Le Typographe de Whitechapel – Rosie Pinhas Delpuech – Actes Sud

LIRE POUR ISRAEL

« Il s’appelle Yossef Hayim Brenner. Il est né en 1881 à Novy Mlini, à la frontière entre la Russie et la Biélorussie.
Il est avec H. N. Bialik et S. Y. Agnon l’un des trois grands écrivains fondateurs de l’hébreu contemporain, et sans doute le plus audacieux. Sa vie est brève, il meurt assassiné lors d’émeutes arabes à Jaffa en 1921. »

Rosie Pinhas Delpuech raconte la vie de Brenner mais cette biographie, trame du livre, est entrelacée par une réflexion sur la langue hébraïque. L’auteure, traductrice de l’hébreu, s’implique personnellement dans la narration ;  elle  nous fait entendre l’hébreu actuel, le Brouhaha d’un autobus déchiffrant les accents, les langues qui se mêlent. 

« Dans mon métier – je suis transporteuse de langues –, les vacances sont rares, nous mettons longtemps à
transporter notre cargaison de mots d’une rive à une autre,

[…]
Pourquoi cette langue, l’hébreu, pourquoi ça ne me lâche pas, pourquoi ce livre sur un écrivain que je ne parviens même pas à lire, ni à traduire, mais autour duquel je tourne depuis des années ? »

Avant d’être la langue de la vie de tous les jours en Israël, l’hébreu était la langue de la religion et le retour à la Bible est une évidence. Les références anciennes, au personnage de Moïse, le bègue traversent le récit.

L’auteure situe le personnage de Brenner dans son contexte, écrivain juif russe, exilé à Londres arrivant à Whitechapel. Brenner écrit en hébreu, ce n’est pas une évidence à l’époque, le yiddish est beaucoup plus pratiqué alors, en hébreu manquent encore des vocables de la vie quotidienne, cependant. D’autres alternatives existent comme l’Espéranto  ou lz langue du pays de résidence, allemand, russe, anglais….

« Comme si, à l’orée du XXe siècle, le peuple juif laborieux, ouvrier, se découvrait non seulement sans terre et sans
abri, mais dans une détresse linguistique semblable à une détresse respiratoire. »

Whitechapel est le quartier des pauvres. Brenner s’installe en même temps que Jack London. De quelques semaines d’expérience, London rapporte Le Peuple de l’Abîme.  Brenner s’installera le 2 avril 1904 parmi les juifs démunis travaillant dans les sweatshops pour des salaires dérisoires provoquant le rejet et l’antisémitisme des ouvriers locaux qui voient en eux des immigrés gâchant les conditions de travail.

 

Même si les conditions de vie sont misérables, des journaux circulent parmi les juifs. Dès 1976, Aaron Liberman fonde avec dix ouvriers dont quatre imprimeurs l’Union des Socialistes hébraïques, en 1884 un journal rédigé en yiddish est destiné au public ouvrier; en 1885, paraît  l’Arbeter Fraynt de tendance anarchiste et yiddishisant . On croise un personnage singulier Rudolf Rocker, catholique allemand qui épouse le destin des anarchistes juifs et devient directeur de l‘Arbeter Fraynt. Brenner s’installe au dessus du local de l’imprimeur Narodiski et apprend le métier de typographe. Brenner raconte ce monde des petits journaux dans son roman Dans la détresse . Il crée une revue littéraire en hébreu qui a des abonnés en Europe et en Amérique. Malgré l’aspect artisanal de sa fabrication Brenner est célèbre. Lorsque Freud est de passage à Londres, ils se donnent rendez-vous devant les dessins de Rembrandt. Et encore, en filigrane, apparaît le personnage de Moïse

Rembrandt : le festin de Balthazar

« Dieu écrit directement avec son doigt, comme un artisan, et rien ne m’intrigue autant depuis mon enfance que ce doigt de Dieu qui montre une direction, qui écrit. Rembrandt le peint dans Le Festin de Balthazar, »

J’ai adoré cet entrelac d’histoire et d’exégèse de la Bible alors que justement la renaissance de l’Hébreu se veut laïque

Faire renaître un hébreu simple, encore gauche, détaché de son contexte religieux, ancré dans la réalité prosaïque
de l’humain. La langue, toute langue, ne peut qu’être humaine, ramassée dans la poussière et la sueur de la rue. 

Brenner quitte Londres en 1908, passe à Lemberg une année, hésite entre Ellis Island et la Palestine. Il accoste en février 1909 à Haïfa. 

Commence alors une nouvelle histoire, celle de la Seconde Aliya, celle des coopératives  agricoles, des communautés ouvrières. L’hébreu est alors la langue quotidienne, de Hedera au Lac de Tibériade, il n’existe pas toujours de mots pour désigner les choses. l’hébreu est façonné par des eshkenazes, L’écrivaine note

Il faudra aussi l’éclatement de l’utopie cinq ans plus tard, en 1967, pour que l’espace se fissure et que par
l’interstice s’engouffre l’arabe palestinien

Cette irruption de l’arabe remet en circulation l’ « l’arabe honteux des juifs orientaux » La traductrice ne se lasse pas d’interroger l’évolution de la langue, et j’apprécie ses digressions 

Brenner aboutit dans une cité-jardin Ein Ganim et vit dans une communauté laïque

Il se lie d’amitié avec deux grandes figures fondatrices du sionisme socialiste : A. D. Gordon et Berl Katznelson.

Elle note que sur le sionisme ils sont lucides

Herzl s’est trompé, ce n’est pas une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Il y a des habitants, ici, les Arabes, ils tiennent à cet endroit. 

Le 1er mai 1921, les ouvriers juifs défilent avec des drapeaux rouges, la population arabe réagit, c’est une journée sanglante

Brenner succombera, victime des journées d’émeutes.

Merci à Aifelle de m’avoir signalé ce livre qui traite de trois sujets que je poursuis : l’histoire du peuple juif, l’hébreu et le rapport de la traductrice à la langue.

Personnellement, j’aurais mis 5* sur Babélio mais peut être suis-je trop subjective!

 

 

 

 

 

 

Trois étages – le livre de Eshkol Nevo/ Tre Piani – le film de Nanni Moretti

UN LIVRE/UN FILM

LITTERATURE ISRAELIENNE

j’ai découvert Eshkol Nevo avec La Dernière Interview et je m’étais promis de lire Trois Etages. La sortie du film de Nanni Moretti, Tre Piani, a précipité cette lecture. J’aime beaucoup ce réalisateur mais je ne voulais pas voir le film avant d’avoir fini le livre. J’aime prendre mon temps, le temps du livre, pour découvrir une histoire, me faire mon propre cinéma, imaginer les décors, vivre trois jours à Tel Aviv avant de voir les images italiennes que Moretti aura imaginées. 

Trois étages, trois histoires, trois confessions. 

« Tu sais, j’ai du mal à parler de ces choses-là, mais j’ai pas la force, non plus, de me censurer, je vais tout te raconter simplement, et toi, tu vas me promettre de ne pas t’en servir pour un bouquin, »

Arnon – du Premier Etage –   a invité un ami écrivain pour se confier. Il a besoin de voir plus clair dans son comportement, devenu depuis quelques temps dysfonctionnel, et son couple en crise. Il a confié sa fille de sept ans à son voisin de palier atteint d’Alzheimer, et soupçonne que le vieil homme a abusé de la fillette. Aucune preuve tangible, mais une inquiétude, un remords, qui l’entraîne à devenir violent ce que sa femme ne supporte pas. Les catastrophes s’enchaînent…Arnon n’attend pas d’excuse ou de pardon de son ami qui n’intervient pas dans le récit. Il cherche à comprendre ce qui lui arrive. 

Au deuxième étage, Hani rédige une longue lettre à Neta, son amie d’enfance partie aux Etats Unis. Son mari la délaisse voyage à l’étranger pour son travail. Elle se retrouve mère au foyer tout juste bonne à conduire ses enfants à l’école et aux activités extra-scolaire, sans ambitions, sans contact avec des adultes. Frustrée, elle débloque, voit des chouettes perchées lui parler…Elle non plus n’attend pas de réponse de Neta, elle ressuscite les confidences entre amies du temps de leur adolescence.  

Au troisième étage, Deborah – juge d’instance retraitée, enregistre des cassettes sur le répondeur de Michaël, son mari décédé. Elle poursuit le dialogue jamais interrompu. Déborah vit mal sa solitude. A Tel Aviv, un mouvement social rappelant Les Indignés ou Occupy , Nuit Debout, ou la Place Tahrir regroupe des manifestations, les manifestants ont planté des tentes où se déroulent des forums.

« Après tout, combien de fois avons-nous regardé, brûlant d’envie, nos concitoyens s’assembler sur les places et
scander des slogans chers à notre cœur, alors que nous étions empêchés de les rejoindre, à cause de nos fonctions ? Mais aujourd’hui, avec la retraite, la porte de la cage s’est ouverte. Dans ces conditions, me suis-je demandé, pourquoi devrais-je rester derrière les barreaux ? »

Deborah décide de rejoindre le mouvement et de mettre au service des jeunes manifestants ses connaissances du Droit et son expérience juridique. A l’occasion, elle fait la connaissance d’un homme de son âge, veuf, qui l’entraîne dans un voyage dans le désert. Sur la route elle va raconter son histoire….

j’avais envie de toquer à la porte de chaque voisin, celle de Ruth, de Hani, des Katz, des Raziel, et de leur dire :
Réveillez-vous, citoyens de Bourgeville. Laissez là vos parties de poker et votre inquiétude excessive pour vos
enfants, et les infidélités minables que la vacuité de votre existence, et non le désir, favorise. Levez-vous de vos
fauteuils télé trop confortables

On se demande si ces histoires vont se rejoindre.

L’histoire de Hani m’a moins touchée que les deux autres, celle de Déborah m’a beaucoup plu.

Ce n’est pas un dilemme à imposer à une mère, Michaël. Car quel pacte est le plus important : entre une femme et son conjoint ou entre une mère et ses enfants ?

Histoires de paternité, de rapports père/fille, mère/fils…qui s’inscrivent dans l’espace réduit d’un immeuble de trois étages.

TRE PIANI – le film de Nanni Moretti

l’affiche du film

Ayant terminé, et aimé, le livre, je me suis précipitée au cinéma pour voir l’adaptation filmée. En général, le film qui a un format de 1h30 ou 2h, doit faire des choix dans le récit se focalise sur un aspect tandis que le livre prend son temps. Et le propos est souvent appauvri. 

Curieusement Nanni Moretti a puisé dans le livre l’idée générale, des dialogues entiers s’y retrouvent mais il a « complété » l’histoire. Le mari de la juge, apparait bien vivant dans les deux tiers du film et l’homme que rencontre la juge est à peine esquissé. 

En revanche, l’adaptation à l’Italie et Rome d’aujourd’hui est très réussie. Pas de forum gauchistes, à la place un vestiaire où Dora, la Juge, porte les vêtements de son mari décédé. Le personnage de la jeune mère délaissée est aussi plus fouillé que dans le livre.

En définitive, le film est un objet indépendant du livre,  il convient de les voir séparément et de ne pas les comparer!

https://youtu.be/5aaq2sAgcl8

Bon film, j’aurais dû attendre un peu!

Mon Jardin sauvage – Meir Shalev – Gallimard

LITTERATURE ISRAELIENNE

« Au premier plan deux champs bordés de cyprès à la silhouette élancée, que surplombaient deux rangées de collines boisées, émaillées de tout un camaïeu de vert. Une vraie palette impressionniste : le vert pâle du chêne du Mont Thabor, le vert foncé du chêne palestinien, le vert éclatant du caroubier et du pistachier – nuance légèrement fanée du térébinthe de Palestine et celle plus vibrante de l’arbre à mastic. »

J’ai choisi la même citation que Dominique qui m’a donné envie de lire ce livre et qui j’espère me pardonnera. Dans ces lignes, je retrouve ce paysage méditerranéen que j’aime tant décrit avec une précision qui m’a interpellée.

U Lentiscu  (corse)’il manque un personnage pour donner l’échelle

Térébinthe, pistachier, arbre à mastic sont pour moi des essences voisines que je confonds. j’ai donc cherché sur Internet et trouvé que le Térébinthe de Palestine Pistacia palaestina et le Térébinthe Pistacia terebinthus qui donne la térébinthine sont des espèces distinctes, tous les deux de grands arbustes, arbres à feuilles caduques, tandis que Le Pistachier lentisque Pistacia lentiscus est un arbuste plus petit à feuilles persistantes, l’arbre à mastic qui pleure des larmes de sève donne le mastic à Chios, pourquoi seulement dans un petit territoire de cette île?

arbre à mastic chios

Je retrouve ces essences dans mes voyages aussi bien en Corse, au Maroc, en Grèce, en Turquie….ils me sont familiers et pourtant je ne m’étais jamais penchée sur la variété et la diversité de ces espèces.

Ce livre semble m’être destiné tout personnellement (quelle prétention! quelle outrecuidance!) non seulement cette flore méditerranéenne m’est chère mais le jardinage a été mon premier métier, et pas très loin du jardin de Méir Shalev! J’ai retrouvé avec joie les noms en hébreu des outils, passoires, cribles et tamis.

Scille maritime (Gozo)

Mise  en scène des fleurs des champs comme le coquelicot, l’anémone ou le cyclamen, moins connue la Scille maritime dont j’ai fait la connaissance à Malte. Animaux des jardins : oiseaux, rat-taupe, araignées et serpents divers, mais aussi plus prosaïques fourmis et guêpes.

« Les oiseaux ne piquent pas les tuyaux par pure méchanceté ou par soif – contrairement aux sangliers et aux
chacals qui rongent les tuyaux pour boire – mais par erreur. Yossi Leshem, zoologiste et célèbre ornithologue, m’expliqua que le pivert confond le bruit de l’eau circulant dans le tuyau avec les vibrations provoquées par les insectes grouillants sous l’écorce. »

Chapitres tendres et ironiques quand l’auteur se met en scène désherbant à quatre pattes ou à la recherche d’une graine tombée sous son bureau.

Références aux pionniers venus d’Ukraine ou citations bibliques.

 » Par chance, la plupart de nos concitoyens ont conscience de la pénurie d’eau, et même les non-croyants prient pour qu’il pleuve. La prière rituelle pour la pluie n’est hélas pas toujours exaucée. Le fait est bien connu et la raison est double. D’une part, nos chefs religieux ne sont pas à la hauteur, Dieu ne leur parle plus, Il ne les écoute plus comme autrefois. »

j’ai oublié d’écrire comme c’est drôle.

Livre utile : on y apprend comment préparer les olives!

Lecture délicieuse!

Seul regret, j’ai opté pour la lecture sur liseuse et les illustrations ne sont pas sous leur meilleur jour. Préférez le livre-papier

Les deux morts de ma grand-mère – Amos Oz – Gallimard

LIRE POUR ISRAEL

Pendant les évènements récents, véritable guerre civile qui ne dit pas son nom, j’ai eu envie de me tourner vers Amos Oz (décédé en décembre 2018), qu’aurait-il dit de ces affrontements? 

Les deux morts de la grand-mère est un recueil de plusieurs essais, conférences entretiens parus séparément de 1975 à 1992. La table des matières donne un aperçu du contenu

 I. D’OÙ JE VIENS

Exorciser les démons

Une enfance à Jérusalem

Un étranger dans une ville étrangère
 II. D’OÙ J’ÉCRIS

Les deux morts de ma grand-mère

Tel un gangster la nuit des longs couteaux, je rêve
 Pourquoi lire ?

III. D’OÙ JE PARLE

Entre l’Europe et le désert du Néguev

Le charme discret du sionisme

L’écrivain écrit, le critique critique, et le temps juge…. (entretien avec Iona Hederi-Remege)

Le kibboutz et la tendresse Un romantique contrarié (entretien avec Ari Shavit)

IV. LES MOTS QUI TUENT, LES MOTS QUI PARFOIS GUERISSENT

La valise de Maria Kafka

Entre l’homme et l’homme

Les nerfs d’acier de la divinité et la vraie ironie allemande

Ils ont été créés à l’image de Dieu

La morale et la culpabilité 

De la douce Autriche et des sages de Sion

Paix amour et compromis

Ce sont des textes très variés, dans la première partie, Amos Oz parle de ses origines, de ses parents, du rapport à la culture européenne et de la Jérusalem rêvée si différente de la Jérusalem réelle.

J’ai surtout aimé la seconde partie et son rapport ambivalent au kibboutz qu’il a quitté.

Voyez-vous, la civilisation d’“Eretz Israël des travailleurs”, apparemment, ne reviendra plus. Je fais partie de
cette civilisation. Cela veut dire que j’appartiens au passé. “Le pays de mon cœur”, que l’on me promettait au
temps où j’appartenais au Mouvement de jeunesse, n’existera

……………
Le monde auquel j’avais le sentiment d’appartenir intimement – avec beaucoup d’ambivalence – n’existe plus. Ce qui a été ne sera plus, et pour moi c’est un sentiment pénible. Le noyau de la civilisation qui s’est développé ici dans les années trente et quarante ne continuera pas à se développer. Il n’y aura plus ici de société de cols ouverts et de shorts, ce que Shulamith Hareven appelle une “société de frères”, une société ouverte, égalitaire, sans formalisme. Elle a disparu.

La dernière partie est un commentaire du Shoah de Lanzmann. Essentiel. 

C’est un ouvrage sans illusion, sans concession non plus, critique vis à vis du nationalisme israélien mais aussi vis à vis de la gauche bien-pensante. Cependant il date un peu. Presque trente ans nous séparent de la parution.

Jésus et Judas – Amos Oz

LITTERATURE ISRAELIENNE

« J’ai assisté à une conférence à l’étranger » as-tu dit. Elle était donné par un homme qui affirmait fièrement que nous étions les héritiers, les descendants des prophètes. Il fallait corriger immédiatement son propos : non nous ne sommes pas les descendants des prophètes car la plupart d’entre eux n’ont pas eu de descendance. mais nous sommes les héritiers de ceux qui leur ont jeté des pierres pour qu’ils se taisent. »

Dès que j’ai appris la parution de ce livre posthume, je me  suis précipitée à le télécharger. Ce court ouvrage (96 pages) est le texte d’une conférence donnée à Berlin. Amos Oz parle de son livre Judas, de la figure du traître qu’on lui renvoie. j’ai beaucoup aimé ce livre, lu à sa parution, chroniqué

En revanche, j’ai découvert Delphine Horvilleur qui a préfacé l’ouvrage sous forme d’une lettre ouverte à Amos Oz très touchante dans laquelle je me suis retrouvée. 

La vie joue avec moi – David Grossman

LITTERATURE ISRAELIENNE

Pour célébrer les 90 ans de Vera, la famille est réunie au kibboutz. Même Nina est venue du Cercle Polaire. Plusieurs générations de femmes, Véra , Nina, sa fille, Guili la petite fille. Entre mères et filles, le dialogue est difficile, voire impossible, la maternité est loin d’être une évidence!

Nina au début d’Alzheimer,  va perdre la mémoire. Raphaël, le père de Guili, cinéaste, imagine de réaliser le film de son histoire qu’elle pourra visionner quand la maladie la gagnera. Raphael et Guili, la scripte, emmènent Vera et Nina en Croatie , à Cakovec,  ville natale de Vera, et à Goli Otok, l’ile-bagne pierreuse où Vera a été internée. Pendant tout le voyage Raphaël et Guili vont filmer, enregistrer, noter le récit de Vera et les réactions de Nina. Vera retrouve sa maison natale, raconte son enfance, la rencontre avec Milosz, le père de Nina puis son mariage, la guerre, la résistance avec les partisans de Tito et enfin l’arrestation… Les autorités donnent à Vera le choix :  renier son mari et signer son acte d’accusation afin de garder sa fille, ou être internée à Goli Otok. Vera ne signe pas. Sa fille peut elle entendre ce choix?

On peut lire le livre comme un roman, se laisser porter par l’action, les pages se tournent toutes seules. Ce n’est pas une fiction, c’est une histoire vraie, celle de Eva Panic-Nahir , célèbre en Yougoslavie qui a fait l’objet d’un livre Eva de Dane Ilic et d’un film documentaire. On peut lire La Vie joue avec moi comme un témoignage. Témoignage sur l’histoire de la Yougoslavie, le bagne titiste de Goli Otok, sur les guerres des Balkans aussi. C’est aussi le making-of, d’un film : Guili joue le rôle de la scripte qui note tout, l’éclairage, le son. L’écriture est cinématographique.

Encore un livre très riche, émouvant et passionnant!

 

Mon père et ma mère – Aharon Appelfeld

LITTERATURE ISRAELIENNE

marc chagall

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Le voyage de l’écriture ressemble, par bien des aspects, au voyage que je faisais en été avec mes parents pour me rendre dans la maison de mes grands-parents, dans les Carpates.

 

Un regard d’enfant est indispensable à tout acte créateur. Lorsque vous perdez l’enfant qui est en vous, la pensée
s’encroûte, effaçant insidieusement la surprise du premier regard ; la capacité créatrice diminue. Plus
grave encore : sans l’émerveillement de l’enfant, la pensée s’encombre de doutes, l’innocence bat en retraite,
tout est examiné à la loupe, tout devient contestable, et l’on se sent contrarié d’avoir simplement aligné des mots.

Je retrouve toujours avec un grand plaisir l’écriture nostalgique et intime d’Appelfeld qui, encore une fois, a choisi un enfant-narrateur pour évoquer ses souvenirs et un monde disparu. Mon père et ma mère se déroule pendant les vacances d’été 1938 sur les bord du Pruth (affluent du Danube) dans un pays qui a disparu  : la Bucovine, entre Roumanie et Ukraine, Czernowitz est maintenant ukrainienne. De nombreux juifs sont en villégiature à la veille de la catastrophe. Certains se baignent, bronzent, piqueniquent mais

Les rumeurs sur la guerre bruissaient dans le moindre recoin. On aurait cru que les gens étaient dans une cage
dont ils essayaient d’écarter les barreaux. Le fleuve coulait, prêt à accueillir encore de nombreuses personnes
sachant nager ou ramer, mais les gens couraient dans tous les sens.

Erwin, 10 ans 7 mois, fils unique, choyé par ses parents est curieux de cette société. L’auteur brosse des caractères originaux comme Rosa Klein qui lit les lignes de la main, ou Karl Koenig, l’écrivain, ou l’homme à la jambe coupée,  le docteur Zeiger,  d’autres plus ordinaires qui cancanent ou geignent.

Atmosphère idyllique dans la montagne après une chevauchée,  simplicité de ces Juifs paysans et pieux : les parents de la mère. Mais aussi un pogrom villageois, tentative d’extorsion du cocher ukrainien. Erwin redoute le retour à l’école sous la menace de Piotr. L’antisémitisme diffus est bien présent mais personne ne se doute de ce que la guerre apportera.

Un récit tout en finesse et en tendresse. Moins impressionnant  et tragique que Les partisans, Tsili ou Le garçon qui voulait dormir mais encore un grand livre.

Unité 8200 – Dov Alfon

POLAR ISRAELO/PARISIEN

En ce moment je lis beaucoup. J’alterne gros pavés et polars exotiques plus vite lus. Un polar israélien? J’embarque et télécharge sans méfiance puis qu’il est recommandé par Matatoune    

J’aurais dû être plus attentive : le titre original est A long Night in Paris et le livre est traduit de l’anglais. Je risque de ne pas être dépaysée et de ne pas me promener beaucoup en Israël!

Espionnage, jeux de  pouvoirs entre les différents services des Renseignements israéliens, entre Mossad et Shabak, dans les bureaux et les salles de conférences de Tsahal à la Kyria. Guerres d’égo, cirage de pompes, coups tordus. Un Israélien est enlevé à Roissy ;  est-ce un fait divers ou une affaire d’Etat?  Une série de cadavres retrouvés cette nuit-là fait craindre le pire.

L’auteur ne nous épargne aucune note de service avec les destinataires, de niveau de secret, les codes et les procédures pour garantir la confidentialité. Cela pourrait être original, c’est plutôt ennuyeux. Quelle bureaucratie!

Dov Alfon se complait dans la technologie des téléphones mobiles, des smartphones capables de géolocaliser les correspondants (c’est finalement banal) de crypter les conversations (on s’en douterait).  et même de localiser les armes et les attaquants derrière une porte….miraculeux! Fascination pour les antennes???? Même attention complaisante pour les armes. Je m’ennuie.

Seule figure un peu folklorique : madame Abadi, la mère du colonel israélien. Mère tunisienne typique, elle va cuisiner couscous-boulettes, et makhrouds (emballés dans du papier alu). Madame Abadi habite Créteil. Alors là, la lectrice cristolienne se vexe. Créteil est décrite comme une banlieue affreuse avec un maire communiste  et des constructions staliniennes. Et non! l’urbanisme a été dessiné du temps du Général Billotte, gaulliste bon teint, et depuis, le Maire Socialiste a entretenu une ville verdoyante. L’auteur résident à Paris aurait pu prendre le métro avant d’imaginer des choux-fleurs, à la place  des épis de maïs!18

La mort du Khazar rouge – Shlomo Sand

LITTERATURE ISRAELIENNE

« On ne tue pas quelqu’un parce qu’un livre nous énerve. Certes, cela s’est produit au Moyen Âge dans la
civilisation chrétienne – Morkus venait de voir le film Le Nom de la rose –, mais, dans le monde démocratique,
si l’on n’aime pas un livre, on le jette, tout au plus, à la
poubelle et le lecteur vraiment retors en fait cadeau à un ami. »

 

Schlomo Sand est un universitaire, historien à l’Université de Tel Aviv.  Il a écrit des essais: Comment le peuple juif fut inventé,(2008)Comment la terre d’Israel fut inventée (2012), comment j’ai cessé d’être juif (2013) La fin de l’intellectuel français? (2016) qui ont été édités en français, et bien sûr, d’autres publications, antérieures ou non traduites. 

La mort du khazar rouge est une fiction, un polar de 383 pages, se déroulant sur 20 ans de 1987 à 2007. L’enquête commence avec le meurtre d’un universitaire Litvak, historien, qui s’apprêtait à publier un livre sur les Khazars, royaume s’étendant de l’Ukraine au Caucase ayant adopté la confession juive. Ces travaux dérangeant une partie des universitaires israéliens. Le policier Emile Morkus est un Arabe chrétien de Jaffa  fait équipe avec Shimon Ohayon un juif marocain. Peu d’indices pour élucider cet assassinat. D’autres assassinats – le frère jumeau de Litvak – une étudiante gauchiste, ne sont pas plus résolus, le procès du violeur de l’étudiante aboutit à une erreur judiciaire. Après un nouvel assassinat, 20 ans plus tard  l’enquête reprend. La victime est un autre historien, un orientaliste.  Son sujet de recherche :  Himyar, un royaume  yéménite également converti au judaïsme au IV ème siècle de notre ère. 

La seconde raison de mon écrit hors des sentiers battus vient de ma forte crainte, en tant que sioniste, de la
dérive croissante du nationalisme juif vers des conceptions historiques ethnocentriques et raciales. J’ai bien peur
que cela finisse par détruire la société israélienne, qui me tient tant à cœur. Fidèlement. Yitzhak, ton professeur,
Et si tu veux bien : le Khazar rouge.

Je déteste les critiques qui spoilent le récit des polars. Ne comptez pas sur moi pour vous donner plus de détails sur l’intrigue qui est très bien conduite et qui tient le lecteur en haleine.

En revanche, j’ai pris grand intérêt  à retrouver vingt ans d’histoire d’Israël :  la première Intifada, les espoirs nés à Oslo ,l’assassinat de Rabin en 1995…Grand intérêt également à découvrir tout un pan d’histoire du peuple juif sous un angle que j’ignorais (les khazars, non, mais le royaume yéménite complètement).

Rencontre avec un écrivain que j’ai eu le plaisir d’entendre sur des vidéos de Youtube qui m’ont appris que la fiction était basée sur des faits réels : Litvak, le personnage a été inspiré d’un historien Abraham Polak qui a vraiment étudié les Khazars, le  policier arabe d’un véritable policier.

J’ai trouvé la référence du livre sur le blog de  Kathel 

 

La Dernière Interview – Eshkol Nevo

LIRE POUR ISRAEL

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Eshkol Nevo, écrivain chevronné,  anime des ateliers d’écriture. Il sait qu’une composition chronologique et linéaire d’un roman est passée de mode (comme je l’ai lu récemment sur le blog de Claudialucia à propos d’un autre livre). Il subit une crise : sa fille ainée a quitté le domicile familial pour un internat dans le Néguev, son couple se dissout avec l’indifférence de Dikla, sa femme, son meilleur ami Ari est hospitalisé avec un cancer en phase terminal et lui-même se trouve en panne d’inspiration pour un nouveau roman.

Il imagine de répondre à une « dernière interview« . Sauf que l’interview n’en est pas vraiment une : pas de journaliste pour lui poser des questions, le relancer, exiger des précisions ! C’est un questionnaire venant d’Internet. Et l’écrivain (Eshkol Nevo lui-même?) répond, ou non, fait de longues digressions si bien que le lecteur oublie complètement  la question posée.

« Pareillement, je m’efforce d’observer cette approche dans l’écriture. Au demeurant, cette année, j’avais le projet
de rédiger un roman. Au lieu de quoi, je réponds à cette interview sur la base d’« une sélection de questions de
nos internautes » que m’a transmise le webmestre d’un site quelconque. J’étais censé réagir par des réponses
toutes prêtes, mais j’ai préféré dire la vérité. Ce devait être une interview, et rien de plus, mais peu à peu – sans
doute suis-je incapable de procéder autrement –, cela s’est transformé en récit. »

Réponses sincères ou affabulations?

Quelle importance! Un des sujets de l’interview est le métier d’écrivain. L’écrivain raconte des histoires, invente des histoires, brode sur son histoire et  celle de sa famille ou sur une histoire entendue dans l’autobus (les Israéliens ne se privent pas de parler fort dans leurs téléphone et d’étaler leur vie privée dans les transports en commun). Au lecteur de recoller les anecdotes livrées dans le désordre et  de plonger dans le monde de l’auteur!

Quand il n’écrit pas, l’auteur présente ses livres à l’étranger et en Israël. Il ne recule pas devant des invitations en milieu difficile comme dans les colonies dans les territoires. Quand on lui demande pourquoi il est venu il répond :

« La curiosité. Je suis curieux de vous connaître. De même que les implantations, plus généralement. Le fait que
vous ayez choisi d’habiter dans un endroit pareil… exerce une influence sur l’avenir de notre pays. Et sur ma
propre existence. À vrai dire, je pense que vos communautés représentent un obstacle à la paix. Franchement ?
Je pense que vous anéantissez toute chance que moi et mes enfants vivions jamais une existence normale dans ce
pays. Mais tout cela, je le pense de loin. « 

Ou dans un lycée conservateur où un de ses livres au programme du bac a été étrangement censuré.

« Elle m’a tendu le livre recouvert d’une protection plastique de bibliothèque, je l’ai ouvert et presque aussitôt je
les ai remarqués : les passages en blanc. Chaque fois que la voix de l’ouvrier palestinien apparaissait dans
l’ouvrage original, un blanc l’occultait. Au début, peu de passages de ce genre, ensuite, plus nombreux, et, à la
fin de l’ouvrage, lorsque le Palestinien va en prison, il n’y en avait plus besoin. »

La lycéenne avait imaginé que les blancs étaient la « voix du silence », très poétique…..

Dans cette interview, le lecteur fera connaissance avec l’auteur, sa famille et même son célèbre grand-père Levi Eshkol, Premier ministre de l’Etat d’Israël de 1963 à 1969, que l’auteur n’a pas connu. Le lecteur assistera à une leçon d’écriture :

« qu’est-ce qu’une intrigue? Qu’est-ce qu’un rebondissement dans l’intrigue….

C’est aussi un joli roman sur la paternité. Un écrivain reste à la maison. Quand il est père de trois enfants il a le temps d’aller les conduire à l’école, de leur inventer des histoires….

Je vais chercher les autres ouvrages pour rester dans l’univers de cet auteur!