Je m’appelle Europe – Gazmend Kapllani

CARNET DES BALKANS/ALBANIE/GRECE

Gazmend Kapllani, auteur albanais exilé en Grèce, écrivain de langue grecque, fait des variations sur son expérience d’exilé. J’avais beaucoup aimé la Dernière page et le Petit journal des frontières. Expérience singulière, il puise dans son histoire personnelle.

Expérience universelle, il confronte les histoires d’autres migrants. La Grèce fut autrefois un pays d’émigration, vers l’Australie,  le Canada,ou des destinations  plus exotiques. Les Grecs ont fui la pauvreté ou la dictature, et maintenant le Crise économique. La Grèce est aussi la porte d’entrée de l’Europe pour Syriens, Afghans chassés par la guerre, ou pour les Africains qui traversent la Méditerranée.

Les personnages qui interviennent sont donc de provenances diverses. Roza, l’Iranienne rêve de faire du vélo comme les garçons.  Abas est  né à Kaboul. Enke venu enfant d’Albanie,  voudrait changer d’identité, Nguyen le vietnamien,  a trouvé sa place  en Grèce, et même la réussite. Giorgos Koinas, natif de Crète,  a choisi la Russie et la Pologne, Ana, l’Arménienne est prisonnière d’une mafia de la prostitution, Ilias Poulos, Grec né à Tachkent, vit à Paris….

Ces courtes biographies,typographiées en italique, alternent avec un texte plus autobiographique puisque le narrateur est un écrivain dont les mésaventures sont aussi contées dans les deux romans précédents. Il raconte comment il a apprivoisé la langue grecque qu’il a adoptée comme langue de ses romans. Réflexions sur la langue, sur l’écriture.

« en écrivant dans une langue qui n’est pas la sienne, on recrée et on reconstruit son identité, une identité culturelle. A plus forte raison quad on choisit d’écrire des romans où on peut réinventer l’identité du narrateur…. »

Et plus loin :

« je suis convaincu qu’une langue n’a pas de frontière. A y regarder de près, dire « ma langue représente un abus de langage[…] mais on ne peut s’approprier une langue. On peut la cultiver, la transmettre... »

Et Europe? Il ne s’agit pas du tout de l’Union européenne ou du continent. Europe est la jeune femme qui enseignera au narrateur la langue grecque.

Cas trois romans ont-ils pour ambition de changer notre regard sur les exilés?

 

la Ville assiégée – Janina octobre 1912-Mars 1913 – Guy Chantepleure

CARNET DES BALKANS

« Janina, selon les Turcs, c’est le chef-lieu d’un vilayet ottoman.

Janina, selon les Albanais, c’est le centre de l’Albanie du Sud, et -qui sait? – peut être l’une des villes principales d’une Albanie future, une Albanie autonome.

Janina, selon les Grecs, c’est le temple choisi, le foyer privilégié où se perpétua, claire et pure en dépit des vairations ethniques, de tous les bouleversement historiques, la petite flamme sacrée de l’hellénisme : Janina c’est la capitale de l’Epire, province grecque »

« Et puis, dans les Balkans, la réalité revêt des airs de romans d’aventure….Faut-il s’étonner beaucoup que des paroles grisantes et du rêve magique naisse l’action silencieuse, là où toute lutte serait rebellion? »

Merci à Babélio et aux éditions Turquoise pour m’avoir offert ce livre!

Il est arrivé au bon moment, juste au retour d’un voyage dans les Balkans!

J’avais coché ce livre à l’occasion du voyage . Il a aussi résonné en écho à d’autres lectures :  Alexandre Dumas: Ali Pacha qui fut, un siècle plus tôt, le Pacha de Janina, ömer Seyfettin : Lâlé la blanche qui est un recueil de nouvelles se déroulant pendant la Guerre des Balkans (1912-1913) et de façon plus lointaine Zorba le Grec de Kazantzaki. 

La Guerre des Balkans est bien méconnue vue de France.

Ce sont les « notes de guerre » d’une française – témoignage direct des événements s’y étant déroulés. L’auteure qui écrit sous le pseudonyme de Guy Chantepleure est la femme du consul de France. l’auteure raconte donc ce qu’elle voit, ce qui se passe autour d’elle. Elle ne s’attarde pas à des faits d’arme héroïque, elle préfère contempler de loin la montagne qui résiste Bejani, imposante et mystérieuse ou les minarets de Janina des collines environnantes.

Attentive à la guerre qui se déroule, elle reste sensible à la nature. Attentive aussi aux hommes et aux femmes qu’elle rencontre. Femme d’un diplomate, elle rencontre les officiels ottomans, reconnait leur courtoisie, profite de leurs réceptions. Elle éprouve aussi de la sympathie pour les soldats des deux camps et finalement partage la joie des Grecs quand le siège se termine à leur avantage.

Récit de guerre, par une femme, loin des rodomontades et de l’héroïsme, qui n’oublie pas l’élégance des femmes, le mystère d’une musulmane voilée comme les danses des jeunes filles grecques.

la guerre terminée, une excursion à Argyrocastro – Gjirokastër en Albanie – nous emmène sur les routes de l’Epire dans la ville de Kadaré.

 

 

 

Des éléphants dans le jardin – Meral Kureyshi

CARNET DES BALKANS/ KOSOVO

 

C’est le premier roman de Meral Kureyshi qui nous vient de Suisse,  écrit en allemand (2015) et publié en français (2017) par les éditions de l’Aire. Une jeune kosovare originaire de Prizren, en Suisse depuis 1991. Ce court roman (177p.) se présente comme une lettre à son père:

Incipit :

« ton cercueil est dans la terre. Tu voulais être enseveli à Prizren. Depuis un mois, chaque vendredi matin, je recouvre mes cheveux d’un foulard blanc et récite Ya-Sin, la prière des morts pour toi »

N’allez pas croire que c’est un livre triste, pas du tout, c’est plutôt tendre, simple. La jeune fille évoque sa famille, son enfance, l’intégration laborieuse en Suisse.

J’avais choisi ce livre comme une occasion de retourner à Prizren que nous avons visité et que j’ai bien aimé. De Prizren, on ne raconte pas grand chose dans ce livre. La jeune fille va voir sa famille, son école et le cimetière. L’essentiel de l’histoire se déroule en Suisse. C’est plutôt le livre de l’exil, de l’espoir d’une vie meilleure, des papiers qu’on tarde à leur donner, de la nationalité suisse qui est refusée malgré une intégration satisfaisante. 

J’ai attendu les éléphants du titre, je suis toujours curieuse de comprendre les titres. Les éléphants sortent de l’imagination de la petite fille qui cherche à inventer des choses extraordinaires dans un quotidien plutôt ordinaire.

Une note douce, affectueuse, mais en demi-teinte.

 

Splendeur et décadence du camarade Zulo – Dritëro Argolli

Tirana : Les ministères et bâtiments officiels

CARNET DES BALKANS/ ALBANIE 

« Voilà, les fils de bergers d’autrefois ont en main la comptabilité, sans laquelle il n’y a pas de socialisme vu que le socialisme c’est les notes de service et la comptabilité. »

Publié en 1972, ce roman raconte la vie des dirigeants du Parti. Le camarade Zulo est un personnage tellement considérable qu’il est hors de question de le déranger quand ses propres fils se retrouvent au commissariat après avoir saccagé la maison des voisins. Il est à la tête d’un bureau des affaires culturelles dont les compétences s’étendent du répertoire des chansons aux noces villageoises, à la censure du théâtre, l’implantation de bains publics dans les villages, l’organisation de festivals folkloriques….dans un esprit scientifique et démocratique!

Le narrateur, Demkë, est un écrivain raté qui rédige les rapports, interventions et discours de ses supérieurs, trop occupés, ou trop paresseux pour le faire eux-mêmes. Il lui arrive de rédiger un rapport sans savoir qui va en être le rapporteur ou parfois d’en écrire deux contradictoires pour une même conférence.

C’est ainsi que le Camarade Zulo sera le rapporteur du rapport commandé par le camarade Chemchedin éloigné en province, début de l’ascension du camarade Zulo qui prend sa place et fait de Demkë son bras droit.

« Le camarade Zulo ne peut pas rester sans donner son avis. Pour lui il n’y a pas de phénomène qui ne soit prétexte à l’épanouissement de sa pensée. « au début naît le phénomènen nait ensuite le rayon de la pensée a-t-il dit. »

Au premier abord, le camarade Zulo apparaît comme un personnage prétentieux et snob, intrigant au discours enflé et creux, prêt à tout pour une invitation officielle. Demkë l’accompagne en déplacement « au milieu de ses frères villageois ». Les deux hommes se rapprochent, le Camarade Zulo s’humanise, il est touchant de naïveté quand il s’extasie sur les beautés de la nature, presque poète. Le raki lui fait oublier son comportement officiel, on est presque compatissant quand il se ridiculise en se saoulant.

Il ne faudrait pas s’éloigner de Tirana, des sommets et des bureaux où se nouent les intrigues pour le pouvoir. Alors que les dirigeants passent des vacances à la mer dans des hôtels qui leur sont réservés, se trament des complots. La chute du camarade Zulo est programmée alors que personne ne se doute de rien.

Dans un style vivant, ironique et humoristique, les arcanes du pouvoir sont décrites de façon très amusante. Critique satirique ou témoignage? C’est en tout cas un livre amusant avec toute l’absurdité de la bureaucratie.

Alors que la disgrâce est manifeste, son entourage entretien une véritable légende et Demkë, retrouve le goût décrire en relatant la vie du Camarade Zulo:

« Devant l’insistante pression des camarades, et de Bakir en particulier, je me mis sérieusement à écrire la chronique de la vie du camarade Zulo ; je commençais à réunir les pensées et les propos tenus par les gens au sujet de sa mutation. Ils n’ont pas d’importance pour la description de son caractère mais ils donnent une idée de son prestige. Il faut être un homme hors série pour devenir à ce point objet de débat et faire naître autour de soi autant de discussions enflammées… »

Matinées au Café Rostand – Ismaïl Kadaré

CARNET DES BALKANS / ALBANIE 

C’est un ouvrage récent, publié en 2017 en français et 2014 en albanais.

Il réunit 8 textes, de longueur différentes, le dernier Mosaïques étant lui-même composé de plusieurs parties . Matinées au Café Rostand qui donne le nom au livre donne le ton et le thème à l’ensemble : qui est autour de l’écriture, des cafés littéraires, et de la difficulté d’écrire sous la censure communiste.

Le Café Rostand existe vraiment, il est situé au coin du boulevard Saint Germain, en face du Luxembourg. Quartier de librairies, d’éditeurs, et d’écrivains. Kadaré est un de ces écrivains qui aime travailler et faire des rencontres au café.

Le paumé – Fatos Kongoli

LIRE POUR L’ALBANIE

Tirana Blues de Fatos Kongoli ne m’avait pas franchement convaincue. En revanche,  Le paumé m’a beaucoup intéressée. Il se déroule dans les années 60 – 70 avec un épilogue en 91 à la chute du communisme en Albanie et à la fuite vers l’émigration de nombreux albanais.

Je me suis intéressée au personnage « paumé »  et je l’ai volontiers suivi dans ses tribulations.

« paumé »?

Pas tant que cela. l’enfant a découvert assez tôt la malédiction de sa famille : un oncle qu’il n’a jamais connu s’est enfui à l’étranger. Toute la famille du « traître » est entachée de cette faute. L’enfant apprend d’instinct comment réagir, cacher cette tache, forger un masque d’hypocrisie. Comme il apprend à se défendre de la violence qui l’entoure. Violence des autorités en la personne du directeur d’école, violence du quartier de banlieue où il apprend comme les autres à se défendre avec ses poings, à encaisser les coups et éventuellement à manier le couteau.

 Bon élève par là-dessus, après une scolarité dans un lycée de Tirana il est accepté comme étudiant. Il doit être beau garçon (il ne s’en vante jamais) parce qu’il obtient des succès féminins inespérés. Il suscite aussi des amitiés fidèles. 

Paumé?

Il est surtout vulnérable. Ses relations avec les personnes de la Nomenklatura sont fragiles. Il suffit d’un faux pas, il se retrouve dans cette cimenterie qui fait penser à un bagne où il casse des pierres à chaux. Une soirée alcoolisée pour que tout chavire et qu’il se retrouve au poste. L’alcool aide à supporter ces violences quotidiennes.

Garçon d’une banlieue défavorisée entré par effraction au Blok quartier réservé aux privilégiés du régime il est plutôt mieux armé pour la survie que son ami fils de ministre qui se suicidera à la disgrâce de son père. On découvre que nul n’est à l’abri de l’arbitraire.

Tirana blues – Fatos Kongoli

LIRE POUR LES BALKANS/ALBANIE

Les polars et les romans noir font visiter les recoins et les quartiers où un touriste avisé ne s’aventure jamais.

Polar ou roman noir?

Un peu des deux. Il y a certes une enquête policière mais ce n’est pas l’essentiel.

Bien sinistre, bien glauque, que les trois histoires de ce roman choral. Celle de la victime (une des victimes) un professeur d’âge mûr doit avouer à sa femme qu’il l’a trompée, histoire sordide. Celle du policier, qui enquête sans conviction sur le meurtre du professeur. La troisième voix est celle d’un petit voyou qui a trempé à son insu dans l’affaire. Les trois voix se croisent. bien glauque parce que les personnages sont tous déprimés, se laissent entraîner dans des affaire plutôt minables. Sinistre, cette banlieue qu’on appelle la « Tchétchénie » aux constructions illégales,. Même le week end à Sarandë et à Llogara en plein hiver n’est pas franchement rayonnant.

Si pour vous, polar veut dire thriller, ce n’est pas pour vous, le rythme est lent. Plutôt noir alors?

la Dernière Page – Gazmend Kapllani – INTERVALLES

CARNET DES BALKANS/ALBANIE

C’est un vrai coup de cœur!

Un de ces livres qui me semble personnellement destiné. Pas seulement parce que nous rentrons de Tirana. Pas seulement parce que le destin des Juifs de Salonique m’émeut toujours. Quête d’identité dans le mélange balkanique,exil et  métissage. Faux-semblants. Aussi pour l’amour des livres. Pour ce poème de Cavafy, glissé comme  par mégarde.

Je venais de terminer le Petit Journal de bord des frontières qui m’avait beaucoup touchée. C’est parfois une erreur de lire à la file deux livres du même auteur. Parfois la petite musique de l’auteur se répète, radote. Et bien là, pas du tout. Le narrateur des deux ouvrages semble être le même,  un exilé albanais, écrivain, vivant à Athènes. Les lieux aussi sont identiques, Tirana, la Grèce. Pourtant ce sont bien deux livres très différents. La Dernière Page mêle deux histoires (comme Le Petit Journal mêlait deux points de vue). L’auteur a recours à la typographie italique dans l’histoire du père, droite dans celle du fils.

156 pages,  et pourtant un roman complet, avec une intrigue, et même deux, du suspense, une analyse historique. Bravo!

Petit journal de bord des frontières – Gazmend Kapllani – ed. INTERVALLES

CARNET DES BALKANS/ALBANIE 

          »  Ma relation problématique avec les frontières a commencé de très bonne heure.                  Dès mon plus jeune âge. Parce que le fait d’être atteint ou non du syndrome de la                 frontière est en grande partie une question de hasard : tout dépend du pays où                    l’on  est né.

           Je suis né en Albanie »

Gazmend Kapllani est un auteur albanais qui vit en Grèce et écrit en Grec.

Je l’ai trouvé au hasard des algorithmes de Babélio ou d’Amazon, téléchargé « à l’aveugle » sans critique 4ème de couverture, ni recommandations et ce fut une excellente surprise.

Ce livre est double : un journal de bord , récit de l’émigration du narrateur, e, imprimé en caractères italiques et des chapitres d’une typographie romaine droite qui s’intercalent dans le récit et qui décrivent la condition de l’émigré, plutôt sur le mode méditatif et souvent ironique. Les chapitres alternent, action et réflexion, datés 1991 et intemporels, albanais et universels.

Le narrateur raconte d’abord les conditions de vie et l’enfermement des Albanais sous le régime d’Enver Hodja.

« Plus les années passaient, plus l’isolement de l’Albanie se radicalisait, et plus le monde-au-delà des frontières se transmuait en une autre planète. Paradisiaque pour quelques-uns…. »

Il généralise son cas personnel, albanais à une condition universelle:

« Le véritable immigré est un égoïste, un narcissique invétéré. il pense que le pays où il est né n’est pas digne de lui »

J’ai aimé cet humour, cette ironie, nécessaire pour la survie aussi bien de ceux qui étaient asservis par la dictature que ceux qui en exil , dans les pires conditions veulent rire pour survivre

« le rire des hommes des frontières est le meilleur des masques. en riant, c’est comme s’ils disaient à la mort : « ne compte pas sur nous pour être tes clients. Tu vois bien que si nous rions, c’est que que nous n’avons rien à faire de toi »

J’ai aimé aussi l’ ouverture aux autres qui lui fait citer les Grecs en immigration aux Etats Unis qui fait de son livre non paas un livre sur les Albanais en Grèce mais le livre de tous les migrants. 

 

Faleminderit! Merci à Albania Tradition pour ce circuit passionnant

CARNET DES BALKANS

Avant de refermer ce carnet, avant de partir pour de nouvelles aventures, de nous envoler vers un nouveau voyage, je tiens à remercier Albania Tradition l’agence locale de Tirana pour nous avoir préparé ce circuit.

30 jours, 19 étapes, 4 pays, un Road book de 80 pages. Bravo! vous avez bien travaillé!

Nous n’aurions jamais imaginé tant de variété dans les paysages, les visites culturelles. pas un jour n’a ressemblé au précédent. Sites archéologiques, citadelles, monastères, mosquées anciennes ou baroques, maisons-musées, plages et montagne.

Hébergements  toujours bien  choisis, de l’accueil tout simple et chaleureux « chez l’habitant » au 5* de Peje, en passant par toutes les catégories d’hôtel.

Ce qui a été toujours égal c’est la gentillesse de nos hôtes, même si parfois on avait du mal à se comprendre.

Mention spéciale à l’équipe de l’Hôtel Alpin qui nous a dépanné lors de la crevaison, à Eni de GuideinPermet qui nous a trouvé un hôtel lorsque l’hébergement prévu était inaccessible en haut d’un escalier raide, à Sotir qui nous a ouvert son jardin et  sa maison,   à Fariç et Arben qui ont improvisé un séjour gastronomique et cuit le Fli sur le feu….à tous les inconnus qui nous ont fait apprécier leur pays….

Et bien sûr à Evaneos qui nous a mis en relation avec Albania Tradition