LIRE POUR L’AFRIQUE (SÉNÉGAL)
Incipit:
« Ce matin encore le journal en a parlé ; ces mendiants, ces talibés, ces diminués physiques, ces loques, constituent des encombrements humains. Il faut débarrasser la Ville de ces hommes – ombres d’hommes plutôt – déchets humains, qui vous assaillent et vous agressent partout et n’importe quand. »
Les battù sont les calebasses que tendent les mendiants.
Ce roman met en scène les deux extrêmes : les mendiants et les puissants. Mour NDiaye, Directeur de la Salubrité publique, charge Keba Dabo de désencombrer la ville afin de la rendre plus présentable aux touristes étrangers. Mour NDiaye compte sur le succès de la campagne pour atteindre le sommet de la puissance : un poste de Vice-président de la République.
Keba Dabo, par des rafles musclées et brutales, réussit sa mission.
On découvre que la société des mendiants est remarquablement organisée. la solidarité est financée par la tontine quotidienne qu’organise Salla Niang dans sa cour, qui fournit un abri pour les nécessiteux, revend bouts de chandelles ou poulets donnés en aumône – tenant une sorte de commerce du produit de la nécessité – paie les obsèques du malheureux Madiabel, victime d’une des rafles, nourrit la communauté dans une sorte de cuisine collective.
Les puissants vivent dans des villas somptueuses, entretiennent maîtresses et secondes épouses, prodiguent satisfaction « aux demandes pressantes d’argent des parents, cousins, copains et beaux-parents…. » sans parler des sacrifices sur les conseils des marabouts.
Car ce sont eux, les marabouts qui font le lien entre les extrêmes de la société! La réussite de tel ou tel politicien dépend de leur influences et de leurs prières. La politique nage dans le domaine magique. De la rencontre avec Sérigne Birama, un saint homme, date la prospérité de Mour Ndiaye. Il entretient cette relation par des dons substantiels :
« quelques jours après, il décide de rendre visite à Sérigne Birama. Celui-ci est toujours à l’ombre du baobab majestueux, lisant le Livre Saint. […]le sac de riz, les dix kilos de sucre, le carton de lait, les noix de kola et les paquets de bougie remplissent la malle arrière de la voiture… »
et le saint homme promet :
– » ce que tu veux, Dieu peut te le donner. Et je pense qu’il te le donnera. Inch’Allah….tu l’auras s’il plait à Dieu…. Fais seulement le sacrifice d’un beau bélier tout blanc. tu l’égorgeras de ta propre main, tu feras sept tas de viande que tu donneras à des mendiants. »
Les mendiants chassés de la ville décident de faire grève. Qui donc peut être gêné par cette grève? Justement tous ceux qui espère quelque chose et qui pensent que donner l’aumône favorisera leur prière. L’aumône fait partie intégrante des rapports sociaux et de la pratique religieuse. A qui adresser les prières? A qui faire des dons si les mendiants ne mendient plus?
La Grève des battù est un succès inespéré. Relégués dans la maison des mendiants à la périphérie de la capitale, ils reçoivent des cortèges de visiteurs apportant à domicile leurs offrandes. Mour Ndiaye se déplace, les paye même pour qu’ils rejoignent leurs emplacements dans la ville, les carrefours, les abords des mosquées, les marchés. Rien ne les fléchira!