CARNET TUNISIEN DU NORD AU SUD

Le Kerf est une ville d’environ 50.000habitants, qui s’étage entre 700 et 800m d’altitude, adossée au Jebel Dyr. C’est une ancienne ville romaine, Sicca Veneria appelée ainsi à cause du temple de Venus ou Astarté. Fondée par les Libyens, elle fut contrôlée par Carthage et pendant la 1ère guerre punique elle accueillit en les mercenaires numides qui avaient réintégré le royaume de Massinissa. Elle fut annexée en 46 av. JC par Jules César.
Nous avons négligé l’histoire antique du Kef. Je me suis contentée de voir d’en haut de la citadelle les Thermes Romains au milieu des constructions modernes. Dans notre programme, il y avait bien écrit « temple des eaux » mais nous n’avons pas fait le rapprochement.

Devant la Casbah il est facile de garer la voiture. A notre arrivée, le gardien se présente puis m’emboite le pas, on passe devant le Petit fort(1601), une rampe est bordée de canons turcs certains 17ème siècle d’autres 19ème. La poterne du Grand Fort construit par Mohamed Bey(1679) s’ouvre par une belle arche qui débouche sur la Place d’armes – vaste quadrilatère légèrement incliné où s’ouvrent les casernements des soldats, et une poudrière. Le Bey occupait la tour carrée aux belles fenêtres de bois. Le gardien m’entraine sur le chemin de ronde crénelé, percé d’ouvertures pour els tireurs ; certaines meurtrières ont une double orientation. D’une terrasse on découvre la Table de Jugurtha (rocher tabulaire qui vient juste cette année d’avoir l’honneur d’être inscrit au Patrimoine de l’Humanité de l’UNESCO.

De là on voit les Thermes Romains, la Mosquée Bou Makhlouf, et ses trois jolies coupoles, l’une d’elles est cannelée, son minaret octogonal avec une bande de zelliges. A côté : le cloitre de la Basilique Byzantine On peut aussi suivre le mur d’enceinte de la ville : autrefois, Le Kef était une ville close, les quartiers modernes ont débordé du périmètre de la ville ancienne et les murs n’existent plus vers le bas. Un beau parc surmonte le Parc Présidentiel de Bourguiba. En descendant, le gardien me montre la prison où Bourguiba fut incarcéré en 1948.

Comme je n’ai pas de monnaie, je laisse 10 Dt au gardien qui proteste qu’il n’est pas guide professionnel mais seulement gardien. C’est un excellent investissement parce qu’il va faciliter toutes les visites suivantes. Il hèle le gardien de la Basilique qui me fait entrer. Le narthex est soutenu par 6 colonnes rondes monolithes de granite coiffées d’un beau chapiteau corinthien. Les colonnes situées aux extrémités sont doubles. Les arcades sont soutenues par quatre piliers carrés et deux colonnes ovales, leurs chapiteaux sont plus grossiers (feuilles d’acanthe pas terminées, formant des lobes ou des pétales lisses). Quelques stèles historiées, des inscriptions latines se trouvent dans le cloître ; Il y a une collection lapidaire dans un jardin bordant la basilique. DE l’autre côté des « bains ». Le Guide Bleu parle de « basilique à auges » (les bains peut être ?) .

Le gardien de la Casbah téléphone ensuite pour qu’on ouvre la Mosquée Bou Makhlouf . Devant la mosquée on a installé un café avec des tables basses, des cannisses. On pourrait aussi fumer le narghilé. Il est trop tôt. Pas de consommateurs, c’est trop tôt, les employés on mis très fort la radio avec de la musique profane. La « mosquée » est une zaouia, siège d’une confrérie soufie. Ce n’est plus une mosquée, on n’y fait plus la prière – trop exigu – selon son gardien qui me laisse photographier à mon aise les stucs et carreaux du 17ème siècle. Au détour d’un passage, sous une arche, dans la ruelle, un beau graff tout neuf daté 2017, deux hommes en turban et tenue traditionnelle, un grand et un petit jouent au basket, l’un d’eux a des lunettes d’aveugle et une canne. L’auteur possède une maison sous la casbah, émule du facteur Cheval, il a rassemblé des matériaux hétéroclites et a construit un jardin naïf avec des personnages et objets variés.

Le Musée des Arts et Traditions populaires est installé un peu plus bas dans la Zaouia Rahmania Sidi Ali ben Aïssa construite en 1784 et servant de siège à la Fraternité des Rahmania. La visite est guidée et mon guide très intéressant. Visite double, le guide explique les structures, bâtiments puis commente les objets présentés.
Dans le Mausolée est enterré un saint. D’autres religieux y reposaient mais il ne reste que leurs noms sur une plaque de marbre.
L’exposition est consacrée aux parures féminines et au mariage. Les robes de mariées occupent deux vitrines. Celle du premier jour est à moitié verte, à moitié rouge, le vert pour le Paradis, le rouge pour le divorce. Sur une chaînes deux bijoux symboliques la main de Fatma pour la fille, le disque pour le garçon, les deux enfants que la mariée espère ; Dans l’autre vitrine, la robe du 7ème jour. La fête durait autrefois 7 jours et chaque jour la mariée revêtait une robe différente.
Tout autour, dans les vitrines, les parures féminines sont en or pour le mariage, en argent pour la vie quotidienne. Les orfèvres étaient juifs. Bracelets et anneaux de cheville : les anneaux de chevilles étaient lourd et pesaient jusqu’à 1kg. Certains étaient creux contenant des billes qui tintaient comme des grelots, la femme signalait ainsi sa présence. On voit ensuite les parures de taille, ceintures, lacets colorés, chaines porte-amulettes. La main de Fatma coexiste avec l’étoile de David, symbolisant la coexistence des communautés. Les parures de tête comprennent le voile de tête, mais aussi les tatouages berbères les boucles d’oreille. La jeune fille porte de petits anneaux au lobe de l’oreille percé. La femme mariée a de grands anneaux qui reposent derrière le pavillon de l’oreille. On peut connaître le nombre et le sexe de ses enfants en regardant les pendentifs (main de Fatma pour els filles, rond pour els garçons) La boucle est aussi un porte-amulette : dans le cylindre de droite, les 5 derniers versets du Coran, dans le cylindre de gauche, l’acte de mariage.
Salle de prière :
La coupole toute simple est soutenue par 4 gros piliers ronds. En dessous est dressée une tente nomade de poile de dromadaire mêlé à la laine de mouton et au poil de chèvre. Cette grande tente tient sur une « clé de voûte » de bois sculpté. Autour de la tente on a suspendu la gourde pour l’eau en poil de chèvre avec les poils, l’outre sans les poils, pour le lait, sert aussi de baratte. On transportait l’eau dans des tonnelets dont une des faces était plate pour le confort de la mule ou de l’âne qui les portait. Au mur : un tamis en boyau (comme les raquettes de tennis) beaucoup plus fin.

La batteuse (jarucha) était une planche garnie d’éclats de granite. Un énorme chapeau de paille était destiné à la bosse du dromadaire. Ces animaux sont frileux, s’ils ont froid, ils deviennent agressifs. Un chameau agressif peut être dangereux, il pourrait tuer un homme.
Ecole coranique

Elle a une acoustique excellente, mon guide récite un verset de Coran, l’écho le renvoie. Les élèves devaient être drôlement sages pour que le cours ne tourne pas à la cacophonie. Le thème est le cheval pour la fantasia. Le harnachement de cérémonie ne comportait pas moins de 20 pièces, cuir et tissus. Sur le dos du cheval on étalait une couche de cuir fin, puis une couverture de laine ou de feutre et enfin la selle de cuir.
Habitations des membres de la confrérie
Chaque pièce présente un aspect de la vie quotidienne.
La vaisselle de terre cuite n’était pas faite au tour mais au colombin. Certaines assiettes ou écuelles sont décorées de motifs de tatouages berbères. Pour les pots une technique de lissage était employée par les potières : elles enfilaient au bout des doigts une coquille d’escargot. Le stockage des aliments se faisait dans des jarres, les plus petites pour la viande et le beurre, les grandes pour les céréales qui se conservaient à la maison un an, de l’été à l’été suivant tandis que l’huile se gardait de l’hiver à l’hiver.
Un moulin à grain (1860) venant de France fut importé en Tunisie en 1884.
La boutique du barbier est reconstituée. Le barbier ne se contentait pas de couper barbes et cheveux. Il remplissait une fonction sociale : la politique se discutait chez le barbier…
Pendant ma visite, Dominique remarque un curieux personnage en burnous marron avec la main à la Napoléon et des lunettes noires d’espion. L’homme reste immobile et surveille toute la place. Il était déjà là hier. Un mouchard ? un espion ?
Je remonte à la Casbah où le gardien se tient encore avec son téléphone. J’exprime le désir de visiter la synagogue. Il m’accompagne jusqu’à la Ghriba dans les escaliers et ruelles de la médina. En bas, prévenu, se tient l’homme qui détient la clé. La synagogue est abandonnée depuis les années 80. Il faut question de la restaurer en 1994. Actuellement elle est livrée aux oiseaux (fientes) . Deux feuillets dactylographiés sont punaisés et racontent qui’l y avait une nécropole juive, en haut près de la basilique. Les Musulmans venaient prier sur els tombes juives pour appeler la pluie sur le Kel el Yaoud. Je suis étonnée d’apprendre qu’il existait des Juifs nomades. Rien en revanche sur l’extinction de la communauté juive du Kef. IL est noté aussi que le Kef fut le lieu d’exil des mercenaires cité dans Salambô de Flaubert (j’ai cherché le passage sans le trouver). Après avoir grimpé dans les ruelles blanches, je retourne au parking de la casbah où règne mon ange gardien et son téléphone ; Il ne se cache pas d’appeler la police : nous sommes sous bonne garde.