDA où il fut un écrivain reconnu.

Le sort s’est acharné sur son ouvrage Un Meurtre à Jérusalem écrit à Jérusalem, : publié en Allemagne en décembre 1932, il fut saisi dès avril 1933 pour être brûlé et passa donc inaperçu à sa parution. Ce n’est qu’en 1956, en RDA qu’il fut réédité mais défiguré par la censure communiste. Il ne put être publié dans son intégralité qu’en 1994. C’est pourtant un livre remarquable qui mérite de sortir de l’inconnu.

Roman policier comme le suggère le titre?  Certes, il y a une victime, le poète De Vriendt, qui a abandonné le sionisme pour l’orthodoxie. Il y a un policier, Irmin, des services secrets de sa Majesté, qui cherchera le coupable par devoir et aussi par amitié.

Roman historique :  le meurtre a lieu à la veille des émeutes en Palestine 1929 qui ont fait 133 victimes juives et 110 arabes.

Jaffa street during the 1929 disturbances

Roman politique : toutes les composantes de la politique sont ici analysées avec beaucoup de précision.

 Les britanniques  ont Mandat sur la Palestine, et  maintiennent l’ordre avec un minimum de troupes, jouant des rivalités entre juifs et arabes., n’intervenant que fort peu dans les émeutes pour protéger les Juifs.

On assiste à la réunion des cheikhs et des dignitaires arabes, véritable tableau. Les fellahs dépossédés  bien par les propriétaires terriens qui vendent leurs terres, ne sont pas oubliés.

La communauté juive est encore plus hétéroclite,  religieux agoudistes et sionistes s’opposent .Les juifs orthodoxes sont prêts à composer avec les dignitaires arabes pour limiter le pouvoir des sionistes. Même parmi les sionistes on distingue, les socialistes, ouvriers et kibboutznikim, et les nationalistes d’une part.  Russes et Allemands ont des réactions différentes…sans parler des communistes qui prônent l’unité des travailleurs arabes ou juifs. Des discussions sans fin analysent toutes ces nuances et font ressortir les différences.

Roman philosophique le poète,  De Vriendt est un personnage complexe. Pour certains, orthodoxes, c’est un dévot. Sa relation homosexuelle avec le jeune Seoud à qui il prodigue des cours le comble et le fait douter. Ses poème peuvent apparaître comme des blasphèmes

En vérité, c’est Toi le Prince des Ténèbres

Toi qui quand je suis né, m’as condamné à mort,

et lorsque grimaçant, je girai dans ma tombe, 

De quel secours sera que Tu sois éternel

Qui a tué De Vriendt? Est-ce un crime d’honneur de la famille de Seoud, Irmin, le policier britannique l’avait averti de la menace. Est-ce un crime de rôdeur, de voleur, des arabes bien sûr, les voleurs ne pourraient être juifs, « sauf peut être au Kurdistan? ». Est-ce un crime politique, des jeunes nationalistes ne peuvent lui pardonner sa trahison, puisqu’il  s’oppose aux sionistes, prêt à s’allier au Mufti… Un terrorisme juif s’attaquant à des Juifs paraît inconcevable, et pourtant….

C’est en tout cas un roman fort bien écrit. Chaque chapitre est un véritable tableau, décor personnages sont décrits avec soin et précision. le décor n’est jamais oublié, ni le climat, chaleur oppressante de la journée, recherche de la fraîcheur…. ni la nature. Ode magnifique aux paysages, montagnes de Jérusalem, Mer Morte, Carmel….

Le récit des émeutes est saisissant, vues par les juifs religieux comme un pogrom, par l’anglais, avec un certain flegmatisme, occasion de bravoure par les jeunes nationalistes, aussi fraternisations inattendues entre Juifs et arabes qui entretiennent des relations de bon voisinage. Humour et ironie ne sont pas absent même dans les moments tragique, comme ces protestations américaines qui réclament des navires de guerre britanniques dans « la rade de Jérusalem »…

C’est un vrai chef d’oeuvre à redécouvrir!

Le Chandelier enterré – Stefan Zweig

CARNET ROMAIN

Triomphe de Titus
Triomphe de Titus

Incipit :

« C’était par une belle journée de juin 455 ; le combat venait d’opposer, au Circus Maximus de Rome, deux gigantesques Hérules à une meute de sangliers hyrcaniens… »

« ….Rome, le coeur palpitant, veillait et attendait les Barbares comme le condamné qui, la tête posée sur le billot s’apprête à recevoir le coup inévitable… »

Bluffée par les algorithmes de Babélio ou d’Amazon!

Qui m’a suggéré la lecture du Chandelier enterré? Je croyais l’avoir téléchargé dans la liseuse à la suite de Magellan , lu en rentrant de Lisbonne. Zweig est une valeur sûre et j’y reviens périodiquement. Je croyais lire une légende juive qui me changerait de l’Italie…

Rome : Arc de triomphe d'Hadrien
Rome : Arc de triomphe de Constantin

Et me revoici à Rome, au Trastevere que nous venons de quitter, en face de l’île Tibérine, et de ce qui deviendra plus tard le Ghetto. Nouvel épisode d’histoire romaine : le sac de Rome par les Vandales. Hyrcanos ben Hillel, trésorier juif des deniers impériaux, le seul Juif qui eût accès au Palais vient apporter la nouvelle : les Vandales vont emporter le Chandelier de Moïse, le candélabre de la maison de Shelomo, la ménorah. Celle qui figure sur l’Arc de Triomphe de Titus.

« les objets sacrés n’étaient plus en notre possession, mais nous les savions en lieu sûr et bien cachés. Et voilà qu’aujourd’hui le chandelier sacré va se remettre en route »

Les plus vieux Juifs tiennent à l’accompagner jusqu’au port d’où il s’embarquera pour Carthage. Un jeune garçon viendra avec eux pour témoigner, plus tard quand ils auront disparu.

« Nous suivons aujourd’hui la menorah qui est emportée au loin comme on accompagne dans son dernier voyage la dépouille d’un être cher…. »

theodora justinien
Theodora et Justinien Ravenne

Quatre vingt ans plus tard, l’enfant vit toujours. Justinien a envoyé Bélisaire contre Carthage et Bélisaire transporte le chandelier avec le reste du butin à Byzance.

« – Hélas! A Byzance!…il va à nouveau voyager! retraverser la mer! Ils recommenceront à le traîner en triomphe comme l’a fait Titus le maudit! »

Je ne vous raconterai pas la suite de la légende, il faut la lire….

Michael Kohlhaas-Heinrich von Kleist-Le combat contre le Démon Stefan Zweig

CHALLENGE ROMANTISME

 

Incipit :Michael kohlhass

« Sur les bords de la Havel vivait, vers le milieu du XVIème siècle, un marchand de chevaux nommé, Michael Kohlhaas, file d’un maître d’école. Ce fut un des hommes les plus intègres, en même temps l’un des plus redoutables de son époque. »

Conduisant ses chevaux au marché,  il se trouva en face d’une barrière qu’il n’avait jamais remarquée. « C’est un privilège seigneurial » ,péage nouvellement institué par le baron, maître du château, à peine eut-il qu’on lui réclama un laissez-passer, puis que le baron de Tronka, ne jeta son dévolu sur deux jeunes et magnifiques chevaux loirs qu’il confisqua, sorte d’otages en attendant que le maquignon ne revienne pourvu du laissez-passer. De retour du marché, Kohlhaas eut la désagréable surprise de voir que son domestique avait disparu et que ses poulains étaient devenus des haridelles épuisées par les travaux des champs.

Kohlhaas n’eut de cesse de saisir la justice pour le préjudice subi. Il rédigea donc une plainte avec l’aide d’un avocat, persuadé de l’appui de nombreux amis et de son bon droit. Des mois passèrent, puis on lui fit valoir que le baron Wenceslas de Tronka était parent de seigneurs influents. Kohlhaas se rendit donc auprès du commandant et rédigea une supplique à l’Electeur de Brandebourg. Cette nouvelle démarche n’aboutit pas plus que la première. Sa femme Lisbeth proposa de porter une  nouvelle requête fut repoussée brutalement et décéda du mauvais traitement qui lui fut infligé.

C’est alors que Kohlhaas, sûr de son bon droit, excédé par l’injustice se transforma en justicier de sa propre affaire, détruisit le château du baron de Tronka et  entraînant une troupe de valets et d’hommes d’armes incendia Wittenberg et la province, mettant à feu et à sang châteaux et villes mettant en déroute le prince de Meissen venu avec une armée l’arrêter.

« C’est dans ces conjectures que le docteur Martin Luther entreprit d’employer l’autorité que sa position dans le monde lui donnait, à faire rentrer Kohlhaas dans l’ordre en lui adressant des paroles énergiques et propres à réveiller les sentiments généreux dans le cœur de l’incendiaire »

L’intervention de Luther mit fin aux désordres, permit à Kohlhaas de bénéficier une amnistie pour que se tienne enfin son procès. Kohlhaas malgré ses succès militaires ne veut qu’une seule chose : que justice lui soit et que les deux chevaux noirs lui soient restitués dans l’état où il les avait laissés. Cependant, la justice entre un maquignon et de grands seigneurs est bien inégale et les tracasseries ne cesseront pas !

L’analyse dans la préface d’une œuvre est parfois frustrante, je n’aime pas qu’on me raconte l’histoire à l’avance. La collection MILLE.ET.UNE. NUIT offre une présentation différente. A la fin de la nouvelle (roman ?) tout un dossier concerne l’adaptation cinématographique d’Arnaud des Pallières. Ce dernier explique ses choix, entre autres de dépayser l’action dans les Cevennes,  le casting .  Le long entretien avec Mads Mikkelsen est aussi intéressant ;

Cela me donne vraiment envie de visionner le DVD à mon retour.

zweig le conmbat dontre le démonJ’ai téléchargé le Combat contre le Démon de Stefan Zweig, je n’ai lu que la partie concernant Kleist. Zweig,  avec sa culture immense, son esprit de finesse, l’éclairage freudien qu’il donne à la psychologie, ne me déçoit jamais. Seul bémol, Zweig écrit pour ceux qui possèdent une bonne culture allemande, ce qui n’est pas mon cas. Beaucoup de références manquent pour en apprécier davantage l’analyse. Zweig décrit Kleist en homme traqué « Il n’est pas de contrée de l’Allemagne que cet éternel vagabond n’ait habité »…. »c’est dans ce même état d’esprit que Rimbaud court d’un pays à l’autre, que Nieztsche change perpétuellement de ville et d »appartement, que Beethoven va de continent en continent : tous sont fouettés par une effroyable inquiétude qui fait l’instabilité tragique de leur vie ». … »toute son existence n’est qu’une fuite, une course à l’abîme »

Il oppose Kleist à Goethe.

Kleist se trouve « dans un état d’exaltation et de refoulement;cet intolérable tourment d’une âme trop pleine … »

Il attribue cela à une ambiguïté sexuelle – une pathologie sexuelle, écrit-il –

« Même en amour, Kleist n’est jamais le chasseur, amis toujours la victime, traquée par le démon de la passion ».

A propos de Michaël Kohlhaas il écrit :

« Quelle que soit la chose qui l’agite, elle tourne à la maladie et à l’excès : même les pendants spirituels pour la pureté, la vérité et l’équité, il les déforme ; le désir de justice devient chicane …. » « Mais Kleist – et c’est là, uniquement là, la racine du tragique kleistien – oppose à son tempérament passionné une volonté tout aussi passionnée, tout aussi démoniaque… »

Il faudra que je revienne à Zweig quand j’aurai comblé certaines lacunes!

Toujours Michaël Kohlhaas, une bien curieuse rencontre : dans le texte de présentation du film LEVIATHAN  d’Andreï Zviaguintsev, le cinéaste déclare que la lecture de Michaël Kohlhaas  l’a inspiré pour écrire le scénario.

 

 

Stefan Zweig : le monde d’hier

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Stefan ZWEIG – LE MONDE D’HIER – Souvenirs d’un Européen – belfond (531p)

Emigré au Brésil, en 1941, Zweig raconte ses souvenirs et retrace 50 ans d’Histoire, de la fin du 19ème siècle à la Seconde Guerre mondiale.

Il analyse l’évolution du « monde de la sécurité » dans la monarchie autrichienne ,. C’était le monde de son père, industriel juif d’origine morave,  où chacun connaissait sa place, s’enrichissait dans la confiance dans le Progrès, où la maturité et l’expérience étaient des valeurs sûres, où on ne faisait pas étalage de sa richesse.

A Vienne, au début du 20ème siècle, la culture était une valeur reconnue de tous, tout au moins dans la bonne bourgeoisie juive. La musique était à son apogée, l’art dramatique aussi, la poésie, la littérature n’était pas réservés à l’élite. Tout Vienne communiait aux grandes premières, aux concerts. Les lycéens se piquaient d’écrire des vers, et même les publiaient. C’est dans cette culture viennoise que se firent les années de formation de Zweig.

Cependant, il se garde bien d’idéaliser cette Belle Epoque : le système éducatif était peu adapté, l’école comparée à un bagne ou à une caserne, lieu d’apprentissage morne et glacé.  La pruderie de l’époque, la morale sociale et surtout le mépris dans lequel on tenait les contingences du corps, aussi bien en ce qui concernait le sexe que le sport, la séparation dans laquelle on maintenait les jeunes filles, l’extension de la prostitution, tout cela n’était guère épanouissant pour un jeune homme ou un adolescent.

Rainer Maria Rilke

Il est en Belgique en juillet 1914. La Première Guerre mondiale, séisme dans l’Europe a d’abord été accueillie dans un enthousiasme communicatif. Quand Zweig rappelle cet enthousiasme et le compare à l’ambiance qui régnait à la veille de la Seconde Guerre mondiale il écrit

« C’est que notre monde de 1939 ne disposait plus d’autant de foi naïve et enfantine que celui de 1914. Alors le peuple se fiait sans réserve à ses autorités ; personne, en Autriche n’aurait risqué cette pensée que l’empereur vénéré François-Joseph, le père de la patrie universellement vénéré[….]aurait appelé son peuple au combat sans y être absolument contraint… »

Zweig ne succombe pas au patriotisme, cette naïveté lui ait sans doute défaut. Il est trop européen pour mettre ses écrits au service de la propagande guerrière. Il voyage dans  un train-hôpital venant du front, rencontre des prisonniers russes et mesure l’horreur de la guerre.  Il se sent bien seul dans l’Autriche en guerre mais il met sa plume au service de la paix écrit sa tragédie Jérémie mais surtout correspond avec Romain Rolland  qui a écrit Au dessus de la mêlée et se trouve en Suisse. Cette rencontre avec Romain Rolland est un des épisodes qui m’a le plus intéressée.

Romain Rolland

Avec la fin de la guerre Zweig retourne en Autriche, s’installe à Salzbourg pour y assister à une grande misère, à l’inflation galopante, effondrement des fortunes traditionnelles, inflation qui se répétera en Allemagne, et qui sera un des ferments de la montée d’Hitler. Il est impatient de revoir le monde et conte plaisir de se sentir bien accueilli en Italie, pays ennemi pendant la guerre. C’est aussi le temps des succès littéraires de Zweig dont les œuvres sont traduites dans le monde entier et qui est reçu partout. La décennie1924 à 1933 est décrite comme une époque de tranquillité avant que ce seul homme bouleversât le monde ». Il visite la nouvelle Russie,  rencontre Gorki. Le Festival de Salzbourg entraîne avec lui un bon nombre de célébrités.

Gorki à Capri

Comment n’a-t-il pas vu le danger qu’Hitler représentait avant 1933 ? En tout cas, très tôt il a ressenti personnellement les effets du nazisme, les autodafés de ses livres. Une collaboration avec Richard Strauss pour un livret d’opéra tourna court : à la deuxième représentation tout fut annulé. Zweig prit assez tôt la mesure de la catastrophe et c’est déjà en 1933 qu’il quitta Salzbourg pour Londres et l’exil.

Zweig, biographe hors pair, de Marie Stuart, Fouché ou Erasme et tant d’autre excelle dans le Monde d’hier quand il relate ses rencontres avec Herzl, Rilke, Joyce, Rodin, Romain Rolland, Verhaeren, Freud. Ses portraits sont vivants, remarquables.

 

 

Franz Werfel – Les 40 jours du Musa Dagh

LIRE POUR L’ARMÉNIE

La lettre manuscrite de Werfel exposée au Matenadaran à Yerevan m’avais émue.

Après la lecture de Erevan de Sinoué  et l’impression mitigée du point de vue littéraire de ce roman historique, j’ai relu  Les 40 jours du Musa Dagh de Werfel lu il y a plusieurs dizaines d’années et j’ai plongé dans ce très gros bouquin (915pages) avec passion.

« Ecrit avant l’avènement du régime hitlérien en Allemagne, ce roman semble préfigurer l’avenir » écrit Elie Wiesel dans la préface.

« Comment Franz Werfel connaissait-il le vocabulaire de l’Holocauste avant l’Holocauste? »

demande Elie Wiesel un peu plus loin.

Écrit en 1932 à la veille de la prise de pouvoir du nazisme, victime d’autodafé, ce livre est autant un livre de mémoire qu’un livre de combat. Livre de résistance, de dignité, livre d’Histoire, il aussi dénué de manichéisme, les Arméniens résistants ne sont pas idéalisés. L’aide que portèrent certains Turcs n’est pas occultée.

C’est un roman touffu, dense, flamboyant. Récit de guerre, certes. La vie quotidienne des villageois est racontée avec précision. Le Musa Dagh, Mont Moïse est aussi décrit de manière pittoresque. Cette montagne protectrice est un personnage à part entière du roman. Persécutions et résistance de la ville de Zeitoun, déportation des Arméniens, tous les mécanismes du génocides sont analysés. Mais pas seulement : les personnages sont vivants complexes pétris de contradictions. Ils combattent mais aussi  se jalousent, se vantent, cherchent à préserver leurs richesses jusque dans la catastrophe. Des idylles se nouent.

Roman flamboyant, et pas seulement parce que les incendies jouent un grand rôle.

Survivront-ils? (je laisse au lecteur le plaisir du suspens, les retournements de situations sont nombreux).

C’est un très grand livre malheureusement presque introuvable à prix raisonnable. Les éditeurs penseront-ils à le ré-éditer?

Pour aller plus loin cliquer  ICI

Un  autre article passionnant et très détaillé analyse ici les sources historiques et les implications politiques du livre de Werfel : LA

 

Neiges d’antan – Gregor Von Rizzori

LIRE POUR LA ROUMANIE OU L’UKRAINE?

Roman familial autobiographique.

Curieuse construction que cette autobiographie racontée en cinq portraits où l’auteur met l’éclairage sur un personnage différent : Kassandra, la nourrice paysanne houtsoule ou roumaine, la mère, aristocrate autrichienne, prisonnière des conventions de l’époque, jouant le rôle de la mère soucieuse de l’hygiène et de l’éducation de ses enfants, puis divorcée épousant les idéaux féministes, mais toujours conventionnelle, le père, fonctionnaire de la double monarchie, chasseur, mais aussi artiste, la sœur décédée jeune, complice rieuse du narrateur, Strausserl, la préceptrice. Un curieux épilogue est consacré au sixième personnage du livre : la ville de Czernowitz, capitale de la Bucovine, Autrichienne avant la Première Guerre Mondiale, Roumaine entre les deux guerres, Ukrainienne maintenant.
L’histoire de ce roman kaléidoscope commence à la naissance de l’auteur en 1914 à la fin de la seconde guerre mondiale. Famille attachée à ses racines, à ses propriétés en Bucovine mais aussi errante, réfugiée à Trieste pendant la Grande Guerre, le plus souvent en Autriche à Vienne, en Transylvanie, à Bucarest. Chaque portrait complète le précédent. Chaque personnalité s’avère plus complexe que dans le regard du personnage précédent. le père décrit par la mère comme un original, un chasseur brutal, un butor, un fou, est particulièrement déroutant, anticonformiste.
Ces analyses psychologiques très poussées me font penser aux romans de Schnitzler ou de Zweig, Rizzori n’ignore rien de Freud, même s’il le critique. Mais c’est surtout l’histoire de la Bucovine qui m’a passionnée. Bucovine, duché cédée à l’empire austro-hongrois en 1775 par la Sublime Porte, envahie plusieurs fois pas les troupes russes, sous contrôle roumain entre1919 et 1940, rattachée à l’Union soviétique par l’accord Ribbentrop- Molotov, partagée maintenant entre la Roumanie et l’Ukraine.


C’est Rumiz, dans son Voyage aux Frontières de l’Europe, qui m’a donné envie de lire von Rizzori, racontant cette Europe d’avant 1914 où l’on pouvait sans passeport voyager des confins de la Galicie ou de la Bucovine jusqu’à Trieste.

… »Avec la fin de l’Autriche-Hongrie impériale-et-royale, c’était comme si ce fut éteinte une lumière qui avait alors nimbé . Un nouvel âge du monde avait nos jours d’une lumière dorée. Nous n’étions pas les seuls à être concernés. Un nouvel âge du monde avait commencé…« 

Bucovine, Galicie, qui se souvient de ces provinces ? Quand construire des chemins de fer en Bosnie ou dans l’Herzégovine était une aventure comparable aux recherches des sources du Nil…. Mosaïques de populations cohabitaient à Czernowitz, manteau d’Arlequin que le parler de Kassandra qui mélangeait le Roumain, le Ruthène, l’Allemand, le Yiddish, multiplicité des croyances aussi : Autriche catholique, Roumanie orthodoxe, Saxons protestants, Juifs, mêmes théosophie, spiritisme…Richesse d’un monde disparu:

« On a attribué à l’esprit de Czernowitz à la juxtaposition et au mélange des populations tout à fait unique qu’on rencontrait en Bucovine, à leur compassion portée à l’extrême dans la capitale , à la fécondation culturelle et au polissage des mœurs  qui résultaient de tous ces contacts, à l’exigence et à la nécessité constante de s’adapter , de penser vite et de réagir de manière appropriée, ce qui, surout pour les juifs, constituaient un besoin vital… »

 

Elias Canetti : La Langue sauvée : Histoire d’une jeunesse(1905-1921)

Le titre « La Langue sauvée » est resté jusqu’à la dernière page du livre, pour moi,  un mystère.

De langues, il en est beaucoup question dans l’ouvrage. Canetti est né à Routschouk « Ruse », Bulgarie, sur les bords du Danube, dans une famille de négociants séfarades. Sa langue maternelle, fut donc le Judéo-Espagnol, à cinq ans ses parents déménagent à Manchester où naquirent ses deux frères avec qui il utilisa longtemps l’Anglais même après l’installation à Vienne. L’Allemand était la langue que ses parents utilisaient pour parler de théâtre et de musique : c’est donc la langue de la culture, la langue que Canetti utilisera pour écrire. Le grand père, figure impressionnante, se vantait de parler dix-sept langues quoique qu’il n’en lisait qu’une : l’Espagnol écrit en caractère hébraïques.

De Routschouk, Canetti raconte la maison donnant sur le jardin fruitier, la variété des gens qu’il  rencontrait, à la maison et la boutique : Juifs de sa famille, petites bonnes bulgares, Tsiganes qui venaient mendier tous les vendredis, l’Arménien  triste, les amis Russes de sa mère…

« Il était souvent question de langues, on en parlait sept ou huit différentes rien que dans notre ville: tout le monde comprenait un peu toutes les langues usitées, seules les petites filles bulgares venues de la campagne ne savaient que le Bulgare, aussi disait-on qu’elles étaient bêtes. chacun faisait le compte des langues qu’il savait, il était on ne peut plus important d’en posséder un grand nombre, cela pouvait vous sauver la vie ou sauver la vie d’autres gens. »

C’est donc l’histoire d’une jeunesse cosmopolite et européenne. L’enfant  prit la place du père, décédé jeune, il  entretint avec sa mère très jeune des conversations intellectuelles de haut niveau : Shakespeare, Schiller ou Dickens était le sujet de leurs entretiens.

Ils ont traversé la Première Guerre Mondiale, à Vienne, en Bulgarie puis à Zurich. Bien que les Canetti avaient des passeports turcs, que la Bulgarie se soit rangée du côté des Empires Centraux, la mère et le fils se refusaient à soutenir François Joseph comme on l’exigeait de l’enfant à l’école. Ils tenaient l’Autriche pour responsable du conflit, ne pouvaient se résoudre à être en guerre contre la Russie qui avait toujours soutenu les Bulgares contre les Turcs, ayant ds amis russes, et vénérant Tolstoï. leur situation d' »Anglais » à vienne devenant inconfortable , ils déménagèrent à Zürich. On y croise Lénine.

En Suisse, le jeune Canetti élargit sa société à celle de ses camarades d’école, de ses professeurs au lycée. Il ne se borne plus à la littérature classique, aux Grecs et aux explorateurs comme pendant sa prime enfance. La lecture de ses mémoires est donc une promenade littéraire. De son côté, la mère se passionne pour Strindberg et Schnitzler. Au lycée, il découvrira des écrivains Suisses (que je ne connais pas)  aussi Werfel et Wedekind. Il rencontrera aussi l’antisémitisme.

La maladie mettra fin au tête à tête jaloux de la mère et du fils. Cette dernière partira en sanatorium. 1921:  la mère décide darracher son fils à son paradis zürichois et de partir en Allemagne  pays marqué par la guerre, se mesurer à la réalité et quitter des études trop douces.

 

 

 

Les Buddenbrooks – Thomas Mann

Lübeck, 1835 – 1875, le déclin d’une famille de négociants. Saga de 630 pages qui se lisent avec  grand plaisir.

Lübeck, ville hanséatique, ville libre dans une Allemagne pas encore unifiée, pas encore industrialisée. Glissement vers un monde moderne déjà prévisible en 1835 quand le souvenir du passage des armées de Napoléon est encore perceptible, vers une Prusse qui va prendre la tête, en attendant l’unité le Zollverein est dans l’air. Johann Buddenbrooks,  négociant en grains fournit les armées. Consul des Pays Bas,  commerçant avec toute la Baltique de Riga au Danemark, et à la Suède, même plus loin vers Amsterdam ou Londres. Lübeck,  ville provinciale, est ouverte sur le monde, Christian est envoyé apprendre le commerce à Londres, il ira même à Valparaiso. 1830-1875, c’est aussi l’essor des chemins de fer.Période bâtisseuse où les notables quittent les maisons à pignons pour  construire des hôtels de prestige, galeries et colonnes…. Période des révolutions de 1848, Lübeck n’est pas épargnée par le bouillonnement révolutionnaire, le livre raconte comment les sénateurs et notables vécurent ces journées.

En dehors du contexte géographique et historique, ce roman est une formidable histoire familiale avec tous les ressorts psychologiques habilement disséqués par l’auteur. Thomas Mann prend son temps pour présenter ses personnages : les  35 premières pages racontent un repas de famille, au cours desquels il  présente les protagonistes et donne un luxe de détails aussi bien sur le décor, la maison des Buddenbrooks,que sur les costumes et les divers travers de tous les membres de la famille et leurs proches.

Une autre fête de famille, un réveillon de Noël marquera la chute de la maison Buddenbrooks. Magnificence de la fête, des cadeaux que l’enfant Hanno recevra : un théâtre miniature et un harmonium, cadeaux de rêve pour celui qui choisira la voie artistique plutôt que celle du négoce pour suivre l’affaire familiale et succéder à son père….Description des décors de Noël, menu de fête, toilettes…..

On peut aussi s’attacher à chacun des personnages dont le destin est raconté en finesse. J’ai suivi avec émotion Tony, la jeune fille heureuse de vivre qui sacrifiera son premier amour par obéissance à son père, en se mariant à un négociant, comme si ce destin était immuable. Tony deux fois mal mariée….

Déchéance de Christian qui n’était pas fait pour être commerçant…Encore un mauvais mariage-de-raison pour Erika, la fille de Tony… Dans les dernières pages on suit Hanno, le musicien de santé débile, impossible successeur de son père Thomas.

Les évènements se succèdent en douceur, logique implacable de ce déclin, sans éclat, l’analyse psychologique est toujours suggérée dans une foule de détails pittoresques, villégiature sur le bord de la Baltique, ou promenade en campagne.

 

un peu d’Allemand….

 

 

Thomas Mann : La Montagne magique

Pourquoi lire Thomas Mann?

maison colorée de pêcheurs de Nida

En ce qui me concerne, de retour des pays baltes où j’ai découvert (quelle ignorante je fais!) une prégnance encore très forte de la culture allemande, j’ai vu la maison de Thomas Mann à Nida (Niden), jolie station balnéaire de la presqu’île de Courlande (Lituanie) et j’ai réalisé que je connaissais bien peu de choses de cet écrivain.

Tonio Kröger est un des rares ouvrages que j’ai lu en version originale, au lycée. Il m’avait tellement marquée que j’avais copié une citation sur ma trousse d’écolière.

Mort à Venise, je n’ai pas lu le livre, mais j’ai vu et revu le film de Visconti dont la bande sonore m’accompagne en vacances dans la petite mallette des cassettes indispensables.

J’ai donc acheté La Montagne Magique disponible à la Fnac pour combler les lacunes. Lu dans les Alpes, et même allongée pour la fin, à la suite d’une chute malencontreuse. Voilà pour le décor de la lectrice!

C’est un gros livre de plus de 800 pages. Pavé qui se déroule uniquement dans un sanatorium de Davos et ses environs immédiats. Pas d’intrigue, ou très peu. C’est tout l’art d’un  grand écrivain que de faire vivre un monde dans une trame si mince. Toute l’Europe ou presque s’y soigne Allemands fuyant le climat humide des plaines, mais aussi Russes Hollandais, anglais…Sensation du temps qui passe, ou qui ne passe pas, ou tout au moins d’un temps différent pour ces malades qui sont en dehors du monde. Echos feutrés d’une Europe se préparant imperceptiblement à la Première Guerre Mondiale qui mettra fin au séjour du héros dans le sanatorium. Bavardages et cancans de la salle de restaurant. Mais aussi débats intellectuels sans fin entre l’écrivain Italien, héritier des Carbonari et des luttes de libération, et du Juif converti devenu jésuite. Tout y passe à la moulinette acérée de leurs arguties, l’art, la politique, l’histoire.

Roman psychologique aussi, T  Mann connait Freud et les débuts de la psychanalyse. On ne s’ennuie pas sur cette montagne magique, même si les amours ébauchées n’aboutissent pas, si les guérisons sont rares et plus fréquents les enterrements.